samedi 9 mars 2013

La métalepse, la syllepse et la prolepse : atelier n° 12


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L a - P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture n° 12



La métalepse et la syllepse (l'échange de significations), la prolepse (l'anticipation)



Avant de commencer l’atelier sur les métalepse-syllepse-prolepse, voici - en entier - le poème de Robert Desnos (poète français, 1900-1945, qui s’affirma dans la lignée du romantisme nervalien comme l’un des maîtres de la poésie onirique) intitulé C'était un bon copain, et qui illustre l'atelier n° 11, sur la métonymie :



C’était un bon copain

Il avait le cœur sur la main

Et la cervelle dans la lune



C’était un bon copain

Il avait l’estomac dans les talons

Et les yeux dans nos yeux



C’était un triste copain

Il avait la tête à l’envers

Et le feu là où vous pensez

Mais non quoi il avait le feu au derrière



C'était un drôle de copain

Quand il prenait ses jambes à son cou

Il mettait son nez partout



C'était un charmant copain

Il avait une dent contre Étienne

À la tienne Étienne à la tienne mon vieux



C'était un amour de copain

Il n'avait pas sa langue dans la poche

Ni la main dans la poche du voisin

Il ne pleurait jamais dans mon gilet



C'était un copain

C'était un bon copain.



***


Les trois notions, la syllepse, la métalepse et la prolepse, ont en commun une même racine étymologique (lambanein qui signifie prendre), et une même fonction grammaticale, ou syntaxique ou sémantique : elles appartiennent à l'ensemble des figures de rhétorique qui participent à la construction d'un écart par rapport à la norme, afin de substituer à l'ordre normal de la phrase celui de la sensibilité ou de l'imagination.



La métalepse



On appelle métalepse la figure de rhétorique par laquelle on fait entendre la cause en exprimant la conséquence (ou l'effet). Exemples : Nous les pleurons (pour : Ils sont morts), on exprime l'effet ou la conséquence (pleurer) pour faire entendre la cause (la mort) ; Ou bien : J'ai le ventre qui gargouille (pour : J'ai très faim).

La métalepse est une variante de la métonymie (voir l'atelier précédent, Atelier d'écriture n° 11), qui consiste à faire entendre une chose en exprimant ce qui l'amène (ou la précède), ou bien ce qui la suit. C'est une figure par laquelle on prend l'antécédent pour le conséquent, ou vice-versa le conséquent pour l'antécédent. Par exemple : on peut dire Elles ont bien vécu (on dit ce qui précède, on prend l'antécédent pour le conséquent), ou Nous les pleurons (on dit ce qui suit, on prend le conséquent pour l'antécédent), dans les deux cas on entend Elles sont mortes.

La métalepse ne dit pas la chose directement, mais indirectement. Jean Giraudoux (écrivain français, 1882-1944, romancier dont la fantaisie et l'humour se paraient de tous les prestiges d'un style chatoyant, riche d'images insolites et rares) par exemple, fut très friand de métalepses.

Pour Jules Marouzeau (philologue français, 1878-1964) la métalepse est une « figure invoquée par les auteurs de traités de rhétorique pour expliquer de prétendus transferts (...) de signification ; ainsi dans l'emploi de entendre au sens de comprendre, de écouter au sens de obéir » (extrait de : Lexique de la terminologie linguistique).

Le nom féminin métalepse est emprunté (1585) au grec de même sens metalêpsis (changement, échange), dérivé de metalambanein (recevoir sa part, échanger), de lambanein (prendre). Il est possible que le latin impérial metalepsis ait servi d'intermédiaire, mais l'époque d'emprunt rend possible l'emprunt direct au grec.



La prolepse



Le nom féminin prolepse est emprunté à la Renaissance (1564) au grec prolêpsis (opinion que l'on se fait d'avance, préjugé) spécialement en rhétorique (réponse anticipée à une question). Ce substantif est dérivé du verbe prolambanein (futur prolêpsesthai) qui signifie prendre, porter en avant et, avec une valeur temporelle, prendre par avance d'où, au figuré, prendre d'avance par l'esprit, présumer, préjuger. Ce verbe est formé de pro (pour) et de lambanein (prendre).

On peut rencontrer des prolepses de mots (anticipation de mot(s) par déplacement de ce(s) mot(s) dans la phrase) et des prolepses de style (anticipation des objections d'autrui).

Le mot désigne en rhétorique une figure, dite aussi anticipation, par laquelle on va au-devant des objections de l'adversaire ; pour prévenir les objections d'autrui et les détruire, les réfuter, on se les fait à soi-même d'avance. Exemple : On me dira que je n'aurai pas dû le frapper. Mais j'avais de bonnes raisons de le faire : il venait d'insulter ma fille et de gifler ma femme.

Dans la narration, on parle de prolepse lorsqu'on annonce des faits à venir, à l'inverse d'un retour en arrière ou flashback. Exemple : On me dira que je n'aurai pas dû entrer chez lui sans sonner, que je n'aurai pas dû l'insulter, que je n'aurai pas dû le frapper. On me dira que j'aurai dû essayer de discuter et de parlementer, on me dira que j'aurai dû essayer d'engager le dialogue.

En stylistique ou en grammaire, il désigne (1933) le fait de placer un mot dans la proposition qui précède celle où il devrait normalement figurer. Le poéticien Gérard Genette (critique littéraire et théoricien français de la littérature, 1930-) étend ce sens, rejoignant l'emploi initial du terme (prendre d'avance par l'esprit, présumer, préjuger).

Le procédé peut paraître grammaticalement ou syntaxiquement incorrect, toutefois l'intonation et les pauses peuvent rendre ce type de phrase acceptable en langue parlée. Par exemple : Tu sais Jean comme il aime le chocolat (au lieu de : Tu sais comme il aime le chocolat, Jean). Un tel procédé met en valeur un élément de signification par rapport aux autres. Exemples : Regarde le soleil comme il brille (au lieu de : Regarde comme le soleil brille), Il faut savoir raison garder (au lieu de : Il faut savoir garder la raison).



La syllepse



On appelle syllepse, l'accord des mots en genre et en nombre non d'après la grammaire, mais d'après le sens. Par exemple : viendra, au lieu de viendront dans : Demain VIENDRA l'orage, et le soir, et la nuit (Victor Hugo (1802-1885) ; on parle alors de syllepse grammaticale. En rhétorique, on parle aussi de syllepse quand un terme est pris dans la même phrase au propre et au figuré ; on parle alors de syllepse de sens. Par exemple : Vêtu de probité candide et de lin blanc.

Attention à ne pas confondre la syllepse avec la synchyse (qui est le bouleversement de l'ordre des mots dans la phrase : D'amour me font, Belle Marquise, vos beaux yeux mourir, pour : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour) ou avec l'anacoluthe (qui est une rupture dans la construction de la phrase : Celui qui n'est pas encore convaincu, c'est à lui que je m'adresse, pour : Je m'adresse à celui qui n'est pas encore convaincu) ou encore avec le jeu de mots.

Le nom féminin syllepse est un emprunt au bas latin (1660) des rhétoriciens syllepsis, qui reprend le grec sullêpsis (action de prendre ensemble), d'où compréhension et spécialement accord grammatical selon le sens. Sullêpsis dérive de sullambanein (prendre ensemble, réunir, qui donna le mot syllabe).



***



Consigne : construire un court récit (une page format A4) en utilisant les syllepses et métalepses suivantes, et en annonçant les faits à venir dans la narration (prolepse) en utilisant : on me dira que, les gens penseront que, les critiques fuseront, les langues se délieront, etc.

Commencer par lire les figures qui suivent afin de s'en imprégner, puis laisser libre court à son imagination afin de permettre à des personnages et à des situations de prendre corps ; enfin, bâtir une petite histoire (ou un scénario, ou une succession d'actions) afin de mettre en scène les personnages invoqués, dans des situations que l'on aura provoquées, au prétexte d'utiliser les phrases proposées et les figures imposées.



. Le voleur, on l'a rattrapé en même temps qu'un bon rhume, tant il faisait froid et humide,

. Minuit sonnèrent, une foule de gens l'attendent,

. Se constituer une garde-robe et une conduite personnelle et originale,

. À cinquante ans, beaucoup le tiennent pour un jeune quadragénaire,

. Nous les pleurons (elles sont mortes),

. J'ai le ventre qui gargouille (j'ai très faim),

. Elles ont bien vécu (elles sont mortes),

. J'ai bien entendu : On doit rejoindre à pied la gare qui est à plus de quinze kilomètres ! (j'ai bien compris),

. Je n'obéirai pas aux ordres, d'ailleurs je n'écoute pas, je n'entends plus rien,

. Tu sais Jean comme il aime le chocolat (tu sais comme Jean aime le chocolat),

. Regarde le soleil comme il brille (regarde comme le soleil brille),

. On me dira que je n'aurai pas dû le frapper, on me dira que j'avais tort,

. Il faut savoir raison garder (il faut savoir garder les idées claires).



Cela pourrait donner ceci :



Au village, tout est sens dessus dessous. Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, la veille au soir, deux vies ont été volées. Ce matin, deux corps sans vie ont été découvert près du Pont aux Chats par un passant qui allait chercher du pain à la boulangerie. Un sergent du commissariat voisin arrive sur les lieux et commence son enquête.

- Le voleur, on va l'attraper en même temps qu'un bon rhume, lance une dame au joli visage qui est en train de donner à manger aux chats du Pont aux Chats. Sur ce, elle éternue, puis elle se mouche bruyamment tandis que le sergent, qui observe la neige immaculée qui recouvre les deux corps, ne pipe mot. Pas de trace de lutte, pas de sang, aucune trace de pas.

Le passant qui a découvert le vol et qui a prévenu le commissariat, se tient à côté du sergent. Ce dernier, qui s'appelle Jean, on n'a pas le droit de donner son nom de famille, question de sécurité, quoique tout le monde se connaisse au village, prénoms et nom de famille compris, et tu sais Jean comme il aime le chocolat, Jean sort une tablette de chocolat de sa poche et il enfourne une barre entière de quatre carrés de chocolat dans sa bouche, signe d'une profonde et intense concentration.

- Regarde le soleil comme il brille, Jean ! La neige ne va pas tenir bien longtemps avec ce temps-là, dit le passant en tendant un doigt vers le ciel. Il s'appelle Raymond et à cinquante ans beaucoup le tiennent pour un jeune quadragénaire. Il est amoureux de la belle Madeleine, la quarantaine, qui nourrit tous les jours les chats du Pont aux Chats.

- Qui a bien pu faire ça ? demande Madeleine en rangeant dans son panier les sacs qui contenaient les croquettes et un peu de mou qu'elle a déversé dans des écuelles en plastique. Voler deux vies qui ne vous appartiennent pas, voler la vie des autres, quelle honte ! On dira ce qu'on voudra, moi, je suis d'avis de condamner à mort le voleur, de lui ôter la vie, de lui faire subir ce qu'il a osé faire subir à d'autres.

Raymond se détourne de Jean le sergent et dit en se rapprochant de Madeleine : Il faut savoir raison garder, ma petite Madeleine, ils ont bien vécu, nous les pleurerons, la vie c'est comme ça, ça va ça vient ces deux-là seront oubliés dans la journée, deux de moins, au printemps prochain, il en naîtra d'autres...

- Arrête, Raymond ! Comment oses-tu parler ainsi devant deux pauvres petites dépouilles...

- De chat, Madeleine, des cadavres de chats, précise Raymond avec sérénité. Cette nuit, la température est descendu largement en-dessous de zéro. Ces deux chats étaient vieux et très certainement malade, ton voleur s'appelle le froid et son acolyte s'appelle la vieillesse. Un couple de voleurs redoutables et redoutés.

- Bon, c'est pas tout ça, articule le sergent, les dents barbouillées de chocolat, j'ai pas encore eu le temps de prendre mon petit déjeuner et j'ai le ventre qui gargouille. Je rentre au commissariat, annonce Jean le sergent. J'enverrai le stagiaire prendre vos dépositions pour établir un procès-verbal.

Etc.



À vous de jouer,

À vos claviers, plumes et stylos !





Bibliographie :



> BOURDEREAU, Frédéric, FOZZA, Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 58.



> DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 301, 382, 460.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 3860, t. 5, p. 5034, t. 6, p. 6148.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 102.



> REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1232, 1645, 2061.



> THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 41, 77, 78.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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