Champ lexical – Champ sémantique – Connotation – Dénotation – Hyperbole – Langage – Litote – Métonymie – Monosémie – Musique de la prose – Niveaux de langue – Oxymore – Poésie française – Polysémie – Prétérition – Registre – Rythme – Style – Synecdoque.


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Sommaire

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L'hyperbole : « Cet artiste extra sublime a un gigantesque
projet : une toile de dix mètres carrés. 
»

*

La synecdoque : « Voile à l'horizon ! » ou « Un bateau à l'horizon » ?

*

La métonymie : « Elle est tombée dans les pommes »,
au sens propre ou au figuré ?

*

La litote : « Le loup n'est pas un gentil petit animal de compagnie... »et la prétérition : « Je ne vous dirai pas combien j'ai été affectée
par cette nouvelle. 
»

*

Niveaux de langue, langages, registre, style
« Mignonne, allons voir si la rose... »
ou : « Viens par ici ma poulette ! »
ou encore : « Mademoiselle, seriez-vous disposée
à m'accompagner pour
visiter le jardin ? »

*

L'oxymore ou le clair-obscur

*

La poésie française : poèmes et poétique, « C'est tout un poème. »

*

Les champs sémantiques et les champs lexicaux

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Dénotation-connotation, monosémie et polysémie

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Musique et rythme en prose

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L'hyperbole : « Cet artiste extra sublime
a un gigantesque projet :
une toile de dix mètres carrés »

L'hyperbole est une figure de rhétorique consistant à mettre en relief une idée par l'emploi d'une expression exagérée qui va au-delà de la pensée. Elle consiste à augmenter ou à diminuer excessivement la vérité des choses pour qu'elle produise plus d'impression.

Par exemple : « Ce géant chausse du 44 », hyperbole de : « Cet homme est grand et il chausse du 44 », ou bien : « Il ressemblait à un pygmée », hyperbole de : « C'était un homme plutôt petit », ou encore : « Ce détour à cause des travaux sur la chaussée, c'est une perte de temps formidable », pour : « Ce détour à cause des travaux sur la chaussée nous a fait perdre une heure ».

« Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie »,

écrivait Nicolas Boileau en 1694, dans la Satire X. Boileau était un écrivain français, né en 1636, mort en 1711, historiographe du roi en 1677 et entré à l'Académie française en 1684, auteur de : Art poétique, paru en 1674, qui est un poème didactique en quatre chants, où en imitant Horace (poète latin qui vécut de 65 à 8 avant J.-C., et dont son Art poétique est une réflexion sur la nature de la poésie), et aussi selon certains en imitant Jean Vauquelin de La Fresnaye (poète français, 1536-1606, auteur en 1574 d'un Art poétique français en vers où il se montre disciple de Ronsard mais apprécie la poésie du Moyen Âge), Boileau dégage les principes de son idéal littéraire en y joignant des critiques souvent acerbes à l'égard de ses contemporains.

Ferdinand Brunot (linguiste et grammairien français, historien de la langue française, 1860-1938) a écrit en 1922, dans son ouvrage sur la psychologie du langage La Pensée et la Langue (exposé méthodique des faits de pensée et des moyens d'expression qui leur correspondent, cet ouvrage a influencé durablement l'enseignement du français, mais dont la méthode intuitive va à l'encontre de l'évolution de la grammaire moderne) au sujet de l'hyperbole :

« L'hyperbole. Plusieurs estiment, non sans raison, que (...) nous avons perdu le sens de la mesure (...) On dit à propos du moindre événement que les conséquences en seront immenses, qu'il a une portée incalculable (...) On éprouve une joie infinie à revoir ses amis, etc. Notre littérature, nos journaux surtout ont poussé les mots à l'extrême. La « litote » [figure de rhétorique qui consiste à atténuer l'expression de sa pensée pour faire entendre le plus en disant le moins] n'est plus connue de personne, nous sommes sous le règne de l'« hyperbole ». Tout y contribue, la réclame commerciale d'abord, mais aussi les surenchères de la politique et de la presse. »

Tandis que Jean de La Bruyère (moraliste français, 1645-1696, entré à l'Académie française en 1693) écrivait en 1688, dans ses Caractères (ouvrage qui recense une succession de maximes et de portraits, où l'auteur révèle son art de la formule et son ton incisif) au sujet de l'hyperbole :

« L'hyperbole exprime au-delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connaître (...) Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole »

Extrait de : Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, de La Bruyère, choix et présentation de Carole Benz, Paris : EJL, 2007, Collection Librio,
n° 839, p. 21.

Étymologiquement, le nom féminin hyperbole est un emprunt au latin hyperbole, lui-même emprunté au grec huperbolê, dérivé de huperballein (jeter au-dessus, dépasser la mesure), composé de huper (au-dessus, au-delà) qui a donné hyper-, et de ballein (lancer, jeter).

L'hyperbole peut concerner plusieurs mots. Elle peut doubler un autre écart de style. Par exemple : « L'ouragan souffle sur les prix », où le mot « ouragan » est à la fois métaphorique (la baisse des prix est tellement importante que les prix sont cassés comme les objets, les véhicules et les habitations après le passage d'un ouragan) et hyperbolique (il aura fallu la force d'un ouragan pour faire baisser les prix !).

Lorsque l'hyperbole est tellement exagérée qu'elle en paraît fallacieuse, voire mensongère et trompeuse, on obtient un adynaton, une hyperbole hyperbolique. Exemple : « Il a un appétit à avaler des bœufs entiers, des autruches crues et même des tas de briques ». L'adynaton crée une atmosphère irrationnelle, fantastique ou délirante, et souvent cocasse. D'où son apparition dans les fatrasies médiévales (pièce poétique incohérente ou absurde, formée de dictons, de proverbes et contenant des allusions satiriques), les comptines, le théâtre comique (invectives, injures).

Beaucoup de mots sont par nature hyperboliques, notamment des adjectifs : géant, champion, fabuleux, remarquable, fantastique, ignoble, etc. Des affixes à la mode sont porteurs d'hyperboles comme : super, hyper (« c'est hyper sympa »), ou -issime (« le richissime chanteur Charles Trénet »).

Les superlatifs (procédé grammatical qui exprime la qualité au degré le plus élevé, par l'emploi de : « le plus », ou « le moins ») sont fréquemment hyperboliques : « le moins cher des caméscopes », « le plus grand livre du siècle », « la plus adorable de toutes les petites filles du monde entier », etc.

Les effets de l'hyperbole :

Souvent, l'hyperbole essaie de convaincre, ou de faire rire, ou de convaincre par l'humour, mais elle peut aussi provoquer l'indignation, ou introduire à un monde fantastique.

Consignes :

1. le texte suivant est extrait de : Isabelle, d'André Gide (écrivain français, 1869-1951 ; qui fonde en 1909 avec l'écrivain et homme de théâtre Jacques Copeau (1879-1949) et l'écrivain français Jean Schlumberger (1877-1968) La Nouvelle Revue Française ; et qui reçoit le prix Nobel de littérature en 1947). Il s'agit d'un portrait en forme de caricature. Remplacer les hyperboles et les mots (soulignés) par des mots, ou des groupes de mots, et par des constructions ordinaires pour en faire un portrait banal d'un homme ordinaire.

« Le baron Narcisse de Saint-Auréol portait culottes courtes, souliers à boucle très apparente, cravate de mousseline et jabot. Une pomme d'Adam, aussi proéminente que le menton, sortait de l'échancrure du col et se dissimulait de son mieux sous un bouillon de mousseline ; le menton, au moindre mouvement de la mâchoire, faisait un extraordinaire effort pour rejoindre le nez qui, de son côté, y mettait de la complaisance. Un œil restait hermétiquement clos ; l'autre, vers qui remontait le coin de la lèvre et tendaient tous les plis du visage, brillait clair, embusqué derrière la pommette et semblait dire : « Attention ! Je suis seul, mais rien ne m'échappe. »

2. À l'inverse, introduire le maximum d'hyperbole dans le texte suivant, texte caractérisé par une sobriété des moyens stylistiques. Il s'agit d'un extrait de : « Le Silence de la mer » de Vercors (Jean Bruller, dit Vercors, romancier, dessinateur et essayiste français, 1902-1991, fondateur des Éditions de Minuit en 1941).

« Le petit garçon mit sa main dans celle de son père sans s'étonner. Pourtant il y avait longtemps, pensait-il. On sortit du jardin. Maman avait mis un pot de géranium à la fenêtre de la cuisine, comme chaque fois que papa sortait. C'était un peu drôle. Il faisait beau - il y avait des nuages, mais informes et tout effilochés, on n'avait pas envie de les regarder. Alors le petit garçon regardait le bout de ses petits souliers qui chassaient devant eux les graviers de la route. Papa ne disait rien. D'habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit-là. »

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 235.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 3, p. 1984.

LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 3, p. 3065.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).

REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 986.

THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 31, 32, 89.


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La synecdoque : « Voile à l'horizon ! »
ou « Un bateau à l'horizon » ?

La synecdoque est une espèce de métonymie ; c'est une figure de rhétorique par laquelle on donne une signification particulière à un mot, qui dans le sens propre a une signification plus générale.

Dans la métonymie on prend un terme pour un autre (exemples : « boire un verre » au lieu de : « boire le contenu du verre », « vivre de son travail » au lieu de : « vivre de ce qu'on gagne en travaillant », « ameuter la ville » au lieu de : « ameuter les habitants de la ville »), au lieu que dans la synecdoque on prend le moins pour le plus, ou le plus pour le moins (le tout pour la partie, ou la partie pour le tout, le genre pour l'espèce, ou l'espèce pour le genre, la matière pour l'objet, ou l'objet pour la matière, le singulier pour le pluriel, ou le pluriel pour le singulier). Exemples : « une voile à l'horizon » pour « le bateau », « les flots » pour « la mer », « l'airain » pour « les canons », « les mortels » pour « les hommes », « un fer » pour « une épée », « des porcelaines de Chine » pour « des récipients en porcelaine de Chine », « l'ennemi » pour « les ennemis », « porter un castor » pour « porter une toque en fourrure de castor », etc.

Les deux termes de la synecdoque (celui qui est normalement attendu mais qui n'apparaît pas, et celui qui se substitue au terme attendu) ont un rapport de contiguïté et d'inclusion, car non seulement ils font partie de la même isotopie (secteur du réel), mais l'un inclus l'autre.

Le mot féminin synecdoque représente la réfection de sinodoche (en linguistique, la réfection est la modification d'une forme linguistique populaire, issue de l'évolution normale, d'après l'étymologie ; le XVIe siècle a procédé à de nombreuses réfections de mots d'après le latin ou le grec), emprunté au bas latin synecdoche, repris du grec sunekdokhê « compréhension simultanée de plusieurs choses », lui-même dérivé de sunekdekhesthai « se rendre maître en même temps, comprendre à la fois » verbe composé de sun « avec, ensemble » et de ekdekhesthai « recueillir dans son esprit, saisir, comprendre », lui-même formé de ek- (qui marque l'origine) et de dekhesthai « recevoir », lequel se rattache à une importante racine indoeuropéenne exprimant l'idée de conformation, d'adaptation.

Résumé étymologique :

sun (avec, ensemble) + ekdekhesthai (ek (qui marque l'origine) + dekhesthai (recevoir)

-> sunekdekhesthai (se rendre maître en même temps, comprendre à la fois)

-> sunekdokhê (grec)

-> sinodoche (1521)

-> synecdoche (1690, forme latine)

-> synecdoque (par réfection, 1730, César Chesneau Dumarsais (grammairien français, 1676-1756).

L'emploi de la synecdoque permet des descriptions réalistes, des portraits, des récits en prose ou en poésie. La synecdoque correspond à une perception du monde qui procède du particulier au général ou du général au particulier. Le rapport sémantique entre les deux termes ou les deux notions est un rapport d'inclusion : la partie dans le tout, où le détail suggère l'ensemble, ou bien inversement la partie par le tout.

On parle de synecdoque particularisante (le détail suggère l'ensemble) lorsqu'on effectue un zoom avant (impression de gros plan, valorisation d'un élément), et de synecdoque généralisante (zoom arrière, recul, éloignement, distanciation, généralisation). Exemples : « Le buste survit à la cité » Théophile Gautier (1811-1872), où l'élément particulier « Le buste » remplace l'ensemble « sculpture » ; « Les plus fines cravaches du monde entier vont s'entraîner là-bas », où l'élément particulier « cravaches » remplace l'ensemble « les jockeys ». Inversement : « Il porte un feutre » est une synecdoque généralisante, où l'ensemble « feutre » remplace l'élément particulier « chapeau ».

La synecdoque est une figure non absolue, mais relative. Dire « le bâtiment » pour désigner une maison est une synecdoque généralisante, mais dire « la maison » pour désigner un chalet ou une cabane par exemple, est aussi une synecdoque généralisante. Tout dépend des repères qui sont pris, et du contexte, dont dépend toute valeur (linguistique et sémantique). Cette dernière est constamment variable, un même mot ayant toujours un nouveau sens dans un nouveau contexte.

Dans le texte, la synecdoque traduit très souvent un retour à une impression ou à une perception plus sensible et physique du monde. Elle joue sur les rapports respectifs de l'ensemble et du détail, elle va de l'un à l'autre, suggère l'un par l'autre et inversement. Elle est toujours très visuelle, car elle fait constamment varier la distance de perception des choses, la distance du locuteur d'avec les choses perçues, dans le langage et dans l'esprit, par une comparaison constante entre ce que l'on perçoit du visible (les objets, les formes, le cadre, les couleurs, les contrastes, etc.) et ce que l'esprit en fait ensuite.

Consigne : remplacer les mots soulignés du texte ci-après par des synecdoques.

Les Russes avançaient dans la pénombre. Julien, qui écoutait de ses deux oreilles, les a entendus venir. Il ne savait pas s'ils venaient porter la destruction et l'incendie, ou au contraire le réconfort. Comment opposer à la guerre un message de paix ? Julien a secoué ses amis. Il s'est habillé le premier, suivi par l'originaire de Provence et l'originaire d'Aquitaine. Il valait mieux ne pas risquer sa vie !

Les Russes = les soldats rouges

écoutait de ses deux oreilles = l'oreille attentive

la destruction et l'incendie = le fer et le feu

Les soldats rouges avançaient dans la pénombre. Julien, l'oreille attentive, les a entendus venir. Il ne savait pas s'ils venaient porter le fer et le feu, ou au contraire le réconfort.

Etc.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BOURDEREAU, Frédéric, FOZZA, Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 34.

DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 464.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 4, p. 1424, t. 6, p. 937.

GREVISSE, Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., p. 263.

LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 6, p. 6155.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 62.

REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 2066.

THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 37, 48.


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La métonymie : « Elle est tombée dans les
pommes 
», au sens propre ou au figuré ?

La métonymie, dont la synecdoque en est une forme particulière (voir l’Atelier d’écriture précédent), est une figure de rhétorique par laquelle on met un mot à la place d’un autre dont il fait entendre la signification. Elle est tombée dans les pommes ne signifie pas qu’une personne soit littéralement tombée dans un tas de pommes (sens propre), mais qu’une personne s’est évanouie (sens figuré).

En ce sens général, la métonymie serait un nom commun à tous les tropes (un trope est une figure de mots employés au sens figuré ; une expression employée dans un sens figuré ; Trope a fini par s’appliquer à toutes les espèces de figures qu’on peut considérer comme un détournement du sens du mot). Mais l’on restreint la métonymie aux usages suivants :

> la cause pour l’effet (par exemple : Montrez-moi votre travail, pour : Montrez-moi LE RéSULTAT de votre travail),

> l’effet pour la cause (par exemple : La récolte a été catastrophique cette année, où La récolte désigne le produit de la cueillette et non pas seulement l’action de cueillir),

> le contenant pour le contenu (par exemple : Boire un verre, pour : Boire l’eau contenue dans le verre),

> le nom du lieu où une chose se fait pour la chose elle-même (par exemple : Toute la salle applaudit, pour : Tous les gens présents dans la salle applaudirent ; ou bien : Du Hollande, pour : Du fromage de Hollande ; ou bien : Un camembert, pour : Un fromage fabriqué près de Vimoutiers, dans l’Orne, à Camembert),

> le signe pour la chose signifiée (par exemple : l’aigle pour l’Allemagne),

> le nom abstrait pour le concret (par exemple : Une fois l’insulte reçue de plein fouet, il mit son honneur de côté, pour : L’insulte reçue de plein fouet, il ne répondit rien et il partit ; ou bien : Toute honte bue),

> les parties du corps regardées comme le siège des sentiments ou des passions, pour ces passions et ces sentiments (par exemple : Il lui mit le cœur sens dessus dessous, pour exprimer un désordre amoureux ; ou bien : Je sais ce qu’à mon cœur coûtera votre vue),

> le nom du maître de la maison pour la maison même (par exemple : Je reviens de chez Duchemin, pour : Je reviens de la maison des Duchemin ; ou bien : Des gravures que je portais à l’encadreur, pour : Des gravures que je portais à l’atelier d’encadrement),

> l’antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l'antécédent (dans l'exemple : Il est mort, on peut dire : Il a vécu (on dit ce qui précède), ou Nous le pleurons (on dit ce qui suit).

Le nom féminin métonymie est la réfection savante au XVIIe siècle (attesté dès 1690) de méthonomie (1521), emprunt au bas latin de même sens metonymia, calque du grec metônumia, formé de meta- (au milieu de, parmi, avec) et de onoma (nom), apparenté au latin nomen, qui est représenté en français dans de nombreux mots en –onyme (comme synonyme, qui signifie de même sens, ou antonyme, de sens contraire, etc.), ainsi que dans onomatopée (imitation phonétique de la chose dénommée, atchoum pour l’éternuement, boum ! pour une explosion, etc.).

Le procédé métonymique, qui est changement de nom, consiste donc à prendre un mot pour un autre auquel il est lié par un rapport logique.

Depuis les formalistes russes et spécialement Roman Jakobson en 1935 (linguiste américain d’origine russe, 1896-1982, dont l’activité interdisciplinaire (anthropologie, folklore, psychanalyse, théorie de l’information) lui permit de proposer nombre d’hypothèses et de modèles stimulants ; sa pensée influença notamment celle de Noam Chomsky, 1928-), le procédé métonymique désigne toute figure par laquelle le sens est transféré d’un signifié à un autre, lié par un rapport de contiguïté ou de dépendance logique.

La métonymie repose sur un déplacement de la référence que le contexte permet d’expliciter : Rencontrer Montaigne dans ses lectures, est spontanément entendu pour : Rencontrer la pensée ou l’œuvre de Montaigne (et non pas rencontrer l’homme, mort en 1592 !). Il s’agit bien d’une « extension de sens qui consiste à nommer un objet au moyen d’un terme désignant un autre objet uni au premier par une relation constante », extrait de : Grammaire historique de la langue française, de Kristoffer Nyrop (philologue danois, 1858-1931).

La métonymie est donc fondée sur un rapport entre des réalités extralinguistiques, indépendamment des éléments linguistiques qui l’expriment ; dans chaque cas, il y a ellipse (boire un verre, c’est boire le CONTENU d’un verre).

Le processus métonymique pris au sens large, comme l’histoire des mots, permet d’évoquer l’histoire de la civilisation, les significations contemporaines d’un mot ayant fait perdre toute trace des premiers emplois.

Que l’on pense à bureau, qui désigna d’abord une étoffe de bure, puis par métonymie un tapis de cette étoffe recouvrant une table et la table ainsi recouverte ; ces emplois sont sortis d’usage avec l’évolution du mobilier et le changement des habitudes sociales : par de nouvelles métonymies, bureau est devenu le nom d’une table à écrire, de la pièce où elle se trouve, d’un établissement ouvert au public, la désignation d’un lieu de travail, etc., mais le lien entre le sens de table, toujours vivant, et celui d’établissement, est ténu.

Consigne : ce début de poème extrait de : Corps et biens, de Robert Desnos (poète français, 1900-1945, qui s’affirma dans la lignée du romantisme nervalien comme l’un des maîtres de la poésie onirique) accumule les expressions métonymiques tirées de la langue populaire (les métonymies sont soulignées). Essayer de le continuer en trouvant d’autres métonymies. Le poème en entier sera donné lors du prochain atelier.

C’était un bon copain
Il avait le cœur sur la mainEt la cervelle dans la lune

C’était un bon copain
Il avait l’estomac dans les talonsEt les yeux dans nos yeux

C’était un triste copain
Il avait la tête à l’envers...

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BOURDEREAU, Frédéric, FOZZA, Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 34.

DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 302.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., p. 1424.

GREVISSE, Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., pp. 263, 721.

LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 3870, t. 6, p. 6502.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 64-65.

REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 1232.

THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiche 40.


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La litote : « Le loup n'est pas un gentilpetit animal de compagnie... »
et la prétérition : « Je ne vous dirai pas
combien j'ai été affectée par
cette nouvelle 
»

La prétérition est une figure de rhétorique dans laquelle on feint de passer sous silence ce sur quoi on attire l'attention, une figure dans laquelle on feint de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit clairement et même avec force. Par exemple : « Je ne vous dirai pas combien j'ai été affectée par cette nouvelle ». L'atténuation est absolument illusoire et l'énonciation (« Je ne vous dirai pas ») contredit l'énoncé.

La prétérition est une contradiction : ce qui est sous-entendu est le contraire de ce qui est dit.

On parle aussi de paralipse (figure du discours par laquelle le locuteur met en relief une idée en prétendant ne pas la développer) et de prétermission (forme vieillie de prétérition).

Le nom féminin la prétérition est emprunté à la Renaissance (1510) au bas latin praeteritio, -onis, désignant l'action de passer devant, spécialement, au figuré, le fait de passer sous silence sur son testament et, en rhétorique, de déclarer que l'on ne parle pas d'une chose.

Le mot a été repris avec son sens juridique (le gascon utilise pretericion dès 1314) et a retrouvé au XVIe siècle (1577) son acception spéciale en rhétorique (figure par laquelle on parle d'une chose en déclarant qu'on n'en parlera pas) remplaçant prétermission.

***

La litote est une figure de rhétorique qui consiste à dire le plus en disant le moins. C'est une figure de la réticence, de l'atténuation, de l'affaiblissement de la pensée, par une restriction volontaire du discours.

Dans la litote, il ne s'agit pas d'exprimer le « degré » d'un sentiment, mais sa « présence » (essentielle). Elle est une opération bien plus mentale que visuelle.

Elle est un détour intellectuel, dont l'origine est la pudeur ; elle est une figure de pensée où la sobriété, la mesure et la pudeur sont de rigueur, même feintes.

Si par sa lettre, elle est une diminution du sens, par son esprit, elle en est une majoration, et peut être comprise comme hyperbolique. Quand on minimise le signe, on intensifie l'effet restant. Exemples :

Ce n'est pas mal (pour : C'est très bien).

Ce n'est pas triste (pour : C'est très gai).

Va, je ne te hais point (pour : Je t'aime), extrait du : Cid, de Corneille.

Il a su me toucher (pour : Il m'a bouleversée).

Ce n'est pas mauvais (pour : C'est très bon).

Ce spectacle n'est pas sans intérêt (pour : Ce spectacle est très intéressant).

Je crois qu'il ne m'est pas indifférent (pour : Je suis sûre qu'il me plaît).

Ça n'est pas pour me déplaire (pour : Ça me plaît beaucoup).

Le nom féminin la litote, d'abord écrit liptote (1521), puis refait en litote (1730), est emprunté au bas latin des grammairiens litotes, lui-même pris au grec litotês (simplicité, absence d'apprêt), en rhétorique figure laissant entendre plus que l'on ne dit. Le mot dérive de litos (simple), employé à propos de vêtements, de la nourriture (encore en grec moderne : frugal), de la manière de vivre, du style et même de personnes. Cet adjectif appartient au groupe de lis (lisse) dont la racine °lei-, li- ne semble pas se retrouver dans d'autres langues.

Le mot dénomme un procédé stylistique qui consiste à dire moins pour faire entendre plus et, par métonymie, l'expression qui applique ce procédé (1867).

L'adjectif rare et didactique litotique est employé par Roland Barthes (1953, litotique : qui utilise la litote, style litotique) [critique et sémiologue français, 1915-1980, professeur au Collège de France à partir de 1976].

La litote est fréquente dans la littérature classique (pudeur des sentiments, respect des bienséances) et chez certains auteurs contemporains comme Albert Camus [écrivain français, 1913-1960, prix Nobel de littérature en 1957 ; d'après lui, la littérature, la politique ou la métaphysique ne produisent que des illusions dont il faut prendre conscience pour tenter de forger, au gré des engagements, sa propre liberté ; c'est pour traduire cette pensée que son style dépouillé donne l'illusion de la neutralité] ou Marguerite Duras [écrivain et cinéaste française, 1914-1996, prix Goncourt en 1984 avec L’Amant].

La litote est une atténuation concernant l'énonciation d'un message. En décidant d'écrire en deçà de sa pensée et de ses sentiments, un auteur peut choisir d'employer la litote et l'euphémisme (qui sont deux écarts de style, l'euphémisme ayant comme rôle d'adoucir des idées déshonnêtes, désagréables, dures ou tristes),

ou bien il peut choisir de pratiquer l'exténuation (atténuation d'un texte entier), par exemple : « C'est un film parfois un peu simple, plus proche d'un mélodrame que d'une tragédie racinienne. Il ne suscite pas l'enthousiasme, on peut même ne pas le voir » pour : « Ce film est franchement simpliste, schématique comme un mélodrame, sans intérêt »,

ou même rechercher un style « blanc ». Une écriture et un style sont appelés « blancs » lorsque l'auteur livre un minimum d'idées et de sentiments, avec le minimum de moyens syntaxiques – phrases simples, courtes et laconiques – comme s'il n'était pas impliqué ; ce type de style, qui minore la présence de l'émetteur, accroît l'importance de l'énoncé ; les silences créent des effets de distanciation ; le lecteur, intrigué, s'efforce de les interpréter.

***

Consignes :

1. Dans cet extrait de L’Amant, de Marguerite Duras, transformer le style « blanc » de l'auteur en imaginant (et en les intégrant au texte) les paroles, les pensées, les idées, les émois ou les sentiments des personnages, et en intégrant des prétéritions (Je ne dirai rien de son élégance, qui... ; Je ne parlerai pas de... ; Sans insister sur sa timidité, qui... ; Sans compter que...).

L'homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d'homme et aux chaussures d'or. Il vient vers elle lentement. C'est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d'abord. Tout d'abord il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n'est pas blanc, il doit la surmonter, c'est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu'elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d'autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille.

2. À l'inverse de l'exercice précédent, transformer l'extrait suivant de Le Silence de la mer, de Vercors, en lui conférant un style « blanc » (phrases simples et courtes, réduction de l'information, distanciation, sobriété des moyens stylistiques, etc.)

Le petit garçon mit sa petite main dans celle de son père sans s'étonner puisque c'était déjà une vieille habitude. J'aime bien la main de mon père, elle est chaude et douce, bien plus grande que la mienne, elle est forte et moi je suis tout petit, pensait-il. Toutefois, il se rendait compte qu'il y avait bien longtemps qu'il ne l'avait pas fait. Ils sortirent du jardin et il vit que Maman avait mis un pot de géranium à la fenêtre de la cuisine, comme elle le faisait habituellement, quand papa sortait. Il aimait bien le rouge des pétales à côté du vert nénuphar des grands feuilles crénelées. C'était un peu drôle. Il faisait un temps splendide. Certes, il y avait des nuages, mais ils étaient informes et tout effilochés. Le petit garçon n'avait pas envie de les regarder. Il regardait le bout de ses petits souliers plein de poussière – il avait oublié de les décrasser hier au soir après qu'il était rentré d'une course dans les champs boueux – il regardait le bout de ses petits souliers qui chassaient devant eux les graviers de la route. Papa regardait en coin les pas qu'il faisait, sans être dupe du jeu avec les cailloux et il ne disait rien, alors que d'habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit-là.

Cela pourrait donner ces résultats-là :

Texte 1 :

L'homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Je ne dirai rien de son élégance, qui, sans être outrancière est un peu tape à l’œil. On s'aperçoit vite qu'il aime porter son costume de lin blanc comme une armure, comme un repoussoir, comme un décor, complété par la cigarette qu'il porte à sa bouche lentement, nonchalamment, précieusement, installant une distance infinie, le croit-il volontiers, entre lui et les autres. Et pourtant ses pensées sont à l'opposé de ce qu'il laisse paraître. Je connais cette jeune fille, je la connais même depuis très longtemps. Comment s'appelle-t-elle, déjà ? Clarisse ? Émeline ? Hortense, oui c'est bien son prénom, comme le nom d'une fleur, Hortense... Il regarde la jeune fille au feutre d'homme et aux chaussures d'or. Il vient vers elle lentement. Sans insister sur sa timidité qui est aussi visible que palpable, je ne parlerai pas de sa pudeur maladive qui le fait repousser tout contact humain. Il ne sourit pas tout d'abord. Tout d'abord il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Elle est si jeune et si fraîche, existerait-il un lien entre nous deux ? pourquoi elle ? pourquoi moi ? par quel mystère éprouvant et inhumain sommes-nous mystérieusement attachés, Hortense et moi. Il y a cette différence de race, il n'est pas blanc, il doit la surmonter, c'est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu'elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d'autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille. Elle aime son regard doux et bienveillant, quoique inquiet. Elle ne comprend pas son inquiétude.

Texte 2 :

Le petit garçon mit sa main dans celle de son père sans s'étonner. Pourtant, il y avait longtemps, pensait-il. On sortit du jardin. Maman avait mis un pot de géranium à la fenêtre de la cuisine, comme chaque fois que papa sortait. C'était un peu drôle. Il faisait beau, - il y avait des nuages, mais informes et tout effilochés, on n'avait pas envie de les regarder. Alors le petit garçon regardait le bout de ses petits souliers qui chassaient devant eux les graviers de la route. Papa ne disait rien. D'habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit-là.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 288, 379.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 4, p. 865, t. 5, p. 1179.

LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 3554, t. 5, p. 4983.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 72.

REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1137, 1626.

THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 90, 91.


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Niveaux de langue, langages, registre, style
«
 Mignonne, allons voir si la rose... »
ou : «
 Viens par ici ma poulette ! »
ou encore : «
 Mademoiselle, seriez-vous
disposée à m'accompagner
pour visiter le jardin ? 
»

Langage

Langage, langue : ces deux mots ne diffèrent que par la finale « age » qui, étant la finale « aticus » des latins, signifie ce qui opère, ce qui agit. C'est là ce qui fait la nuance des deux mots.

La langue est plutôt la collection des moyens d'exprimer la pensée par la parole ; le langage est plutôt l'emploi de ces moyens. C'est la nuance que l'on aperçoit, par exemple, entre la langue française et le langage français. Pour la même raison, on dit le langage par signes, le langage des yeux, et non la langue par signes, la langue des yeux. La langue du cœur, ce sont les expressions dont le cœur se sert d'ordinaire ; le langage du cœur, ce sont les émotions que le cœur fait partager (1870).

Au propre, le langage, c'est l'emploi de la langue pour l'expression des pensées et des sentiments. Le langage des oiseaux pour leur chant, le langage des animaux pour leurs cris, leurs rugissements, le langage des plantes, etc. Au figuré, c'est tout ce qui sert à exprimer des sensations et des idées. Le langage du geste pour le mime.

C'est vers 1361 que le langage est l'emploi particulier d'une langue envisagée sous son aspect formel, du point de vue de la correction et du registre. Ce n'est que vers 1587 que le langage est considéré par rapport aux idées exprimées et au contenu de la communication. Le mot est défini linguistiquement au XVIIe siècle comme un système de signes plus ou moins complexe servant à l'expression et à la communication (1662). Le mot s'emploie par extension, d'une manière plus ou moins flottante, à propos d'un ensemble de signe formant système (1867), par exemple dans le langage des parfums, le langage des couleurs.

Langue

La langue d'un auteur, c'est l'ensemble des mots et des tournures dont un auteur fait surtout usage, c'est le contenu de son discours, non par son thème mais par l'usage que l'auteur fait du vocabulaire (lexique) et des procédés syntaxiques (composition de la phrase, temps et mode des verbes). Par exemple la langue de Corneille, de Racine.

La langue de bois est une façon de s'exprimer qui abonde en stéréotypes et en formules figées.

Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes.
La raison seule est commune, l'esprit en chaque langue a sa forme particulière
,

extrait de : L'Émile, II, de Jean-Jacques Rousseau [écrivain et philosophe genevois de langue française, 1712-1778].

Un idiome est un parler propre à une région (dialecte, patois) ou à un groupe social ; Se former sur quelque chose, a le sens de : le prendre comme modèle, comme exemple.

Les niveaux de langue désignent les façons particulière de s'exprimer, l'usage du langage propre à un groupe ou à un individu.

La valeur du niveau est donnée par le vocabulaire employé et la tournure de la phrase, allant du langage commun, courant, général, ordinaire, quotidien, au langage simple ; du langage parlé, populaire, argotique, cru, libre,trivial, vulgaire, au langage littéraire, écrit, prosaïque (prose), poétique, lyrique, choisi, noble, relevé, soutenu ; du langage académique, châtié, guindé, affecté, amphigourique (compliqué, confus et obscur), précieux, au langage archaïque ou d'aujourd'hui, moderne, nouveau ; du langage clair, direct, expressif, au langage ésotérique, hermétique, secret, incompréhensible, confus.

En linguistique, on parle de niveaux de langue en tant que actualisations d'une langue, selon les caractéristiques d'un usage déterminé, et d'après la situation de communication, les possibilités et les intentions du locuteur, manifestées par des stratégies de discours. Les niveaux de langue, comme les registres et les styles, sont variables suivant le niveau social, culturel, de ceux qui parlent.

Registre

Le mot registre est l'adaptation (XIIIe siècle) de l'ancien français regeste (vers 1155), puis regestre (vers 1265) qui signifie « récit, histoire ». Ce mot rare a été repris au XIXe siècle par Maximilien Paul Émile Littré [1801-1881] dont les nombreux travaux philologiques et lexicographiques devaient aboutir à la publication de son œuvre principale : le Dictionnaire de la langue française (1863-1872).

Ce mot rare a aussi été repris à partir de 1870 par les historiens médiévistes pour désigner le répertoire chronologique enregistrant les actes issus des pouvoirs publics ou intervenus entre des particuliers.

Il est intéressant de noter que dès 1559 le mot désigne l'étendue des moyens dont quelqu'un dispose dans un certain domaine, d'abord à propos de la parole.

Les registres de la parole sont les utilisations que chaque sujet « parlant » fait des niveaux de langue existant dans l'usage social d'une langue (familier, standard, soutenu, populaire, cultivé, etc.). Car non seulement les manières de parler (et d'écrire) peuvent considérablement varier d'une personne à l'autre, de plus un même locuteur s'exprimera de façon extrêmement diversifiée selon les situations de communication dans lesquelles il se trouvera (on ne rédige pas de manière identique une lettre à sa mère et une lettre à un collègue de travail et une lettre à un supérieur hiérarchique). On distingue habituellement trois registres de langue : familier, standard et soutenu.

Le registre familier correspond au français parlé entre interlocuteurs placés sur un pied d'égalité, avec un lexique composé de mots courants, argotiques parfois, d'expressions imagées et pittoresques, d'écarts de style insolites, et dont la syntaxe est faite de phrases courtes, hachées ou inachevées, où les propositions (sous-phrases) sont juxtaposées plutôt que subordonnées, et qui admet beaucoup d'écarts dans l'agencement des groupes de mots.

Par exemple : Dans la salle à manger, on risquait pas de manquer de place. Et ça sentait drôlement bon. La cire, je crois bien, et même le miel sauvage. Y avait aussi des lilas. Tout ça annonçait des rupins !.

Le registre standard correspond au français écrit ou parlé entre des interlocuteurs qui ne se connaissent pas : le vocabulaire est informatif, neutre, composé de mots usuels compris sans difficultés par la majorité, parfois appauvris (pas de mots vulgaires, ni trop spécialisés, ni trop littéraires, pas d'emphase ni d'expressivité excessive), les phrases sont facilement compréhensibles et composées sur le modèle sujet + verbe + complément, dans le respect de la norme, sans recherche ni effet. Ce registre est utilisé dans la littérature dite « réaliste ».

Par exemple : Dans la salle à manger, très spacieuse, les meubles venaient d'être cirés.

Le registre soutenu ou « cultivé » (par nature le registre du style) correspond au français écrit ou écrit oralisé, utilisé dans des communications officielles ou institutionnelles et en littérature. Le vocabulaire est recherché, composé de mots précis, de mots rares ou abstraits, de mots riches en connotations ou polysémiques (qui présentent plusieurs sens) ; les phrases sont souvent complexes avec beaucoup de subordonnées, dans une recherche stylistique de la variété, obtenue par des écarts (antithèse, inversion, métaphore, métonymie, etc.) ou par l'emploi de certaines figures de rhétoriques (par exemple le zeugme, la syllepse, l'anacoluthe, l'abstraction, la synchyse, etc.).

Exemple : Dans la salle à manger, les reflets chatoyants que renvoyaient les meubles, les senteurs rares et raffinées de cire et de miel sauvage, les volutes voluptueuses des lilas sur la desserte, tout annonçait la liesse des sens et de l'esprit.

***

On a donc deux notions distinctes : le niveau de langue d'un texte, défini par l'analyse du lexique et de la syntaxe, et le registre de langue d'un auteur, soit lorsqu'il mélange plusieurs tons, plusieurs styles, plusieurs genres, ou au contraire lorsqu'il privilégie l'unité de ton, l'homogénéité lexicale (par exemple l'épopée et la tragédie, la satire et la comédie aux époques classiques).

Exemple :

Apporte le café, le beurre et les tartines
On dirait que le vent dit des phrases latines...

de Guillaume Apollinaire [poète français, 1880-1918],

où l'auteur mélange deux niveaux de langue (vocabulaire familier du premier vers, et registre soutenu du deuxième vers par utilisation de l'image du vent parlant en latin) et deux tons différents, celui de la prose (premier vers) à celui de la poésie (deuxième vers rimé) sans rendre pour autant cette dernière prosaïque, car les deux vers sont des alexandrins.

Dans les deux cas, niveaux de langue du texte et registre de langue de l'auteur, les clivages sont d'ordre lexical (argot et langue standard, vocabulaire technique et langue commune) ou/et d'ordre phonétique, morphologique, syntaxique et lexical (langue cultivée et langue populaire, langue courante et patois).

Consignes :

1. À l'aide des mots et expressions ci-après, composer une demande en mariage dans une unité de ton, d'abord dans une langue courante et commune (par exemple entre un homme et une femme qui se connaissent depuis l'enfance), puis dans une langue soutenue et cultivée (dans le cas où les amoureux ne se connaissent que très peu, mais sont issus d'un même niveau social élevé).

Chérir, aimer, avoir à la bonne, conter fleurette, faire les yeux doux, faire la cour, avoir dans la peau, en pincer pour, avoir le béguin, adorer, aduler, amoureux, amoureuse, jules, soupirant, cavalier servant, adorateur, affectionner, porter dans son cœur, attentionné, charmant, amène, chic, qui est d'un prix trop élevé, ça coûte bonbon, dispendieux, onéreux, coûteux, ruineux, hors de prix, faramineux, noce, mariage, hyménée, conjungo, se marier, convoler, épouser, épousailles, demande en mariage, fiançailles, accordailles, promesse de mariage, prétendant, la future, cœur, les époux, les conjoints, ma moitié, vie commune, de gaité de cœur, cri du cœur, à contre-cœur, aller droit au cœur, aimer de tout son cœur, donner son cœur.

Ça peut donner ceci, dans un registre familier :

Jean-Luc, 23 ans, chauffeur routier et ami d'enfance de Lucienne, coiffeuse de 21 ans, a proposé à celle-ci une promenade au bord du lac. Ils parlent de tout et de rien, quand tout à coup Jean-Luc se tourne vers Lucienne et lui déclare :

- Lucienne, tu le sais, j't'aime depuis l'enfance. Tu veux bien m'épouser ? Est-ce que tu m'aimes ? J'en suis sûr... Moi, je suis dingue de toi, j't'ai dans la peau.

- C'est chic de ta part. C'est vrai qu'ça fait des années que tu m'fais les yeux doux, j'vois bien qu't'as l'béguin pour moi. Moi aussi j't'aime. Mais j'ai la tête sur les épaules, moi. Un mariage, ça coûte bonbon, c'est hors de prix. T'as les moyens ?

- C'est pas si faramineux que ça. Écoute, j'ai une idée. Je vais économiser pendant toute la durée des fiançailles, ça te va ?

- Ça m'va, j't'ai à la bonne, toi. Viens là que j't'embrasse.

Ou cela, dans un registre soutenu :

Bertrand, 23 ans, organisateur de soirées mondaines à l'étranger, a été convié à une réception dans la demeure de la famille de Clarisse, étudiante de 21 ans, dont le père dirige un élevage de chevaux pur-sang et utilise fréquemment les services de Bertrand.

- Clarisse, ma chérie... Puis-je vous appeler ma chérie ?

- Faites, Bertrand, faites.

- Vous connaissez mes sentiments à votre égard.

- C'est-à-dire, Bertrand ?

- Eh bien, Clarisse, je vous adore, que dis-je, je vous adule. Je veux vous chérir toute votre vie, alors vous ne serez pas surprise si je vous demandais votre main. Je me mets à genou devant vous, ma chérie et je vous fais officiellement ma demande en mariage.

- Voyons, Bertrand, relevez-vous, tout le monde nous regarde. En avez-vous déjà parlé à Père ?

- Certainement, Clarisse. Il m'a même confié qu'il voyait en moi le parfait soupirant et le cavalier servant idéal.

- Eh bien, soit. Je vous permets de me faire la cour. Vous êtes si amène... et je suis si exigeante. Nous convolerons une fois les accordailles accordées... Bertrand la regarde, interloqué. Le contrat de mariage, Bertrand, le contrat de mariage. Un bon contrat de mariage fait d'heureuses épousailles et des époux heureux.

- Certainement, Clarisse, comme vous voudrez, ma chérie, dit Bertrand en la regardant des étoiles plein les yeux.

2. Composer une demande en mariage en incluant et en harmonisant au moins deux tons différents (par exemple commun et soutenu, ou bien argotique et cultivé, ou encore cru et précieux et ésotérique, etc.), soit parce que les amoureux appartiennent à deux classes sociales différentes, soit parce l'un (ou l'une) refuse la demande en mariage de l'autre, et utilise volontairement un niveau de langage éloigné de celui utilisé dans la demande.

- Chérie, je t'ai à la bonne, tu veux m'épouser ? Je te ferai la cour, si tu veux...

- Eh bien, c'est que...

- Oui ? Allez, me conte pas fleurette, j't'ai dans la peau.

- C'est que, un mariage, mon ami, c'est onéreux, hors de prix même. Et puis Père ne serait pas d'accord. Bien que je ne le porte pas dans mon cœur, car il est par trop sévère et strict, je lui doit obéissance et respect.

- Mais j't'aime moi, j'en pince sévère et même strictement que pour toi. Je suis prêt à te faire la cour, des années même, si tu y tiens...

- C'est que, j'ai de nombreux soupirants, tous plus beaux les uns que les autres, plus riches aussi... Laissons là, je ne tiens pas à vous vexer. Au revoir, mon ami. Restons-en là.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 22, 59.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 324, 406.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 4, pp. 664, 1924.

GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., pp. 17-19.

LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, pp. 3447, 3449.

NIOBEY Georges (dir.), 1997. Dictionnaire analogique, Paris, Larousse (Références Larousse).

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 20, 36.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1102, 1750.

THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiche 24.


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L'oxymore ou le clair-obscur

Le nom masculin l'oxymoron est emprunté au grec (1765) oxumôron (ingénieuse alliance de mots contradictoires), composé de oxu- (aigu, fin, spirituel) et de môros (mou, inerte, puis : sot, bêta, stupide, fou), terme sans étymologie établie. Oxumôros était employé en tant qu'adjectif au sens de fin, spirituel, sous une apparence de niaiserie ou d'obscurité.

Cette OBSCURE CLARTÉ qui tombe des étoiles. (Corneille)

Ce terme de rhétorique désigne une alliance de deux mots incompatibles, la réunion d'un mot et d'un autre mot exprimant son contraire, à des fins stylistiques, pour leur donner plus de force expressive. On emploie aussi la forme francisée oxymore.

Cette BELLE LAIDEUR et cette DOUCE VIOLENCE d'un BONBON AMER.
Suit un SILENCE ÉLOQUENT.

L'oxymoron est une figure de style qui consiste à forger une expression constituée de deux termes qui s'opposent. On distingue des oxymores strictement perceptifs, ou immédiatement sensibles (voir les exemples précédents), des oxymores de pensée, ou intellectuels (exemples suivants).

Cette PETITE GRANDE ÂME venait de s'envoler. (Victor Hugo)

Un même oxymore peut être tantôt « de perception », tantôt « de pensée », exemple avec l'oxymore « soleil noir » :

À certaines heures, la campagne était NOIRE DE SOLEIL, extrait de : Noces, d'Albert Camus [écrivain français, 1913-1960, prix Nobel de littérature en 1957], où le soleil, ordinairement associé à sa clarté ou à la couleur claire, peut aussi être aveuglant par son excès de clarté, et donc noir ; l'oxymore est dit « de perception »,

et,

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

extrait de : El Desdichado, de Gérard de Nerval [écrivain français, 1808-1855], où le soleil, naturellement associé à la chaleur et à la clarté, physique autant que spirituelle, renvoie ici le poète à sa mélancolie et à l'absence de chaleur et de lumière qui accompagne toute mélancolie, donc noire est la mélancolie qui rayonne comme un soleil (noir) ; l'oxymore est dit « de pensée ».

Opposer est une opération intellectuelle fondamentale, applicable à la connaissance du réel. L'oxymore fait partie des écarts de style qui mettent en valeur les oppositions. Il réunit deux mots ou deux expressions de nature antithétiques pour les rendre identiques. Cette alliance est donc la résolution d'une antithèse.

Printemps après printemps, de belles fiancées
Suivirent de CHERS RAVISSEURS...

Extrait de : La Vigne et la Maison, de Alphonse de Lamartine [poète français, 1790-1869, entré à l'Académie française en 1829 ; membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères en 1848].

L'oxymore relève d'une vision dialectique [la dialectique est l'ensemble des moyens mis en œuvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter, emporter la conviction, c'est la marche de la pensée reconnaissant l'inséparabilité des contradictoires (thèse et antithèse), que l'on peut unir dans une catégorie supérieure (la synthèse)]. Les contraires, qui par définition, appartiennent à des isotopies (secteurs du réel) différentes, sont unis dans une nouvelle isotopie.

Surgir du fond des eaux le REGRET SOURIANT... (Baudelaire)

Attention à ne pas confondre l'oxymoron et l'antithèse. L'antithèse oppose des mots, des phrases ou des ensembles plus vastes dont le sens est inverse ou le devient. Elle met en parallèle pour mieux opposer. Elle systématise, met en évidence, valorise l'un des éléments ou les deux, selon le contexte, sans résoudre leur opposition. Par exemple : Niort qui rit, Poitiers qui pleure (titre d'un article sportif, où Niort est l'équipe de football qui a gagné le match, et Poitiers l'équipe de football qui a perdu).

Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ;
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.

Extrait de : Le Cid (tirade de Chimène), de Pierre Corneille[poète dramatique français, 1606-1684, membre de
l'Académie française en 1647].

L'antithèse met en valeur la dualité d'une notion (vision manichéenne du réel), tandis que l'oxymore réunit deux sens opposés pour en proposer un troisième, synthèse des oppositions.

Philosophiquement, l'oxymoron traduit une rupture avec le principe d'identité hérité d'Aristote [philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de La Poétique et de La Rhétorique], pour qui « A est A, et A n'est pas non-A ». Il permet l'éclatement de la logique aristotélicienne et l'accès à une logique plus profonde. Il ouvre à une nouvelle logique où les contraires cessent d'être perçus « contradictoirement », selon le mot d'André Breton [écrivain français, 1896-1966, fonde avec Louis Aragon, Philippe Soupault et Paul Éluard en 1923 le mouvement surréaliste].

Comme tout paradoxe [en logique, un paradoxe est une proposition qui est à la fois vraie et fausse, exemple : le paradoxe du menteur – qui dit : « Je mens », où un menteur qui dit « Je mens » dit donc la vérité et n'est donc plus un menteur], l'oxymore révèle l'ambivalence de toute réalité, il est du côté de la « pensée ouverte », contre la « pensée close », selon l'expression employée par Henri Bergson [philosophe français, 1859-1941, entré à l'Académie française en 1914, prix Nobel de littérature en 1927] dans Les Deux sources de la morale et de la religion (1932).

Consigne : choisir quelques oxymores parmi les exemples précédents, ou construire des oxymorons à partir des mots suivants ou de mots choisis dans un dictionnaire, pour illustrer un récit de quelques lignes.

Les mots proposés sont les suivants : perdre-garder, altérer-conserver, vide-plein, saisir-lâcher, oublié-inoubliable, corriger-gâter, silencieux-bavard, préoccupé-tranquille, attentionné-égoïste, faiblesse-fermeté, distance-promiscuité, court-long, destruction-construction, clair-obscur, noir-blanc, parfum-remugle, froid-chaud, le mépris-l'estime, le passé-le futur, la présence-l'absence.

Cela pourrait donner ceci, avec :

Perdre-gagner => le gain de la perte,

Oublié-inoubliable => j'ai oublié l'inoubliable,

Le passé-le futur => le futur de mon passé.

J'étais à l'article de la mort. Et puis un médecin que certains jugeaient incompétent m'a prescrit un traitement connu de lui seul. J'ai rapidement perdu mes douleurs, mes angoisses, mon manque d'appétit, mes nausées, mes migraines, et j'en passe et des meilleures, et des vertes et des pas mûres. Je peux dès à présent assurer sans me tromper que LE GAIN DE LA PERTE s'est révélé inestimable, car j'ai retrouvé une santé florissante. De plus, j'ai OUBLIÉ L'INOUBLIABLE : je ne me rappelle plus du tout à quel point mes douleurs et mes souffrances étaient abominables. Comme j'étais loin d'imaginer à quel point LE FUTUR DE MON PASSÉ serait agréable et euphorisant. J'en veux pour preuve ce tour du monde en vélo que je viens d'achever.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BERTAUD DU CHAZAUD Henri, 1999. Dictionnaire de synonymes et contraires. Paris, Le Robert (Collection Les usuels).

BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 148.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 339.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 5, p. 91.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 100.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 1398.

THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 56-59.


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La poésie française : poèmes et poétique,
«
 C'est tout un poème »

(…) Devant elle soudainement,
De mon cheval je descends,
Et lui dis : « Pastore amie,
De bon cœur à vous me rends
Faisons de feuilles courtine
Pour s'aimer mignotement. » Aé !

Extrait de : Pastourelle, de Jean de Brienne [lettré français, roi de Jérusalem en 1210 et empereur de Constantinople
de 1231 à 1237, 1144 ?-1237].

Remarque : une courtine désigne au moyen âge un rideau de lit, ici c'est un rideau de feuillage.

Chez Roman Jakobson [linguiste américain d’origine russe, 1896-1982, dont l’activité interdisciplinaire (anthropologie, folklore, psychanalyse, théorie de l’information) lui permit de proposer nombre d’hypothèses et de modèles stimulants], la fonction poétique est la fonction du langage par laquelle un message peut être une œuvre d'art.

La langue française ne présente pas seulement des variétés géographiques, il y a l'opposition entre langue parlée et langue écrite. La langue parlée comprend divers registres, tandis que sous le concept langue écrite, on peut distinguer : la langue écrite courante (écrits scientifiques vulgarisés, journaux, etc.), la langue littéraire, et la langue poétique.

La langue poétique se réalise surtout dans la poésie classique : la forme est particulière, c'est le vers mesuré (on compte le nombre de syllabes qui le composent) et rimé ; beaucoup de mots de la langue courante sont exclus ; les romantiques se libéreront de certaines de ces contraintes :

Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier
(…)
Je nommai le cochon par son nom (…)
Dans l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse
(…)
J'ai dit à la narine : Eh mais ! tu n'es qu'un nez !
J'ai dit au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire !
(…)

Extrait de : Les Contemplations, de Victor Hugo [écrivain français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841, il apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis exilé de 1851 à 1870 ; il fut l'auteur d'une œuvre considérable et variée]

(…) Le Clovis de Desmarets, la Pucelle de Chapelain, ces poëmes fameux par leur ridicule, sont, à la honte des règles, conduits avec plus de régularité que l'Iliade.
(…) La honte qu'on a si longtemps reprochée à la France de n'avoir pu produire un poëme épique.
(…) Ce père de la poésie [Homère] est depuis quelque temps un grand sujet de dispute en France ; Perrault commença la querelle contre Despréaux...

Extraits de : Essai sur la poésie épique, de Voltaire [François Marie Arouet dit, écrivain français, 1694-1778, élu directeur de l'Académie
française en 1746].

Remarques :

1. L'Iliade est le premier chef-d’œuvre de la littérature grecque, et il forgea la conception de l'épopée pour les Grecs et les Latins, mais aussi pour les Modernes. Ce poème épique, attribué à Homère (poète né en Ionie, au IXe siècle avant J.-C.) comme l'Odyssée, est composé de 15537 vers divisés en 24 chants, et raconte un épisode de la guerre de Troie (ou Ilion).

2. La dispute évoquée par Voltaire est celle déclenchée en 1687 par Charles Perrault et à laquelle participa Despréaux (Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux), appelée aussi Querelle des Anciens et des Modernes et qui fut une polémique littéraire qui opposa en France à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, les tenants de la supériorité des auteurs modernes (Charles Perrault, Bernard de Fontenelle, etc.) aux partisans des auteurs de l'Antiquité (Nicolas Boileau, Jean Racine, Jean de La Fontaine, Jean de La Bruyère).

Première forme de littérature, la poésie fut longtemps purement orale : elle exigeait des moyens mnémotechniques qui déterminèrent longtemps sa forme versifiée.

Plusieurs mythes grecs s'interrogent sur l'origine de la poésie : tous reconnaissent en elle un art d'inspiration surnaturelle indissociable de la musique. Trois types de poésie en découlent :

> 1. Le lyrisme, qui trouve sa source dans le mythe d'Orphée. Il exprime une souffrance personnelle ; les Poèmes saturniens (1866) de Paul Verlaine [poète français, 1844-1896, auteur de Poètes maudits (1884) consacrés à Tristan Corbière, Stéphane Mallarmé et Arthur Rimbaud, et de Jadis et Naguère (1884) qui contient L'Art poétique] en tirent leur principale signification.

Remarque : la légende d'Orphée est l'une des plus obscures de la mythologie grecque ; Orphée était fils du roi Œagre et de la muse Calliope, son chant charmait les dieux et les mortels, apprivoisait les fauves, parvenait même à émouvoir les êtres inanimés. Affligé par la perte définitive de son épouse, après qu'il soit descendu aux Enfers pour obtenir le retour à la vie de celle-ci, Orphée reste jusqu'à la fin inconsolable et solitaire, puis il est mis en pièces par les Ménades (les nymphes du cortège de Dionysos) ou foudroyé par Zeus, c'est selon.

> 2. Le Dionysisme (de Dionysos, dieu de la vigne, de l'ivresse) transporte le poète au-delà de la réalité. Arthur Rimbaud [poète français, 1854-1891, dont la brève œuvre est l'une des sources majeures de la mutation poétique moderne, influençant le surréalisme après le symbolisme] dans Une saison en enfer (1873) ; ou Guillaume Apollinaire [poète français, 1880-1918, dont la poésie fut mise en musique par de nombreux musiciens (Honegger, Poulenc, Chostakovitch, etc.)] dans Alcools (1913), l'illustrent.

> 3. L'apollinisme (d'Apollon, dieu de la musique, de la divination et de la poésie) cherche, par un travail ardu sur la langue et les formes, à ordonner le monde ; Stéphane Mallarmé [poète français, 1842-1898, influença fondamentalement la conception moderne du poétique], Paul Valéry [écrivain français, 1871-1945, entré à l'Académie française en 1925], orfèvres du langage, en relèvent.

Seulette suis, et seulette veux être,
Seulette m'a mon doux ami laissée.
Seulette suis, sans compagnon ni maître,
Seulette suis, dolente et courroucée,
Seulette suis, en langueur malaisée,
Seulette suis, plus que nulle autre égarée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Extrait de : Seulette suis, sans ami demeurée : ballade, de
Christine de Pisan [écrivain français, 1363?-1431]

Poème, poète, poésie, poétique, poéticien : une même racine, poiein.

Le nom masculin poème est emprunté (1213, puis 1370) au latin poema, -atis (ouvrage de vers et poésie en général, par opposition à prose). Poema est emprunté au grec poiêma qui désigne ce que l'on fait, une création : une œuvre, un ouvrage manuel et une création de l'esprit, spécialement une œuvre en vers. Poiêma est dérivé de poiein (faire, fabriquer, produire, créer, dans le sens qu'a l'anglais to make, par opposition à to do) ; poiein signifie également causer, agir.

Poiein a également donné poiêtês (en grec), poeta (en latin), et poète (en français, vers 1150) ; il a aussi donné poiêsis (en grec), poesis (en latin), et poésie (en français, 1370).

L'adjectif verbal de poiein, poiêtos a donné poiêtikos (en grec), poeticus (en latin), l'adjectif poétique (en français, 1372-1374).

Le nom féminin la poétique est le dernier emprunt des mots de cette famille (1599), de poiêtikê (en grec) et poetica (en latin). Après une première attestation de sens incertain, le mot désigne (1637) le célèbre traité La Poétique d'Aristote [philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de La Poétique et de La Rhétorique] ; il se dit ensuite de l'ensemble des conceptions propres à une école, une époque, un pays (après 1750). Les linguistes et critiques modernes l'appliquent à la théorie de la création littéraire, en référence à la fois à Aristote, Paul Valéry, et Roman Jakobson. Les noms communs un poéticien et une poéticienne en sont dérivés (vers 1950).

Roland sent que la mort l'entreprend,
Et dans la tête et le cœur lui descend.
Dessous un pin il va courant
Et sur l'herbe verte s'allonge,
Plaçant sous lui épée et olifan...

Extrait de : La Chanson de Roland : poème épique, d'un auteur inconnu
[La Chanson de Roland est une des plus anciennes chansons de geste
qui nous ont été conservées ; elle date du dernier tiers
du XIe siècle ; ce poème est composé d'environ quatre mille vers].

Présentant d'innombrables sous-genres, la poésie a revêtu au cours des siècles des formes extrêmement variées. On les distingue d'abord par leur inspiration, épique, lyrique, didactique ou satirique.

On peut aussi s'appuyer sur une typologie plus formelle, classifiant des poèmes construits selon des règles contraignantes (lai, ballade, ode, sonnet, pantoum, etc.)

Au XIXe siècle, on assiste à une profonde remise en cause des règles traditionnelles : Le Centaure (1840) de Maurice de Guérin [poète français, 1810-1839], Gaspard de la nuit (1842) d'Aloysius Bertrand [écrivain français, 1807-1841, précurseur du surréalisme], et Le Spleen de Paris (1869) de Charles Baudelaire [écrivain français, 1821-1867, a énoncé les principes créateurs de la poésie moderne, du symbolisme au surréalisme] inaugurent l'usage du poème en prose. La poésie moderne va largement confirmer cette tendance en dissociant l'écriture poétique de la stricte versification.

Longtemps asservie aux règles de la versification classique et aux lois des genres, la poésie commence à s'en libérer au XIXe siècle avec le romantisme [mouvement culturel et artistique qui s'est répandu en Europe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, et qui est caractérisé par un changement de sensibilité et une rupture par rapport au classicisme et au rationalisme] et le symbolisme [mouvement poétique, littéraire et artistique, principalement français, de la fin du XIXe siècle, qui se constitua en réaction contre le réalisme trop descriptif et le naturalisme trop scientifique]. Du vers libéré au verset et au poème en prose, la poésie s'est métamorphosée, tout en se donnant de nouvelles règles.

> Les vers libres sont des vers de longueur inégale (hétérométrie) qui riment et restent réguliers ; on les rencontre surtout dans les fables, en poésie lyrique légère, ou dans des poèmes humoristiques :

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron,
Qui saisit maître Aliboron.

Extrait de : Les Voleurs et l'âne, de Jean de La Fontaine [poète français, 1621-1695, eut la charge de « maître des Eaux et Forêts »,
entré à l'Académie française en 1684
]

> Les vers libérés, comme les vers libres, sont de longueur inégale, de mètre pair ou impair ; la rime disparaît ou devient occasionnelle ; souvent ils voisinent avec des vers réguliers ; pour éviter le risque de prosaïsme, le poète développe les compensations : parallélismes syntaxiques, répétitions, recherches rythmiques, richesse du vocabulaire et des images :

Qu'il fait beau
Sur ces plateaux de déserts et de charmilles
Dans la désolation blessée des antres verts !

Extrait de : Matière Céleste (1964), de Pierre-Jean Jouve [écrivain, poète, romancier et critique français, 1887-1976].

Remarques : le mètre est la mesure du vers caractérisé par : le nombre de syllabes qui le composent, et la coupe ou césure. Le mètre est dit pair ou impair. Pair comme l'alexandrin (vers de 12 syllabes), ou le décasyllabe (vers de 10 syllabes), ou l'octosyllabe (8 syllabes), etc. Impair comme l'ennéasyllabe (vers de 9 syllabes) prôné par Paul Verlaine en raison de sa légèreté, ou l'heptasyllabe (7 syllabes) que l'on trouve souvent dans les vers mêlés.

> Lorsqu'un vers libéré occupe deux ou trois lignes, il devient un verset, caractérisé par son ampleur et par une houle rythmique, à valeur souvent incantatoire (il convient en effet à une expression à la fois lyrique et dramatique). Hormis les textes religieux, le verset a été utilisé avec bonheur par Paul Claudel [poète et auteur dramatique français, 1868-1955, diplomate, consul, puis ambassadeur de France, entré à l'Académie française en 1946 ; il élabora une rhétorique personnelle dont la forme typique fut le verset « ce vers qui n'avait ni rime ni mètre » accordé au souffle humain], Saint-John Perse [Alexis Léger dit, diplomate et poète français, 1887-1975, prix Nobel de littérature en 1960] et Jean Grosjean [poète et écrivain français, traducteur et commentateur de textes bibliques, 1912-2006] :

Passé la ville dont les regards vitreux épiaient la brume, nous n'eûmes pour soleil que le grand nid défait qui pend aux branches.
Le froid t'enveloppait de son manteau quand tu enjambas les frontières dérisoires sans t'inquiéter des assauts à venir.

Extrait de : Élégies (1962), de Jean Grosjean.

On accorde à la poésie quatre intentions fondamentales :

> 1. Dire le monde : la poésie se fait peinture pour montrer l'univers, sa beauté (les poètes du Parnasse) ou caricaturer toutes ses tares (Boileau, Satires, 1660-1668).

> 2. Énoncer une idée : ce souci domine les poèmes didactiques de Voltaire (Le Mondain, 1736). Victor Hugo prétend même que « le vers est la forme optique de la pensée » (Préface de Cromwell, 1827). Les réflexions métaphysiques de Vigny (La Maison du Berger, 1843) ou la poésie dite engagée comme celle de Paul Éluard [Eugène Grindel dit, poète français, 1895-1952 ; participe aux activités du mouvement Dada ; fonde avec Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton en 1923 le mouvement surréaliste] traduisent des conceptions voisines.

> 3. Suggérer émotions et sentiments : c'est la vocation principale du lyrisme.

> 4. Transformer le monde : il s'agit de le voir autrement. Le poète, tel Arthur Rimbaud (Le Bateau ivre, 1871), donne naissance à un univers transfiguré par la magie de son verbe créateur.

Consigne : transformer ce texte (en prose) en poème en vers libérés, et l'enrichir avec des écarts de style. Un exemple de transformation sera donné au début de l'atelier suivant.

La ville paraît à peine habitée. Il y a bien des rues et des maisons mais si un homme a soif, personne ne lui donne à boire et si l'on a faim, les portes restent fermées. Les villes ont été créées en des lieux sans chansons ni pain pour les égarés, sans regards féminins pour les hommes.

Maisons = Hautes demeures,

Lieux sans chansons = Terres arides où le chant est banni,

Les égarés = Le voyageur égaré,

Les hommes = L'homme hanté d'amour,

Etc.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 48, 70.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 368.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.

GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., p. 17.

LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 5, p. 4797.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 40-54.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 1558.


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Les champs sémantiques etles champs lexicaux

Avant de commencer l'atelier sur les champs sémantiques et les champs lexicaux,

Il a été demandé dans la consigne de l'Atelier précédent (n° 24, du 18 mai 2013) intitulé : La poésie française, de transformer un texte (en prose) en poème en vers libérés.

Voici un exemple de transformation d'un texte (en prose) en poème en vers libérés, extrait de : Contre Solitude (1946), d'Ilarie Voronca [Éduard Marcus, poète et écrivain français d'origine roumaine, 1903-1946] :

Est-ce un lieu habité ici, est-ce un désert ?
Quelles sont donc ces rues et ces hautes demeures ?
Un homme a soif et nul ne lui apporte à boire
Je m'écrie « J'ai faim », et nulle porte ne s'ouvre.
Villes ! On vous a bâties sur des terres arides
Où le chant est banni, où la haine triomphe,
Ni pain, ni sel pour le voyageur égaré
Ni doux regard de femme pour l'homme hanté d'amour.

***

Les champs sémantiques et les champs lexicaux

Le nom masculin champ, d'abord camp (1080) à côté de champ (1080) est issu du latin campus (camp, campagne), mot probablement autochtone (d'une ancienne langue d'Italie ?) désignant originellement la plaine, par opposition à mons (la montagne). Cédant ce sens géographique au mot plana (plaine), il s'est spécialisé aux sens de plaine cultivée, terrain d'opérations militaires, domaine d'action (au propre et au figuré), et campagne, par opposition à urbs (la ville), tous sens repris par le français.

Le sens figuré s'est développé à partir du XVIe siècle, à la fois en locutions (sur-le-champ, 1538 ; à tout bout de champ, 1611) et en emploi autonome au sens de domaine d'action. Ce dernier a reçu en technique l'acception restreinte de secteur délimité, réalisée dès le XIIIe siècle en héraldique et qui a fait fortune en optique (1753), désignant à la fois le secteur dont tous les points sont vus dans un instrument, la portion d'image enregistrée par l’œil (champ visuel) ou, récemment, par la caméra (1911 ; d'où hors-champ, contrechamp, 1929).

Au cours du XXe siècle, le mot est entré dans d'autres vocabulaires scientifiques : anatomie, physique avec champ magnétique (1854), champ électrique (1881), champ de force (1881) etc., mathématiques, linguistique avec champ sémantique (ensemble structuré de sens) traduit de l'allemand Begriffsfeld (Just Trier [linguiste allemand, 1894-1970, pour qui « chaque langue représente un système unique de représentations et de catégorisations du monde »]), champ lexical (ensemble structuré de mots), champ conceptuel (ensemble structuré de concepts), champ notionnel (ensemble structuré de notions), sociologie, etc.

Déterminer un champ, en linguistique, c'est chercher à dégager la structure d'un domaine donné ou en proposer une structuration.

Les champs linguistiques comprennent aussi bien le champ sémantique d'un mot (par exemple avec le mot père : celui qui a un ou plusieurs enfants, le grand-père, le père de famille, le père putatif (que l'on pense être tel), le père adoptif, le père nourricier, le beau-père, le père d'une lignée (l'ancêtre, le patriarche), le père spirituel, le Saint-Père (le pape), les Pères de l'Église, le Révérend Père, etc.),

le champ lexical d'une famille de mots (par exemple avec les mots père, mère, frère, soeur : auteur, géniteur, papa, aïeul, ancêtre, ascendant, chef, origine, patriarche, souche, tige, créateur, fondateur, parents, maman, cause, source, génitrice, mère poule, matrice, fils, fille, frangine, enfant, frangin, frérot),

ou le champ lexical d'une réalité extérieure à la langue (exemple avec le mot la parenté : l'affinité, l'alliance, l'apparentement, la consanguinité, la famille, le lignage, la filiation, dans différentes sociétés et dans différents pays).

Dès lors qu'ils sont partie prenante d'un énoncé et non pas considérés isolément comme des unités purement syntaxiques ou grammaticales, les mots entrent dans des réseaux de significations et se font écho à l'intérieur d'un texte.

On nomme champ sémantique l'ensemble des sens ou des nuances couverts par l'emploi d'un mot récurrent ou non. L'étude du champ sémantique permet d'apprécier les différents sens, emplois et valeurs d'un terme, selon le contexte dans lequel il est utilisé. Un mot qui présente de nombreuses occurrences (par exemple le terme changer a pour occurrences changeant, changé, le changement, etc.) à l'intérieur d'un texte, dans des contextes variés, et dont le champ sémantique est large, est qualifié de mot-thème.

On appelle champ lexical l'ensemble des mots qui peuvent se regrouper autour d'un même thème ou d'une même notion. On établit les champs lexicaux d'un énoncé en tentant des rapprochements fondés sur la contiguïté des significations, sur la parenté des thèmes, et en étudiant les interférences entre les champs lexicaux, qui peuvent être la source d'images prolongées. Le croisement de deux ou plusieurs champs lexicaux présents dans un texte, permet de mettre en évidence le fonctionnement des images structurantes et d'en dégager des métaphores, allégories ou symboles (voir à ce sujet l'Atelier n° 22 du 7 mai 2013, intitulé : Métaphores et allégorie).

Dans un texte plus long qu'un poème ou qu'un extrait de roman ou qu'une nouvelle, la présence récurrente de certains champs lexicaux crée des échos et des parallélismes de sens que l'on nomme motifs. Lorsqu'ils sont établis, les motifs d'une œuvre permettent de mettre en lumière les idées clés, les passions, les hantises parfois, conscientes ou non, bref le style de l'écrivain, et de révéler les sens profonds d'un texte.

Par exemple, dans cet extrait de L'Or (1925), de Blaise Cendrars [écrivain français d'origine suisse, 1887-1961], où l'on peut repérer et regrouper tous les mots ayant un sème commun [un sème est un élément de sens permettant le rapprochement entre certains termes]. On peut regrouper dans une seule isotopie (secteur du réel) de nombreux mots qui tous appartiennent au champ lexical de la parole : menteurs, bavards, vantards, hâbleurs, taciturnes, mot immense, récits, disent, parlent... Certains de ces termes sont en outre affectés d'un sème supplémentaire, celui d'une parole excessive ou déformante. À partir de cette isotopie simple, plus précisément d'une isotopie lexicale (ou association de mots présentant au moins un élément de sens en commun), va se dégager le motif de la représentation fabuleuse de l'Ouest américain, fondée sur la reproduction et la déformation des récits initiaux.

Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.

L’Ouest.

Mot mystérieux.

Qu'est-ce que l'Ouest ?

Quatre procédés conduisent à la constitution d'un champ lexical : la désignation (par synonymie, définition, explications...), la caractérisation (par adjectifs, adverbes, verbes), les propos (ce qu'on pense du thème), et l'apparition de connotations (sens second, ou sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel).

Quant à la constitution d'un champ sémantique, la condition première est la répétition d'un mot ou de ses occurrences. À chaque répétition, le mot se charge de connotations (une connotation est un sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel) nées du contexte ou se nuance lors d'échanges connotatifs entre mots proches.

Consigne : écrire un petit récit avec le mot commander, en utilisant les 5 sens de ce mot (champ sémantique) et en piochant dans les champ lexicaux.

1. Commander = exercer une autorité sur quelqu'un, des soldats, une équipe (champ lexical : diriger, conduire, mener, donner des ordres, enjoindre, exiger, intimer, sommer, dominer, donner un ordre, être le maître, gouverner, un ordre, une sommation, un commandement, un commandant, une autorité, une direction, un pouvoir, une puissance, une injonction, un chef, une autorité, un despote, un poste de commande).

2. Commander = ordonner quelque chose à quelqu'un (prescrire, enjoindre, imposer, obliger, sommer, donner l'ordre de, décréter, contraindre, recommander, un conducteur,, un directeur, un dirigeant, un entraîneur, un maître, un patron).

3. Commander = demander une chose à un fabriquant, à un fournisseur (champ lexical : commander un meuble, un vêtement, retenir, faire fabriquer, faire confectionner, acheter, passer commande, un achat, un ordre, une commande, les commandes, marchandise commandée).

4. Commander = agir sur quelque chose (en parlant d'un mécanisme), faire fonctionner, déclencher, mettre en mouvement, en marche, levier, organe de transmission, câble, volant, commande de direction.

5. Commander = tenir les commandes (au figuré), diriger, avoir la haute main sur, un décideur, un rassembleur, un responsable, une tête, un poste de direction.

Cela pourrait donner ceci :

Dans une caserne militaire, le commandant donne un ordre à ses soldats. Un des soldats refuse d'obtempérer, il est emprisonné. Un autre soldat désobéit, idem. Un troisième déserte. Finalement, il y a une mutinerie au terme de laquelle la troupe prend le commandement. Le commandant, lui, prend la fuite. Mais la troupe ne sait pas se commander et elle se transforme en fournisseur de comptoir en laiton (il n'en restait que deux au monde). Le commandant, reconverti en patron de bar, commande un comptoir à la troupe. Ça fera 1300 euros, lui annonce un employé, payables au comptant.

- Soldat, je vous ai donné un ordre ! Obéissez !

- Vous aurez beau m'ordonner, m'intimer, me sommer, exiger, me contraindre même, je ne vous obéirez plus, mon commandant.

- Au cachot, trois semaines, pour vous donner le temps de réfléchir.

- Moi non plus, je ne vous obéirai plus, mon commandant, intervint un deuxième soldat. Je n'accepte plus l'autorité que vous exercez sur moi. Je refuse le pouvoir du chef. Je veux être mon propre chef, je ne veux obéir qu'à moi-même. Je veux être le seul à me commander, à me diriger. Je veux être mon propre patron.

- Même régime. Au cachot pendant trois semaines. On reparlera de tout ça après. Je ne suis pas sûr que vos bonnes intentions survivent à autant de pression. Vous rentrerez dans les rangs, comme les autres.

À ces paroles, et devant autant d'injustice, de despotisme affiché, le reste de la troupe se débande et s'enfuit. Le commandant reste seul au milieu de la cour, puis il sort de la caserne, monte dans sa voiture, et reste assis au volant, perdu dans ses pensées. Comment a-t-on pu en arriver là ? Qui a pu commander une telle débandade, quel a été le déclencheur, comment l'indiscipline et l'insubordination ont-elles pu se mettre en mouvement sans qu'il n'ait rien vu venir ? Quel levier, quel câble, quel organe de transmission, quelle commande de direction de la machine humaine, qu'il connaît pourtant sur le bout des doigts, a pu mettre en mouvement tous ces soldats jusque à présent obéissants, disciplinés et respectueux du moindre ordre par lui donné ?

Trois ans plus tard, le commandant, reconverti en patron de bar, monte dans sa voiture. Il démarre et il se dirige vers la sortie de la ville, où se trouve une société de fournitures pour bars et cafés, une des trois dernières entreprises au monde où l'on fabrique des comptoirs en laiton. Il a passé commandé six mois plus tôt pour un montant de 1300 euros. Etc.

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BERTAUD DU CHAZAUD Henri, 1999. Dictionnaire de synonymes et contraires. Paris, Le Robert (Collection Les usuels).

BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 30.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 81.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.

NIOBEY Georges (dir.), 1997. Dictionnaire analogique, Paris, Larousse (Références Larousse).

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 18, 70.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 385.


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Dénotation-connotation,
monosémie et polysémie

Un mot peut avoir un seul sens (monosémie) ou plusieurs sens (polysémie) et ce mot peut être pris séparément ou associé à d'autres. Seul ou associé à d'autres mots, un mot peut avoir un sens premier (on parle alors de dénotation) ou un second sens, voire un troisième, etc. (on parle alors de connotation).

Le langage, ne pouvant avoir autant de mots qu'il y a d'objets à désigner ou d'idées à exprimer, doit suppléer à cette insuffisance en donnant à un même mot plusieurs sens.

Nettoyage des accessoires de votre presse-agrumes

Pour le premier entretien, un rinçage à l'eau chaude suffit. Par la suite, vous pouvez mettre les accessoires au lave-vaisselle dans le panier du haut. N'utilisez ni éponge abrasive, ni tampon métallique, ni eau de javel pour nettoyer les accessoires, le bol et les couvercles.

Cet extrait du mode d'emploi d'un robot ménager presse-agrumes est un énoncé strictement monosémique, où le sens objectif de chaque mot sert à transmettre un message d'un grande précision et d'une grande justesse techniques, indispensable à sa bonne compréhension.

Un mot est dit monosémique lorsqu'il n'a qu'une seule signification, une seule acception - et non pas accepTAtion, quels que soient les contextes dans lesquels on l'emploie (par exemple : un séquoia = grand conifère de Californie, un dégât = destruction causée par un accident, etc.). La plupart des termes appartenant aux terminologies scientifiques n'ont qu'un sens (par exemple : laryngologie, névralgie, pluviométrie, etc.).

On distingue deux cas de monosémie. Premièrement, lorsque dans le dictionnaire, certains mots ont un seul sens dénoté (le sens objectif), par exemple : dégivrer = enlever le givre, un féculent = légume qui contient de la fécule, etc.

Deuxièmement, lorsque d'autres mots, dotés de plusieurs sens dénotés (donc polysémiques) dans le dictionnaire, n'en conservent qu'un seul dans un énoncé (par exemple dans la phrase : J'ai mangé un croissant chaud, où le croissant n'est évidemment pas celui de la lune, mais bien une pâtisserie feuilletée en forme d'arc de cercle).

Énoncé monosémique : Allongé dans le noir, il gardait les yeux ouverts tout en écoutant le silence de la chambre.

Énoncé polysémique : Ses yeux naviguaient dans le noir, ses oreilles s'emplissaient de noir. Il respirait, il happait du noir à pleine bouche, à pleines narines.

Extrait de : La neige en deuil (1952, p. 49), de Henri Troyat [romancier, essayiste et auteur dramatique français d'origine russe, 1911-2007, entré à l'Académie française en 1959].

Un mot est polysémique lorsqu'il porte au moins deux significations (par exemple : pétiller, qui signifie aussi bien Faire des petits bruits secs et répétés comme dans : « Le feu pétille dans la cheminée », que Faire des petites bulles de gaz comme dans : « Cette boisson pétille trop, ça pique ! », ou encore que Briller d'un vif éclat comme dans « Ses yeux pétillent de bonheur ».

Le concept de polysémie s'inscrit dans un double système d'oppositions : l'opposition entre polysémie et homonymie (par exemple : dessin et dessein qui malgré une étymologie commune sont traités en pratique comme deux unités distinctes, donc comme des homonymes ; ou encore LE pendule et LA pendule, le pot et la peau, etc.), et l'opposition entre polysémie et monosémie : cette deuxième opposition est semblable à l'opposition mot/terme, où le mot emprunté au vocabulaire en général peut être polysémique, et où le même mot devient un terme, avec une seule signification, par exemple dans une terminologie scientifique (exemple avec le mot polysémique fer = métal, objet, matière, qui devient en chimie le terme monosémique fer, symbolisé Fe).

On distingue trois types de polysémie :

> Premièrement, la polysémie par dénotation, lorsqu'un mot offre plusieurs sens dénotés (exemples : croissant = quartier de lune - pâtisserie feuilletée en forme d'arc de cercle ; peuple = ensemble des habitants d'un même pays - ensemble des citoyens de condition modeste).

> Deuxièmement, la polysémie par addition d'un sens dénoté (sens premier, objectif) et d'une ou plusieurs connotations (sens seconds, subjectifs). Exemple : or = métal précieux, monnaie - Affaire en or (affaire très avantageuse) - Âge d'or (époque de bonheur) - À prix d'or (très cher) - Cœur d'or (personne généreuse) - Livre d'or (recueil de signatures), etc.

> Troisièmement, la polysémie par écart de style, lorsque l'écart consiste en une substitution d'un mot par un autre, que le mot exprimé perd son sens dénoté (objectif) pour prendre celui du mot remplacé, et que ses connotations sont les siennes propres et celles du mot remplacé. Exemple : dans l'expression « L'offensive du froid » qui désigner une chute brusque de la température de l'air, le terme offensive perd son sens dénoté (attaque contre quelqu'un ou quelque chose), capte celui de forte poussée, et se charge des connotations de l’agressivité guerrière et de la rapidité.

Le mot féminin connotation est emprunté (1660) au latin scolastique connotatio (indication seconde, signification seconde). Le mot apparaît chez les auteurs de la Grammaire de Port-Royal [ou Grammaire générale et raisonnée (application de la doctrine cartésienne à l'analyse du langage, publiée en 1660), de Antoine Arnauld, théologien français (1612-1694) et Claude Lancelot, religieux janséniste et grammairien français (1615-1695)] avec le sens de propriété d'un terme de faire connaître en même temps que son objet certains attributs du sujet, lequel est aujourd'hui réservé à l'histoire des sciences. Il est repris à l'anglais connotation, traduit en français en 1866, et employé par le logicien John Stuart Mill [philosophe et économiste britannique, 1806-1873], pour désigner les traits de signification intrinsèques d'un mot qui renvoient à des attributs seconds par opposition aux traits principaux. Plus récemment, il a été repris aux linguistes américains (1954, Louis Hjelmslev en français [linguiste danois, 1899-1965]) pour désigner des traits de signification qui relèvent du contexte particulier de l'emploi d'un mot.

Connotation se dit du sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel ; la connotation s'oppose à la dénotation qui désigne l'élément invariant de signification ; ainsi l'adjectif sage, appliqué à ce qui est fait avec discernement et prudence (dénotation), s'emploie souvent avec la connotation absence d'originalité.

Le nom féminin dénotation est emprunté (vers 1420) au dérivé latin impérial denotatio (indication). Il a suivi une évolution parallèle à celle du verbe dénoter. Le verbe transitif dénoter est emprunté (vers 1160) au latin denotare (faire connaître). D'abord attesté au sens ancien de remarquer, le mot a pris la valeur de désigner, dénoncer (1350). Il s'est spécialisé en logique (1375) où, par opposition à connoter, il désigne le fait de renvoyer à l'extension d'un terme.

Par opposition à la dénotation, contenu objectif, neutre, du message, on appelle connotation ce que l'expression ajoute à ce contenu objectif. Par exemple les mots gifle et soufflet qui désignent tous les deux un coup sur la joue, ont la même dénotation, mais diffèrent par la connotation.

Les rapports entre sens dénoté et connotations obéissent à une logique de l'inconscient. Le plus souvent, ils sont de l'ordre de la synecdoque (la partie/le tout), de la métonymie (la cause/l'effet, rapport de contiguïté), de la métaphore (rapport de ressemblance) ou de l'antithèse (rapport d'opposition). Exemples : un sabot peut évoquer la campagne par synecdoque et la bergère par métonymie, une chevelure blonde peut évoquer un champ d'épis de blé mûrs par métaphore.

Les connotations peuvent avoir quatre origines : la nature psychologique de l'homme, son environnement social, son histoire personnelle, et dans le cas d'un texte, les interrelations des mots et des phrases.

Le texte connotatif mobilise le lecteur et l'interpelle. Le lecteur ne peut pas se contenter d'un sens seulement dénoté. Au-delà, il découvre et décode les connotations dont le texte et l'auteur sont porteurs. Il peut aussi, éventuellement, apporter ses propres connotations, enrichir celles du texte et de l'auteur, et devenir ainsi une sorte d'acteur sensible.

Exemple avec cet extrait de : Les Beaux Quartiers (1936), de Louis Aragon [écrivain et poète français, 1897-1982, fonde avec André Breton, Paul Éluard et Philippe Soupault en 1923 le mouvement surréaliste] :

(…) et, au-delà du quartier militaire, vers la Seine, il y a de grands silences abandonnés, car ici, passées de petites entreprises, commencent de longs murs enfermant des usines.

Les mots silences, petites entreprises et usines sont connotés. Les connotations de silences sont : solitude, inquiétude, nuit, et elles ont pour origine le contexte. Les connotations de petites entreprises sont : la taille artisanale, rassurante, évoquant le passé, et elles ont pour origine le contexte mais aussi l'environnement social à travers l'histoire du monde industriel. Les connotations de usines sont : bâtiments de grandes dimensions, univers de l'aliénation, inhumanité, et elles ont pour origine le contexte mais aussi l'environnement social, et pour certains, l'histoire personnelle.

Consigne : donner le(s) sens dénoté(s) des mots suivants : courant, été, canon, bleu, puis trouver des connotations suggérées par chacun de ces mots ou par leur(s) association(s). Puis écrire deux textes assez courts, l'un avec le(s) sens dénoté(s) des mots, l'autre avec des connotations choisies parmi celles qui auront été trouvées précédemment.

Cela pourrait donner ceci :

> courant. Sens dénotés : mouvement de l'eau - électricité qui passe dans les fils - être informé de quelque chose (au courant) - pendant une période (dans le courant de la semaine prochaine). Connotations suggérées : le mouvement, le sens, la direction, la force, la tension, l'énergie, l'action de s'informer, se mettre au parfum, le manque d'information, être dans le secret, rester en dehors, une date approximative ou floue ou vague, un non-engagement, la liberté de mouvement.

> été. Sens dénoté : saison. Connotations suggérées : joie, soleil, vacances, voyage, repos, loisirs, famille.

> canon. Sens dénotés : arme - règle - chant à deux ou plusieurs voix. Connotations suggérées : guerre, carnage, agression, western, tragédie, mort, blessures, normes, beauté, principes rigides, majorité, groupe d'individus, chorale d'enfants, chants religieux.

> bleu. Sens dénotés : couleur - bifteck à peine cuit - marque sur la peau causée par un coup - vêtement de travail - fromage - débutant. Connotations suggérées : ciel dégagé, beau temps, la tranquillité, un regard vif, maisons grecques, mer calme, gourmandise carnivore, appétit carnassier, violence, agressivité, long labeur, uniforme de l'ouvrier, bleu de Bresse, bleu d'Auvergne, plateau de fromages au restaurant, policier pas encore au courant des ficelles du métier, soldat novice qui n'a participé à aucune guerre.

Premier texte (sens dénotés) : En plein ÉTÉ, le COURANT de la rivière est très faible à cause du manque d'eau. L'activité de canoë-kayak doit être annulée. Ça évite pas mal de BLEUS aux débutants. À la place, on organise un CANON à trois voix, enfantines, masculines et féminines. Les représentations ont lieu le soir, lorsque le BLEU du ciel se fonce jusqu'à noircir l'horizon, jusqu'à s'illuminer de milliers de paillettes dorées, comme ton regard lorsque tu m'aperçois.

Deuxième texte (connotations) : Les COURANTS de la lande et les ornières immenses du reflux filent circulairement vers l'est. Là où le bruit du CANON ne résonne plus que très faiblement, là où le BLEU du ciel pâlit puis rosit dans un éclatant carnage. C'est l'ÉTÉ de tous les dangers, celui où je te rencontrerai...

La première phrase est extraite de : Illuminations (1886), de Arthur Rimbaud [poète français, 1854-1891, dont la brève œuvre est l'une des sources majeures de la mutation poétique moderne, influençant le surréalisme après le symbolisme].

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

BERTAUD DU CHAZAUD Henri, 1999. Dictionnaire de synonymes et contraires. Paris, Le Robert (Collection Les usuels).

BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 28-29.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 111, 135, 309, 369.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.

GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., pp. 8, 260.

NIOBEY Georges (dir.), 1997. Dictionnaire analogique, Paris, Larousse (Références Larousse).

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 12-15.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 476, 577.


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Musique et rythme en prose

Le nom masculin rythme est une réfection (modification) savante (1549, Joachim du Bellay) de rime (vers 1370), puis rithme (1512). Le mot est emprunté au latin rhythmus (mouvement, battement régulier, mesure, cadence) spécialement en rhétorique (nombre oratoire) et, en latin médiéval (poème, vers 1036), repris au grec rhuthmos, qui est un des mots clés de la philosophie aristotélicienne (psychologie, théorie de l'art) [Aristote est un philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de : La Poétique, et de : La Rhétorique].

Le mot est dérivé de rhein (couler), et, d'après Émile Benveniste [linguiste français, 1902-1976, entré à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1960], rhuthmos aurait d'abord le sens de forme, assumé par ce qui est mouvant, fluide, modifiable. De ce sens, qui correspond à arrangement des parties, dans l'espace, on serait passé à une notion temporelle, illustrée dans les textes à partir de Platon [philosophe grec, 428 avant J.-C.-348 avant J.‑C., auteur de 28 Dialogues].

Rythme, après un emploi isolé en musique, est repris au XVIe siècle et désigne le retour imposé à des intervalles réguliers d'éléments harmoniques caractéristiques du vers ; puis, il renvoie au mouvement général résultant, dans un texte, de la répartition, du retour régulier et plus ou moins rapide de certains éléments de la phrase.

Le rythme, c'est l'équilibre des parties d'une phrase. Une des règles les plus générales est de ne pas terminer une phrase sur un membre beaucoup plus court que les précédents, sauf si le scripteur vise un effet particulier de mise en évidence. On considère souvent comme un défaut, par ailleurs, que la prose ait le rythme des vers.

Le rythme est la qualité du discours qui, par le moyen de ses syllabes accentuées, vient frapper notre oreille à de certains intervalles ; c'est la succession de syllabes accentuées (sons forts) et de syllabes non accentuées (sons faibles).

Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.

Extrait de : Lettre à Louise Colet (7 avril 1854), de Gustave Flaubert [écrivain français, 1821-1880].

La langue française n'est pas une langue accentuée comme l'anglais ou l'espagnol, et les syllabes semblent de même longueur. Pourtant, le rythme est bien présent dans la prose française, à travers la syntaxe (le choix des mots, d'un lexique, d'un vocabulaire), le sens (polysémie, monosémie, connotations, dénotations) ou les sons (l'harmonie, fondée sur la répartition équilibrée des sons, participe au rythme et au mouvement du texte dont elle est la mélodie).

Dans la phrase simple, du type Groupe sujet + Groupe verbal + Groupes compléments, chaque groupe peut être assimilé à une mesure, décomptée en syllabes. Un rythme naît des rapports de longueur entre ces mesures.

Dans la phrase complexe, assemblage de propositions ou de phrases simples, le rythme naît surtout des rapports de longueur entre ces propositions (ce qui n'exclut pas leurs rythmes internes).

Il existe 4 types de rythmes :

> On parle de rythme binaire lorsque les groupes de mots (Groupe sujet, Groupe verbal, Groupe complément) ou les propositions (phrases dans la phrase) sont de longueur similaire et au nombre de 2. On obtient un effet de symétrie et de clarté. Par exemple : Près de sa belle maison (proposition 1, dont la longueur est de 7 syllabes) / vivait un voisin irascible. (proposition 2, dont la longueur est de 8 syllabes).

> On parle de rythme ternaire lorsque les groupes de mots ou les propositions sont de longueur similaire et au nombre de 3. On obtient un effet de clarté et de parallélisme. Par exemple : Près de sa maison, (proposition 1, de 5 syllabes) / qui était si belle, (proposition 2, de même longueur) / vivait un voisin hargneux. (proposition 3, de 7 syllabes).

> On parle de rythme ascendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus longs, ou de propositions de plus en plus longues. Par exemple : Là-bas, (2 syllabes) / près de sa maison, (5 syllabes) / qui était vraiment très belle, (7 syllabes) / avec sa façade équilibrée, (9 syllabes) / et ses peintures joyeuses aux tons pastels, (11 syllabes) / demeurait ce ridicule et irascible voisin. (14 syllabes).

On emploie ce type de rythme pour obtenir des effets de suspense, d'attente, de gradation et d'abondance. La juxtaposition de phrases simples ou complexes ascendantes accélère le rythme général d'un récit.

> On parle de rythme descendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus courts, ou de propositions de plus en plus courtes. Par exemple : Près de la si belle et si vaste demeure de mon ami Raymond, (18 syllabes) / avec ses peintures joyeuses aux tons pastels, (12 syllabes) / et sa façade bien équilibrée, (10 syllabes) / aux beaux volets rutilants, (7 syllabes) / vivait ce voisin, (5 syllabes) / un hargneux. (3 syllabes).

La juxtaposition de phrases de plus en plus courtes a un effet de ralentissement sur le rythme général du texte.

Passer la nuit dans cet obscur wagon n'avait rien d'enchanteur ; et puis je n'avais pas dîné. La gare était loin du village et l'auberge m'attirait moins que l'aventure ; au surplus je n'avais sur moi que quelques sous. Je partis sur la route, au hasard, et me décidai à frapper à la porte d'un mas assez grand, d'aspect propre et accueillant.

Extrait de : Si le grain ne meurt (1924), d'André Gide [écrivain français, 1869-1951, Prix Nobel de Littérature en 1947].

On peut établir le schéma rythmique des phrases 1 (Passer... dîné.), 2 (La gare... sous.) et 3 (Je partis... accueillant.), et observer les effets obtenus par l'emploi de ces rythmes.

La phrase 1 est composée de 2 phrases simples, de longueurs différentes (16 et 8 syllabes). Le rythme binaire décroissant convient bien à l'expression « un creux dans l'estomac ».

La phrase 2 est constituée de 3 phrases simples : 9 syllabes, 13 syllabes et 12 syllabes, et le rythme ternaire équilibré (la longueur des 3 phrases simples est similaire) illustre bien le bilan de la situation que le personnage effectue.

La phrase 3 est ascendante : 10 + 25 syllabes, et traduit le suspense : comment sera accueilli le personnage ?

Il faut écrire, et l'on me donne une plume, de l'encre, du papier qui se conviennent à merveille. J'écris avec facilité je ne sais quoi d'insignifiant. Mon écriture me plaît. Elle me laisse une envie d'écrire. Je sors. Je vais. J'emporte une excitation à écrire qui se cherche une chose à écrire. Il vient des mots, un rythme, des vers, et ceci finira par un poème dont le motif, la musique, les agréments, et le tout,- procéderont de l'incident matériel dont ils ne garderont aucune trace.

Extrait de : Rhumbs (1926, p. 174), de Paul Valéry [écrivain français,
1871-1945, entré à l'Académie française en 1925
].

La langue française est difficile. Elle répugne à certaines douceurs. C'est ce que Gide exprime à merveille en disant qu'elle est un piano sans pédales. On ne peut en noyer les accords. Elle fonctionne à sec. Sa musique s'adresse plus à l'âme qu'à l'oreille.

Extrait de : La Difficulté d'être (1947, p. 201), de Jean Cocteau [écrivain français, 1889-1963, entré à l'Académie française en 1955].

La musique d'un texte en prose est l'expression d'une pensée. Dans le sens ancien et primitif, la musique n'était pas une science particulière, c'était tout ce qui appartenait aux Muses ou en dépendait ; c'était donc toute science et tout art qui apportait à l'esprit l'idée d'une chose agréable et bien ordonnée.

Le nom féminin musique (art de combiner les sons) est emprunté (1150) au latin musica, lui-même emprunté au grec mousikê (sous-entendu tekhnê), proprement l'art ou technique des Muses, dérivé de Mousa.

Mousa en grec est un terme de mythologie généralement employé au pluriel pour désigner les Muses et servant d'appellatif avec le sens de poésie, culture, musique. Les Muses, déesses des champs et des montagnes, font don aux hommes de l'inspiration poétique ainsi que de la connaissance ; elles sont filles de Mnémosyne (Mémoire) et de Zeus ou, selon d'autres interprétations, d'Harmonia, ou encore d'Ouranos et de Gê (le Ciel et la Terre). À partir de l'époque classique (l'Antiquité gréco-romaine, qui précède le Moyen-Âge), en latin, leur nombre est fixé à neuf.

Le mot Muses a pénétré en français pour désigner ces neuf déesses chez les traducteurs en ancien français et en ancien provençal de Boèce [philosophe et homme politique latin, 480-524, auteur de : De la consolation de la philosophie ; sa place dans l'histoire de la logique est importante, entre Aristote et les stoïciens d'une part, et le Moyen-Âge d'autre part]. À la Renaissance, le mot a acquis par extension la signification de belles lettres (1548) au sens de littérature, et spécialement poésie (1549, L'Olive, de Joachim Du Bellay [poète français, 1522-1560, rédigea le programme de la Brigade, qui deviendra la Pléiade en 1553, groupe composé de sept poètes dont Ronsard, qu'il avait rencontré en 1547]).

Quelques sens analogiques du mot musique se sont développés depuis le XVIe siècle : musique se dit de tout ce qui affecte l'oreille, de façon agréable ou, ironiquement, désagréable (1560-1565, la musique d'un asne). À la fin du XVIIIe siècle, le mot commence à se dire de l'harmonie du langage, d'un texte (avant 1778), puis, plus abstraitement, de celle des pensées, des rêveries (1800, Chateaubriand).

Consigne 1 :

Utiliser les mots suivants pour construire un petit texte aux phrases courtes (rythme saccadé), puis un petit récit aux phrases moyennement longues (rythme souple), et enfin une seule longue phrase au rythme ample et soutenu.

Mots proposés :

Torpeur – Engourdissement – Somnolence – Boa – Languide – Lumière – Septembre – Vibrer – Arbre – Immobile – Se tenir – Étincelant – Majestueux – Odeur – Sûre – Poire – Suspendre – Nuage – Journée – Lent – Se succéder – Passer – Englober – Feuillage – Colline – Maison – Sommet – Façade – Claire – Se dresser – Frondaisons – Inexpressive – Énigmatique – Participer – Torpeur.

Phrases courtes :

Je somnole. Un engourdissement m'a saisi après le repas. Une torpeur béate et languide. Tu fais le boa, m'a dit ma femme. Mes yeux mi-clos, lumière d'une après-midi de septembre, elle débarrasse la table, ma femme, pas la lumière. Elle vibre et étincelle, ma femme, pas la lumière, car elle est en colère. Je fais le boa. Un boa ne peut pas débarrasser une table, me semble-t-il. Au-dessus des poiriers, les nuages sont suspendus au ciel, immobiles. L'odeur d'une journée sûre qui se succède à elle-même. Immobile. Les secondes passent. Englobent les feuillages. La colline, la maison, le somment de la façade se dressent. Torpeur. Les frondaisons énigmatiques participent au temps. Tout est torpeur inexpressive. Tout dort.

Phrases moyennement longues :

Je subis la torpeur d'une fin de repas bien arrosé. Je suis pris dans les filets d'un engourdissement de boa. Je somnole dans la lumière de septembre. L'arbre, dont le feuillage languide vibre immobile, se tient étincelant et majestueux. C'est un peuplier, dont l'odeur sûre comme celle de la poire, est suspendue aux nuages d'automne. La colline, le sommet de la maison, la façade se succèdent et se dressent sous les frondaisons. Une lente journée passe, englobée de torpeur, inexpressive et énigmatique. Je ne participe pas.

Une seule longue phrase, extraite de : L'Herbe (1958, p. 78), de Claude Simon [écrivain français, 1913-2005, prix Nobel de littérature en 1985] :

Et tout au plus cette sorte de torpeur, d'engourdissement, la somnolence du boa : dans la languide lumière de septembre vibrant doucement, les arbres se tenant immobiles, étincelants, majestueux, et l'odeur sûre des poires suspendues, les lents nuages, les lentes journées se succédant, passant, englobant feuillages, collines, et la maison au sommet de la colline, la façade claire se dressant entre les frondaisons, inexpressive, énigmatique, participant, semble-t-il, elle aussi, de cette torpeur, etc.

Consigne 2 :

Composer un petit récit au rythme ascendant puis descendant, à partir des 2 phrases suivantes :

La bergère est tombée malade. L'enfant a refusé.

Cela pourrait donner ceci :

Première partie, ascendante :

Jolie est la bergère (6 syllabes). C'est une petite fille, qui travaille (9). Elle part tous les matins dès le lever du soleil (13). Depuis qu'elle a 6 ans, elle part travailler tous les jours (14). Quelque soit le temps, chaud ou froid, quelque soit sa fatigue ou son envie (18 syllabes). La petite fille ne se plaint jamais, car son courage égale sa grâce et sa beauté (23). Depuis 7 ans, émue jusqu'aux larmes, la fidèle aube assiste quotidiennement au départ de l'enfant (27). La petite marche à petits pas derrière le troupeau trottinant de brebis doucement bêlantes, encore toutes emmêlées de sommeil (35).

Deuxième partie, descendante :

Un jour, on s'aperçoit que la petite a grandi, que le cœur n'y est plus : la grâce a disparu, est apparue la fatigue (32). La jeune fille ne se réveille pas et elle ne se lève plus pour accompagner le troupeau au pré (24). Alerté par les bêlements impatients des bêtes enfermés, le père accourt (21). Sa fille reste plongée dans un profond sommeil (12). Le père se précipite et la secoue (10). Réveille-toi ! lui ordonne-t-il (9) ; non, non, non et non, et encore non (9).

Le père, incrédule, va en informer la mère (12). Il répète : L'enfant – a – refusé (9). L'en – fant – a – re – fu – sé (6). Stupeur du couple (4). Colère (2). Peur (1).

À vous de jouer,
À vos claviers, plumes et stylos !

Bibliographie :

CRESSOT Marcel, JAMES Laurence (mise à jour), 1991. Le style et ses techniques : précis d'analyse stylistique. Paris, Presses universitaires de France. 13e éd., p. 268.

DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 413.

Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.

GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., p. 21.

LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 4062, t. 6, p. 5581.

Le Petit Robert des noms propres, 2007.

PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 56.

REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1295, 1852.

VOLKOVITCH Michel. Verbier : herbier verbal. M. Nadeau, 2000, p. 133.


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