samedi 2 février 2013

"Vers à douze pieds l'alexandrin, deux de moins, un vers décasyllabe, l'on obtient" : atelier d'écriture n° 6 de La Publiance


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L a - P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture n° 6



« Vers à douze pieds l'alexandrin,

deux de moins,

Un vers décasyllabe, l'on obtient »



Attention à ne pas confondre l'alexandrin, vers français de douze syllabes, avec les grands alexandrins (savants, poètes, érudits, lettrés du monde grec rassemblés dans l'Alexandrie antique, tels Archimède, Callimaque, Euclide, Théocrite, Hérondas), et avec les Alexandrins, des grammairiens de la ville d'Alexandrie (ville d'Égypte fondée en 332-331 avant Jésus-Christ par Alexandre le Grand, sur une bande de terre entre la mer Méditerranée et le lac Mariout, à l'extrémité nord-ouest du delta du Nil).

Ces grammairiens ont développé au IIIe siècle avant J.-C. une série de recherches qui, sans être elles-mêmes linguistiques, ont contribué par leurs fins à asseoir pour des millénaires une certaine conception de la langue.

Leur travail a surtout été un travail d'édition consistant à rechercher, à collationner et à publier avec des commentaires les textes les plus célèbres de la Grèce de l'époque classique.

En effet, les textes anciens différaient à bien des égards de la langue grecque du IIIe siècle avant J.-C., surtout telle qu'elle était parlée à Alexandrie. Aussi les éditeurs alexandrins des textes anciens ont-ils pris l'habitude de les accompagner de commentaires (gloses) et de traités de grammaire destinés à faciliter la lecture des chefs-d'œuvre du passé.

C'est ainsi qu'est née l'opinion que cette langue était plus « pure » et plus « correcte » que le parler quotidien d'Alexandrie. De là est issue la tradition qui consiste à privilégier la langue écrite par rapport à la langue parlée et à estimer qu'en évoluant la langue se corrompt et perd de sa pureté.



L'alexandrin, nom masculin désignant le vers français de douze syllabes, est la substantivation de vers alexandrin (1492), type de vers représenté par le Roman d'Alexandre, poème du XIIe siècle évoquant de manière légendaire Alexandre le Grand.

Le prénom, en grec Alexandros, signifie littéralement « qui protège les hommes » ; comme le prénom Andreas (André), il contient anêr (homme) qui forme le préfixe andro- (homme, par opposition à la femme).



L'appellation « Roman d'Alexandre » recouvre différentes strates de textes, apparues dès le XIIe siècle, puis rassemblées, sinon remaniées, par Alexandre de Paris (ou de Bernay).

L'Alexandre d'Albéric (ou de Briançon), datant du premier tiers du XIIe siècle, est le premier ouvrage romanesque consacré à Alexandre : seul en subsiste le début, 105 octosyllabes (vers de 8 syllabes) en franco-provençal, répartis en 15 laisses (une laisse est une tirade ou un couplet d'une chanson de geste) de longueur variable.

Vient ensuite la rédaction décasyllabique (vers de 10 syllabes), composée par un anonyme, en Poitou, vers 1170, et qui compte 785 vers en 76 laisses. Imité manifestement de celui d'Albéric, cet Alexandre décasyllabique, se terminant au milieu des premiers exploits du héros, peut être considéré comme un Livre des enfances.

Lambert le Tort, un clerc de Châteaudun dans l'Eure-et-Loir, aux confins de la Beauce et du Perche, écrit une suite et porte l'histoire à son achèvement. Ce texte, assez difficile à reconstituer, se trouve fondu dans un ouvrage bien plus important, le Roman d'Alexandre (version d'Alexandre de Paris, ou de Bernay) qui, avec ses quatre branches, totalise environ 16 OOO de ces vers de douze syllabes qui porteront désormais le nom d'alexandrins.

Le cycle d'Alexandre poursuit son développement avec, à la fin du XIIe siècle, le Vengement d'Alixandre, de Gui de Cambrai, et la Venjance d'Alixandre, de Jehan Le Névelon (avant 1191), puis au XIIIe siècle, avec la Prise de Defur et le Voyage en paradis terrestre, et au XIVe siècle, les poèmes du Paon.



« Il venait de trouver le premier vers :

Mon âme a son mystère, ma vie a son secret,

mais, en comptant sur ses doigts, il s'aperçut que son alexandrin marchait sur treize pieds ; il chercha un synonyme de mystère. Énigme, non, Cacher, bien ; mais le substantif correspondant ? Se taire, pas mal.

Mon âme se tait,

non. Ça ne marchait pas. De nouveau, il calcula sur ses doigts combien de pieds faisaient :

Mon âme a son mystère, ma vie a son secret.

Il y en avait bien treize. »

Extrait de : Le chiendent, de Raymond Queneau (1903-1976, auteur de Zazie dans le métro, académicien Goncourt en 1951, crée en 1960 l'OuLiPo avec François Le Lionnais ; acronyme de : Ouvroir de Littérature potentielle, l'OuLiPo est un atelier d'expérimentation littéraire qui cherche à réintroduire la notion de contrainte formelle dans la création littéraire).



Les vers alexandrins sont aussi appelés vers héroïques. L'épopée est le genre littéraire le plus ancien. Dans l'Antiquité, il s'agissait d'un récit chanté, transmis par la tradition. À partir du XVIe siècle, une épopée est un poème héroïque qui exalte, à travers les exploits d'un personnage exemplaire qui évolue dans un monde d'archétypes (c'est-à-dire de modèles), les valeurs auxquelles un peuple veut s'identifier. L'épopée émeut d'autant plus le lecteur que le poème héroïque est rythmé par les vers décasyllabes et alexandrins aux descriptions saisissantes, à l'abondance des comparaisons et des métaphores.



Après la poésie héroïque au XVIe siècle, c'est au tour de la tragédie en tant que forme théâtrale (XVIIe siècle) de réclamer l'alexandrin. Du XVIe au XIXe siècle, l'histoire de l'alexandrin se confond presque avec celle de la poésie française. L'alexandrin a été considéré à partir de l'âge classique comme le vers noble, le vers le plus approprié pour les poèmes épiques et pour la poésie la plus relevée (la poésie religieuse en particulier), pour les pièces de théâtre, l'élégie amoureuse et plaintive, dans les stances, dans la satire, etc.

Le renouveau de la poésie versifiée (initié au début du XIXe siècle), associé en 1886 à l'inauguration, ou à la commémoration, de trois formes littéraires : le vers libre, le poème en prose et le monologue intérieur, verra le déclin du vers alexandrin.



Plus que la rime, c'est la mesure, fondée sur le nombre de pieds, qui distingue vraiment le vers de la prose. Le nombre de pieds permet aussi de classer les vers en différents mètres selon leur longueur. Les mètres pairs comme les vers de 2, 4, 6, 8 (octosyllabes), 10 (décasyllabes), et 12 (alexandrins) pieds ont pour effets la régularité, la netteté, le découpage facile en segment (l'alexandrin est découpé en 2 hémistiches ou 2 parties égales, de 6 pieds chacun). Les mètres impairs de 5, 7, 9 et 11 pieds dont la coupe ne peut pas être régulière, ont des effets de légèreté, de flou, de variété et de liberté.



Exemple de vers de 7 pieds :

« C'estoit une belle brune

Filant au clair de la lune »

Extrait de Pierre de Ronsard (poète français, 1524-1585, élève de Dorat de 1544 à 1550, il fut au centre des jeunes poètes de la Brigade qui prendra ensuite le nom de Pléiade).



Exemple de vers de 9 pieds :

« De la musique avant toute chose

Et pour cela préférer l'impair

Plus vague et plus soluble dans l'air »

Extrait de : L'Art poétique, de Paul Verlaine (poète français, 1844-1896, auteur de Poètes maudits, 1884, consacrés à T. Corbière, Mallarmé et Rimbaud ; et de Jadis et Naguère, 1884, qui contient L'Art poétique).



Le rythme naît du retour de temps forts à intervalles réguliers, comme les accents (en français, chaque mot plein, verbe, nom, adjectif, adverbe, porte un accent tonique sur la dernière syllabe prononcée, on parle alors d'accent rythmique dans un vers) et les coupes (la coupe est un arrêt bref de la voix après un accent rythmique). Par exemple :

« Tout à coup, comme atteints d'une rage insensée

Ces hommes, se levant à la même pensée... »

Extrait de : Jocelyn, d'Alphonse de Lamartine (poète français, 1790-1869, auteur des Méditations poétiques (1820) et de Les Harmonies poétiques et religieuses (1830) ; entre à l'Académie française en 1829 ; membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères en 1848).

Où le signe ` montre l'accent tonique, et le signe // montre la coupe :

« Tout à coùp, comme atteìnts // d'une ràge insensèe

Ces hòmmes, se levànt // à la mème pensèe... »



L'alexandrin classique est un tétramètre, c'est-à-dire un vers de 12 pieds (un pied est une syllabe prononcée entièrement), à 4 accents rythmiques (l'accent rythmique est l'accent tonique porté sur la dernière syllabe d'un mot) et donc à 4 mesures (ou coupes). Deux mesures tombent obligatoirement sur le 6e et le 12e pieds. Les deux autres mesures, qui doublent l'accent tonique de 2 mots pleins, ont une place variable.

Dans l'exemple précédent, le premier vers alexandrin est un tétramètre régulier (le schéma rythmique est : 3 + 3 + 3 + 3), le deuxième vers alexandrin est un tétramètre croissant et régulier (le schéma rythmique est : 2 + 4 + 3 + 3) :

« Tout à coùp (3 syllabes), comme atteìnts (3) // d'une ràge (3) insensèe (3)

Ces hòm(2)mes, se levànt (4) // à la mè(3)me pensèe (3)... »



Lorsque la césure (ou coupe) de l'alexandrin est affaiblie ou inexistante, le vers change de rythme. La césure médiane (du milieu) est remplacée par deux autres césures qui divisent le vers en trois mesures : c'est un trimètre. Par exemple :

« Elle peignait ses cheveux d'or je croyais voir

Ses patientes mains calmer un incendie. »

Extrait de : La Diane Française, de Louis Aragon (écrivain et poète français, 1897-1982, auteur de Le Fou d'Elsa (1963, monument de la poésie lyrique française d'après-guerre) ; participe un temps au mouvement Dada, puis fonde avec André Breton, Philippe Soupault et Paul Éluard en 1923 le mouvement surréaliste).

Où l'on a :

« Elle peignait / ses cheveux d'or / je croyais voir (3 + 4 + 5)

Ses patientes mains / calmer / un incendie. » (5 + 2 + 5)



Consigne : transformer les décasyllabes suivants en alexandrins (il peut y avoir plusieurs alexandrins possibles pour un décasyllabe) :



1. Heureux, je glissai mes pieds sous la table (décasyllabe)

-> Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table (alexandrin),

ou bien : Heureux mortel, je glissai mes pieds sous la table (alexandrin),

ou encore : Mortel mais heureux, pieds sous la table : manger ! (alexandrin).



2. Il fait sombre, fils, voleur d'étincelles ! (décasyllabe).



3. Me plaît le beau temps de Pâques, lys d'or (décasyllabe).



Puis, composer en vers alexandrins (pas nécessairement rimés) un poème de quelques strophes, ou une chanson avec un refrain et trois couplets, ou un petit récit en prose.



À vous de jouer,

À vos claviers, plumes et stylos !





Bibliographie :



> BEAUMARCHAIS, Jean-Pierre de, COUTY, Daniel, REY, Alain, 1994. Dictionnaire des littératures de langue française. Paris, Bordas, nouv. éd. mise à jour et enrichie, 4 vol., t. 1, p. 25, t. 3, p. 2205, t. 4, p. 2582.



> BOURDEREAU, Frédéric, FOZZA, Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 50, 66, 76.



> DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 23.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 1, p. 346.



> LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 155.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), pp. 44, 132.



> REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., p. 44.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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