lundi 28 janvier 2013

Les figures de la suppression : atelier d'écriture n° 5 de La Publiance


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L a - P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture n° 5



Les figures de la suppression : l'ellipse, l'asyndète, l'anacoluthe



Le nom féminin ellipse est un emprunt (1573) au latin impérial ellipsis, lui-même emprunté au grec elleipsis (manque, omission d'un mot), dérivé de elleipein, verbe composé de en (dans) et de leipein (laisser, négliger), à rattacher à une racine indoeuropéenne °leikw- (laisser).



L'ellipse peut être syntaxique (ou grammaticale), ou bien sémantique (ou situationnelle).

Dans le premier cas, l'ellipse syntaxique ou l'ellipse grammaticale sont provoquées par la suppression d'un ou de plusieurs mots dans une phrase (le sujet, le verbe, le sujet et le verbe, un mot de liaison, certaines conjonctions, etc.), sans que cela gêne forcément la compréhension, les mots qui subsistent permettant de retrouver ceux qui manquent, ou alors les mots qui manquent sont sous-entendus.

Exemples : « Enchantée » pour « Je suis enchantée de faire votre connaissance » ; « Un second coup de klaxon, puis un troisième, un quatrième, un cinquième, emplirent de vacarme la petite rue et son embouteillage » pour « Un second coup de klaxon résonna, puis un troisième coup de klaxon résonna, puis un quatrième coup de klaxon résonna, puis un cinquième coup de klaxon résonna et ils emplirent de vacarme la petite rue et son embouteillage » ; « Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? » pour « qu'aurais-je fait si tu avais été fidèle ? » Jean Racine (1639-1699), Andromaque.

L'ellipse raccourcit et allège l'énoncé. Elle interpelle et oblige à imaginer les mots disparus. Elle permet de supprimer de fastidieuses redites.



Dans le deuxième cas, l'ellipse sémantique ou l'ellipse situationnelle sont rendues obligatoires par l'omission dans une suite logique, narrative, ou bien lorsqu'on ne peut pas tout dire de certains événements, de certaines scènes ou de certains discours, ou bien lorsqu'il n'est pas nécessaire de construire une phrase énonciative complète.

L'ellipse peut alors devenir une véritable structure, un art de sous-entendre et de suggérer.

Exemples : « La veille au soir elle poussait encore devant elle l'énormité de son gros ventre ; au petit matin elle tenait dans ses bras un nourrisson tout frais et tout rose » ellipse qui élude la scène de l'accouchement ; « À quelle heure pars-tu ? - À 4 heures » pour « Je pars à 4 heures » ; ou bien lorsqu'on demande à un randonneur ce qu'il a fait de sa journée et qu'il répond « J'ai marché », l'ellipse porte sur « en suivant des sentiers balisés de montagne ».



L'ellipse peut avoir un caractère archaïque, elle est très fréquente dans les proverbes et les dictons, par exemple : « Trop tirer rompt la corde » pour « Lorsque l'on tire trop fort sur une corde, celle-ci se rompt » en parlant de l'échec des ambitions ou de l'abus d'un profit ; ou un caractère familier : « Dans mes bras ! » pour « Viens que je te prenne dans mes bras ! ».



Dans le rythme d'un récit, l'ellipse est un silence de la narration sur des événements qui ont eu lieu dans l'histoire : silence lourd de sens et de sous-entendus, ou bien silence qui suggère et qui laisse la part belle à l'imagination, ou encore silence qui allège et dynamise le récit en le faisant sauter des descriptions qui l'alourdiraient ou le ralentiraient.



L'ellipse des mots qui feraient la liaison régulière entre deux membres de phrase est une anacoluthe, tandis que l'ellipse caractérisée par la suppression dans la phrase de certains conjonctions s'appelle une asyndète.

***

Rappelons l'étymologie du mot : le mot féminin « anacoluthe » est issu du bas latin d'origine grecque, « anacoluthon » (absence de suite), composé de : an- (privatif), et de akolouthos (qui suit), de keleuthos (chemin).



Et donnons-en quelques exemples :



« Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre ce que je viens de raconter » Jean de La Fontaine (1621-1695), l'ellipse est créée par l'omission des mots « ils furent ensevelis sous un marbre » et l'anacoluthe par le changement de sujet entre le début de la phrase (pleurés) et la suite de la phrase (il) ; l'ellipse et l'anacoluthe mettent en valeur le mot « vieillard » ; sans ellipse ni anacoluthe, la phrase pourrait ressembler à ça : « Et, pleurés du vieillard, ils furent ensevelis sous un marbre que le vieillard grava de ce que je viens de raconter », ou bien : « Et, pleurés du vieillard, ils furent ensevelis sous un marbre et le vieillard y grava ce que je viens de raconter ».



« Continuant à manger, on aurait dit qu'il s'écoutait parler, de tout et de rien, la bouche pleine », pour : « On aurait dit qu'il s'écoutait parler, car il continuait à manger tout en parlant de tout et de rien, et il parlait la bouche pleine ».

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Asyndète est un nom féminin empruntée soit au bas latin asyndeton, lui-même emprunt au grec, soit directement au grec asundeton qui signifie « style sans conjonction », de a- (privatif) et de sundein (lier ensemble), de sun (avec) et de dein (lier), verbe indoeuropéen à comparer au sanskrit -dyati.

Ce terme de grammaire désigne l'absence de mot de liaison (conjonctions de coordination : mais, ou, et, donc or, ni, car, ou de subordination : comme, lorsque, puisque, quand, que, quoique, si, etc.) entre deux mots ou deux phrases qui le requièrent normalement, par exemple : « Bon gré mal gré » pour « De bon gré ou de mal gré ». En rhétorique, une asyndète est une figure par laquelle on supprime des particules et des conjonctions dans une phrase ou entre des phrases (qui deviennent alors juxtaposées) pour accentuer la rapidité et l'énergie du discours.

Exemples : « Il est cynique, il réussira » au lieu de : « Il est cynique, donc il réussira ».

« Ils n'ont pas vu le vélo attaché à la grille. Masqué par la voiture garée le long du trottoir », au lieu de : « Ils n'ont pas vu le vélo attaché à la grille, car il était masqué par la voiture garée le long du trottoir ».

« Sur le plan forme » au lieu de : « Sur le plan de la forme ».

« Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble,

Avançaient, combattaient, frappaient, mourraient ensemble. » Voltaire (1694-1778), Henri VI, asyndète de la conjonction de coordination « et ».

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Consignes :



1. Dans l'extrait de texte ci-après (Annie Ernaux (1940-), La Place) repérer les ellipses et les asyndètes, puis les supprimer en liant, aussi bien syntaxiquement que sémantiquement, toutes les phrases.



« La peur d'être déplacé, d'avoir honte. Un jour, il est monté par erreur en première avec un billet de seconde. Le contrôleur lui a fait payer le supplément. Autre souvenir de honte : chez le notaire, il a dû écrire le premier « lu et approuvé », il ne savait pas comment orthographier, il a choisi « à prouver ». Gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour ».



2. Composer un texte de quelques lignes où toutes les phrases seront reliées entre elles. Puis introduire des ellipses, des asyndètes, et/ou quand le sens le permet, des anacoluthes.



Cela peut donner ceci :

« Nous arrivons au parking de la plage au début de la mâtinée, lorsque le parking est encore désert. Je me gare à la droite d'un 4x4 et l'avant de la voiture caresse un buisson de genets, dont les fleurs ont depuis longtemps séché, puis elles se sont décrochées, et elles sont tombées sur le sol sablonneux, pour enfin être patiemment ensevelies sous le sable par un vent chaud et plusieurs semaines d'un été torride. Les enfants jaillissent hors de la voiture alors que j'ai à peine le temps d'ouvrir la portière et de poser un pied nu sur le sable à peine tiédi par le soleil matinal. Nous sommes hors saison. Les familles sont toutes reparties en Hollande ou en Belgique. Il ne reste que quelques vieux couples, quelques couples de vieux, et les habitués des bords de plage à la morte saison.

Roger se charge du cabas rempli de jouets et du sac isotherme qui renferme nos piques-niques. Je n'oublie pas le parasol jaune citron et le bateau gonflable. Zut ! J'ai oublié le gonfleur électrique. Roger ne va pas être content car il va devoir passer les trente prochaines minutes à gonfler à la bouche et de son souffle, qui n'est plus celui de ses vingt ans, le bateau des enfants. On ne peut pas penser à tout, marmonnè-je pour moi-même et sur la défensive, prête à accueillir les reproches qui ne vont pas tarder à fuser dès que mon oubli sera démasqué. »



« C'est le petit matin, je me gare à la droite d'un 4x4 sur le parking de la plage : désert. Le capot caresse les genets déflorés par les semaines de vent chaud d'un été torride. Les enfants jaillissent hors de la voiture. Mon pied nu dans le sable à peine tiédi. Hors saison. Belges, Hollandais rentrés chez eux, ne restent que quelques vieux couples, couples de vieux et habitués des bords de plage en morte saison. Roger se charge du cabas rempli de jouets, les piques-niques sont au frais dans le sac isotherme. Moi c'est le parasol jaune citron et le bateau gonflable. Zut ! Oublié le chargeur électrique, les reproches vont fuser, Roger n'a plus le souffle de ses vingt ans. Peux pas penser à tout. »



À vous de jouer,

À vos claviers, plumes et stylos !





Bibliographie :



> BOURDEREAU, Frédéric, FOZZA, Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 58, 146.



> DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 56, 174.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 2, p. 1973, t. 1, p. 917.



> GREVISSE, Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., pp. 276, 365.



> LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 336, t. 2, p. 1973.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 98.



> REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 134, 673.



> THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 70-71.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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