CLAUDE GONTREN-FÉE – Portrait En Galerie – Auteure de « Un cadeau de Noël » nouvelle inédite en 4 tableaux.


Numence GalerieLittéraire

Née dans les années soixante à Paris, Claude Gontren-Fée est retraitée. Elle écrit des nouvelles pour le plaisir d'écrire. Elle aime la poésie de la Renaissance française (Louise Labé, Pernette du Guillet, etc.), ainsi que les romans policiers contemporains et scandinaves. De son propre aveu, elle est très gourmande, elle aime la plupart des pâtisseries, surtout le Paris-Brest, un gâteau rond en pâte à chou saupoudré d'amandes. Elle n'aime pas le temps gris et les nuages, sauf les nuages blancs.

À lire ci-après un tableau de :

Un cadeau de Noël

nouvelle inédite

© 2015, Claude Gontren-Fée (tous droits réservés)

Quel est le cadeau de Noël idéal ? Celui qui plaît à coup sûr... celui que l'on offre, comme celui que l'on reçoit. Comment peut-on être certain(e) qu'un cadeau va plaire à coup sûr ?... Est-ce celui qui est rare et cher ? Celui qui est beau ? Ou celui qui vient du cœur ? Un peu de tout cela probablement...

[Tableau 1/4]

Réveillon de Noël et jour d'anniversaire

« Je sors » je crie.

Déposer les sacs poubelles dans l'espace réservé à cet effet au coin de la rue. Je prends la porte, la poignée je saisis, le battant j'entrouvre puis le repousse derrière moi, dans l'obscurité de l'escalier me retrouve.

J'égrène une chansonnette pour seulette ne pas me retrouver. Je trouve l'interrupteur, la lumière jaillit dans la cage d'escalier.

Mon téléphone portable sonne, sonnerie résonance (je ne raisonne plus) résonne dans le vide, mes deux mains occupées par le portage des sacs sur le bouton ne peuvent appuyer. Cette soirée pourrait s'intituler « Veille de Noël en famille ».

Tu remets les pendules à l'heure. En pensée, seulement.

Tu t'obliges à ne rien dire de désobligeant. Ton cœur fond, tu es aimée, tu es seule, tu aimerais être ailleurs et pourtant c'est ici que tu te sens le mieux, des tiens entourée. Tu as peur de toute perfection perdre. Tu as peur de toute affection perdre. Tu as peur de toute durée perdre. Tu te bats pour tout conserver : affection et perfection dans la durée.

Sans cesse tu combats tes démons, tes peurs ou tes larmes tu retiens, tu contiens. Et puis tout passe, tout lasse, tu casses. De la vaisselle, des liens, des affections, des attentions.

Chaque année, c'est la même chose rengaine scénario à la veille de Noël. Sacs posés (plutôt lancés à la volée), tu te retournes et tu cours, quatre à quatre tu montes l'escalier jusqu'au deuxième étage, la porte d'entrée tu claques, puis en deux enjambées assise à côté de lui tu es.

Son fait il lui dit. À côté d'elle, tout contre elle, il est assis, une coupe de champagne à la main et à l'oreille lui parle doucement, chuchotis, chatouillis... Il se sent seul même avec elle, parmi les siens même, les siens à elle, pas les siens à lui, lui n'a plus de « siens », il est orphelin.

Il a fini son discours de chatouillis de chuchotis, il veut lui ouvrir les yeux sur son bonheur, leur bonheur, la joie d'être tous ensemble (elle boude ne veut rien entendre fait la sourde oreille). Il recouvre la raison, ce n'est qu'une histoire d'amour passagère, que pour une paire d'années qu'il est à ses côtés (comment le sait-il ? pourquoi est-ce ce soir à la veille de Noël qu'il sent cela ?), il remplit sa solitude d'alcool pétillant...

Elle est au bord des larmes. Elle cligne des paupières. Elle dit qu'elle n'a pas soif mais on remplit tout de même sa coupe de champagne. Des non de la tête, fait-elle, à droite et à gauche de plus en plus lentement, puis s'arrête, le regard songeur, elle est ailleurs. Elle prend la tangente, doucement comme un bébé un nourrisson repu, elle s'endort. Une comptine s'élève dans son cœur : « Dodo bébé do bébé dormira bientôt... » fond la tristesse ce sentiment de solitude s'efface s'estompent toutes ses peurs.

On aimerait aller au fond des choses, une fois réunis tous les membres de la tribu. On est terriblement sérieux en cette soirée de fête. On a quelque chose d'autre à fêter. La naissance d'un autre enfant, la naissance de tous les autres enfants eux aussi nés le 24 décembre à minuit moins cinq. On est ravis de montrer notre altruisme notre bonté notre générosité notre ouverture d'esprit.

On dit « merci » et on trinque aux Cieux.

Au mieux on s'en souviendra toute l'année, et toute l'année dans la bonté on essaiera de nager. On se réveillera et on aura tout oublié, demain... On se décide à tenir bon. On tâche de fixer ce moment cette résolution cette disposition dans la durée.

On s'ennuie. On a faim (encore une heure et demie avant le début du repas).

Nous ouvrons les yeux. Étonnés vaguement apeurés, où sommes-nous tombés ? nous revenons à nous.

- Comment faites-vous ?

Nous faisons la fête, ce soir le réveillon de Noël nous fêtons. Nous embrassons nos cousins, nos cousines, nos tantes et nos oncles. Nous nous prenons dans les bras embrassades accolades baisers nous nous tenons à bout de bras « Comme tu as grandi ! » « Comme tu as mûri ! » « Qu'est ce que tu es belle ! » « Comment fais-tu pour rajeunir d'année en année ? ».

Nous sommes les pensées les plus secrètes les moins directes de l'assemblée de cette nuit de fête. Nous voyons les cœurs s'agiter, les lèvres murmurer, entre les cœurs et les lèvres nous gisons entre les deux. Nous dormons éveillés et nous voyons. Tout.

Vous regardez les ombres sur les murs s'égailler. Vous souriez. Vous avez le pardon facile. Vous vous dites que vous l'aimez cette assemblée, que vous êtes comme elle, telle quelle vous la prenez, comme vous vous prenez vous tels que vous êtes. Vous ne vous demandez pas : Qui sont-ils, ces amis ces étrangers ?, qui est-elle cette famille ?.

La fête telle quelle, les têtes telles quelles, vous voulez, vous prenez, vous acceptez. Vous savez que c'est rare...

- Nous sommes si seuls, si seuls...

Vous passez à côté d'eux, une petite plaisanterie à l'oreille vous glissez, vous frôlez une joue du revers d'une main caressante.

Elle ronfle dans son sommeil intérieur (personne n'y prête attention). Vous saluez les plus âgés, les vieux oncles, les vieilles tantes, un dernier grand-père (et si c'était son dernier Noël ?), une dernière grand-mère (vous savez qu'elle fête son dernier Noël) assis dans un coin. Vous demeurez immobiles devant le buffet d'apéritifs (comment aurez-vous encore faim pour le dîner si vous vous goinfrez de biscuits salés ?).

Un dernier regard ils jettent par-dessus leurs épaules. Puis ils partent sans plus se retourner. Il est deux heures au milieu de la nuit. À nouveau ils se sont salués embrassés baisés accolés tapotés, puis se sont séparés, ils se sont éloignés... Elles ferment la marche.

Ils les tiennent par la main, loin la voiture est garée loin. Le sol est glissant. Ils les guident dans la pénombre de quelques rares réverbères. Ils bassinent les enfants les plus petits avec moult conseils, « Ferme ton manteau, tu vas attraper froid », « Mets ton bonnet », « Ne cours pas ! », « Ne marche pas si vite, tu vas glisser ».

Ils sortent leurs clefs. Neuf voitures sombres garées en contrebas les attendent.

Elles prennent tout leur temps. Elles ont pris un congé, coiffeuse, esthéticienne, manucure, podologue, kinésithérapeute. Toutes, elles ont un métier dans la beauté ou le soin, dans le soin de la beauté. Elles ont pris congé de leur famille, de leur belle-famille, à petits pas, par de multiples petits gestes, petites affections nullement affectées, un petit mot tendre par ci, une petit geste gentil par là, une petite carte colorée posée sur le buffet du salon, sur l'étagère de la cuisine un petit gâteau joliment décoré. Maintes attentions dans l'intention de plaire et de séduire.

Tendrement parfumées, chaudement revêtues, de leurs blancs manteaux caparaçonnées, elles avancent dans le cœur de la nuit. Au-devant des sombres berlines garées en contrebas, elles s'avancent telles des reines entourées de leur cour. Ils tapotent leurs bras fourrés. Ils disent de faire attention, où mettre les pieds, où poser le fin escarpin, guides fidèles serviteurs. Elles reparlent de cette exquise soirée (ils n'écoutent pas, plus ils les regardent, moins ils les écoutent). Elles sont sans enfants. Ils dressent l'oreille. Elles insistent. Dans un an, jour pour jour, donneront-elles naissance à ces autres enfants ? à ces enfants de Noël ? Ils les aident à contourner une flaque d'eau, elles se laissent faire, elles les laissent faire.

- Quelle est la date de ton anniversaire, déjà ?

Du fond d'un demi-sommeil elle murmure blottie contre son épaule, ils sont tous les deux allongés sous une couette. Il ne peut fermer les yeux, il ne peut pas trouver le sommeil.

- Je suis né le 24 décembre.

- Joyeux anniversaire, alors...

- Merci. Joyeux Noël aux tiens et à toi.

Il l'a rencontrée trois jours auparavant, le 21 décembre. Il se souvient du Noël précédent. Seul, un Noël passé seul à écouter de la musique à la radio. Un Noël douillet et solitaire comme une course en solitaire autour du monde...

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Numence GalerieLittéraire



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