mercredi 21 janvier 2015

Se marier un 25 décembre ?, deuxième tableau de : Un cadeau de Noël : nouvelle, de Claude Gontren-Fée © 2015, Claude Gontren-Fée, tous droits réservés.


Quel est le cadeau de Noël idéal ? Celui qui plaît à coup sûr... celui que l'on offre, comme celui que l'on reçoit. Comment peut-on être certain(e) qu'un cadeau va plaire à coup sûr ?... Est-ce celui qui est rare et cher ? Celui qui est beau ? Ou celui qui vient du cœur ? Un peu de tout cela probablement...

[Tableau 2/4]

Se marier un 25 décembre ?

J'ai un prix. Même orphelin, je vaux quelque chose. Je suis allongé à côté de la plus belle fille de l'université (l'une des plus belles car elles sont nombreuses à être belles). Et je repense à l'année dernière. À Noël. J'étais en première année d'études de droit. Venant d'une autre ville, je ne connaissais personne. Le soir de Noël, je me suis retrouvé seul dans ma chambre d'étudiant, j'ai dégusté un plat de coquilles Saint-Jacques, bu un verre de champagne, me suis allongé sur mon lit et me suis endormi bercé par les chants religieux diffusés à la radio.

Je tourne la tête et je la regarde, endormie blottie contre mon épaule, et je me dis que je suis heureux. Je voudrais ne plus jamais ouvrir mes bras et la garder prisonnière en mon amour.

Tu viens de dire la vérité. Tu coules. Tu es possessif et jaloux. Dans les grandes profondeurs de ton âme, tu murmures des mots d'amour. Tu es vide de générosité. Tu te tiens droit. Tu manques d'amour. Tu zozotes. Je ne me sens pas concerné. Tu chantes un air de Noël, tu voudrais te marier le jour de Noël, un 25 décembre. Tu essaies de retrouver des souvenirs que tu n'as jamais eus et de t'inventer une vie, meilleure crois-tu. Lui chuchotes-tu des promesses que tu ne pourras pas tenir ?

Il l'accompagne dans ses rêves. Il lui tient la main et il rentre chez lui. Il l'attend devant un grand magasin et il vient embrasser sa mère. Il dit qu'elle a bon goût et il prend sa mère par le bras, et son père pour les conduire au salon. Il marmonne vaguement des compliments. Il se tient debout parmi les siens, ses parents. Il balbutie un remerciement. Il leur demande pardon. Il s'avance à tâtons. Il leur restitue leur mort (ils sont morts tous les deux dans un accident de voiture peu après sa naissance). Il lui emprunte un mouchoir. Il a froid. Il pleure. C'est un secret.

Elle cherche sa douceur. Elle va se blottir dans ses bras. Elle vient y trouver le sommeil.

- Quelle est la date de ton anniversaire, déjà ?

Du fond d'un demi-sommeil elle murmure blottie contre son épaule, ils sont tous les deux allongés sous la couette.

- Je suis né un 24 décembre.

Elle décide de faire son bonheur. Elle fait comme si. Elle a chaud. Elle voudrait s'unir à lui un 25 décembre. Elle retourne dans sa tête comment on fait pour tomber amoureuse. D'abord enterrer la hache de guerre. Puis décrypter les sentiments. Tous les sentiments. Les siens (à elle). Puis les siens (à lui) . Elle se dit que cela sera facile. Elle pourchassera d'abord ses démons. Puis elle ira voler quelques sentiments. Elle le dupera. Elle est jolie. Elle le convoitera ouvertement. Elle fait la liste des actions et des enchaînements à venir.

On a peur. On tremble de tous nos membres. On assoit nos sensations avant qu'elles ne prennent de l'ampleur. On les fixe et on se fige. On est terrifié par la tournure des événements. On se dit que ce n'est pas possible. Que cela ne peut pas être vrai. Que l'on nous ment. Que l'on se ment. On a engendré un monstre de froideur. On se dit que l'on n'a pas fait exprès. On pense que cela passera. Qu'elle se réchauffera. Qu'il la changera. Qu'ils formeront un beau couple. Qu'ils feront de beaux enfants. Qu'ils s'occuperont bien de nous, une fois entrés dans la vieillesse et la fatigue. On a tort. On le sait. On n'y peut rien.

Nous approuvons. Totalement. Nous sommes entiers. Ou rien. Peut-être bien sommes-nous tout et rien. Tout ou rien, non. Rien du tout. Ce n'est rien. Rien du tout. Nous filons doux. Nous répliquons à tour de bras. Je suis orphelin, tu es une jolie fille sans cœur, on va nous abandonner sur le seuil de la vieillesse, il est ambitieux, elle aime la vie et elle aime qu'on l'aime, elle (pas la vie). Nous mettons les petits plats dans les grands, c'est la veille de Noël. Puis nous allons tous nous coucher, nous sommes ronds saouls bourrés enivrés.

Vous, les autres, les invités, la famille, la belle-famille. Vous êtes partis. Vers les deux heures, au cœur de la nuit. Où est l'esprit de Noël ? Il vous accompagne jusqu'aux voitures sombres, des berlines garées en contre-bas. Où en êtes-vous ? Vous leur tenez le bras, vous bassinez les enfants de moult conseils. « Ferme ton manteau, tu vas attraper froid », « Mets ton bonnet », « Ne cours pas ! », « Ne marche pas si vite, tu vas glisser ». Vous sortez les trousseaux de clefs. Vous vous engouffrez dans les berlines sombres et glaciales. Vous démarrez les voitures et vous partez.

Ils posent un regard tendre sur la soirée qui vient de se dérouler. Ils disent bonsoir à leurs femmes qui montent se coucher. Ils restent assis dans le salon. Ils partagent la même sensation. Ils ont le sentiment d'avoir réussi.

Ils montent se coucher à leur tour. Ils ont le dos voûté. Ils ont des cernes sous les yeux. Ils sourient. Ils ont rajeuni. Ils ont gagné. Une année. Ils s'endorment le sourire de la victoire aux lèvres. Elles sont blotties dans leurs bras, bien au chaud. Ils ne font pas de rêves. Ils ne rêvent plus. Ils sont là. Juste là. Vivants. Encore vivants. Grand-père et grand-mère. Tous les grands-pères et toutes les grands-mères... Ils posent tous en même temps un baiser sur le front qui repose à côté d'eux. Elles y répondent toutes d'un seul soupir de contentement. De paix.

Elles ont peut d'avoir raté la bûche, une fois encore. Elles ont un sentiment d'inutilité dans la bouche. Elles sont fières de leurs filles. De bonnes ménagères, d'endurantes travailleuses, de jolies filles. Elle se perdent en un rêve de mariage. Le leur revient les hanter. Un si joli rêve posé sur une nappe blanche. Elles font le même rêve chaque 24 décembre. Du blanc et de la mousseline, de la légèreté, de la crème et de l'argent. Elles disent non au malheur. Elles sont vigilantes. Elles comprennent que l'on puisse aimer le malheur. Elles ne comprennent pas que l'on puisse aimer le nourrir. Elles veillent sur leurs trésors, biens matériels et immatériels. Elles ont chaud.

Je me renfrogne. Tu es lourde. Mon bras est douloureux. Il suit sa logique. Elle a la langue bien pendue.

*

[la suite mardi prochain...]

*

Née dans les années soixante à Paris, Claude Gontren-Fée est retraitée. Elle écrit des nouvelles pour le plaisir d'écrire. Elle aime la poésie de la Renaissance française (Louise Labé, Pernette du Guillet, etc.), ainsi que les romans policiers contemporains et scandinaves. De son propre aveu, elle est très gourmande, elle aime la plupart des pâtisseries, surtout le Paris-Brest, un gâteau rond en pâte à chou saupoudré d'amandes. Elle n'aime pas le temps gris et les nuages, sauf les nuages blancs.



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