lundi 8 avril 2013

La litote : atelier d'écriture n° 17


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L a - P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture n° 17



La litote : « Le loup n'est pas un gentil petit animal de compagnie... », et la prétérition : « Je ne vous dirai pas combien j'ai été affectée par cette nouvelle »



La prétérition est une figure de rhétorique dans laquelle on feint de passer sous silence ce sur quoi on attire l'attention, une figure dans laquelle on feint de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit clairement et même avec force. Par exemple : « Je ne vous dirai pas combien j'ai été affectée par cette nouvelle ». L'atténuation est absolument illusoire et l'énonciation (« Je ne vous dirai pas ») contredit l'énoncé.

La prétérition est une contradiction : ce qui est sous-entendu est le contraire de ce qui est dit.

On parle aussi de paralipse (figure du discours par laquelle le locuteur met en relief une idée en prétendant ne pas la développer) et de prétermission (forme vieillie de prétérition).

Le nom féminin la prétérition est emprunté à la Renaissance (1510) au bas latin praeteritio, -onis, désignant l'action de passer devant, spécialement, au figuré, le fait de passer sous silence sur son testament et, en rhétorique, de déclarer que l'on ne parle pas d'une chose.

Le mot a été repris avec son sens juridique (le gascon utilise pretericion dès 1314) et a retrouvé au XVIe siècle (1577) son acception spéciale en rhétorique (figure par laquelle on parle d'une chose en déclarant qu'on n'en parlera pas) remplaçant prétermission.

***

La litote est une figure de rhétorique qui consiste à dire le plus en disant le moins. C'est une figure de la réticence, de l'atténuation, de l'affaiblissement de la pensée, par une restriction volontaire du discours.

Dans la litote, il ne s'agit pas d'exprimer le « degré » d'un sentiment, mais sa « présence » (essentielle). Elle est une opération bien plus mentale que visuelle.

Elle est un détour intellectuel, dont l'origine est la pudeur ; elle est une figure de pensée où la sobriété, la mesure et la pudeur sont de rigueur, même feintes.

Si par sa lettre, elle est une diminution du sens, par son esprit, elle en est une majoration, et peut être comprise comme hyperbolique. Quand on minimise le signe, on intensifie l'effet restant. Exemples :



Ce n'est pas mal (pour : C'est très bien).

Ce n'est pas triste (pour : C'est très gai).

Va, je ne te hais point (pour : Je t'aime), extrait du : Cid, de Corneille.

Il a su me toucher (pour : Il m'a bouleversée).

Ce n'est pas mauvais (pour : C'est très bon).

Ce spectacle n'est pas sans intérêt (pour : Ce spectacle est très intéressant).

Je crois qu'il ne m'est pas indifférent (pour : Je suis sûre qu'il me plaît).

Ça n'est pas pour me déplaire (pour : Ça me plaît beaucoup).



Le nom féminin la litote, d'abord écrit liptote (1521), puis refait en litote (1730), est emprunté au bas latin des grammairiens litotes, lui-même pris au grec litotês (simplicité, absence d'apprêt), en rhétorique figure laissant entendre plus que l'on ne dit. Le mot dérive de litos (simple), employé à propos de vêtements, de la nourriture (encore en grec moderne : frugal), de la manière de vivre, du style et même de personnes. Cet adjectif appartient au groupe de lis (lisse) dont la racine °lei-, li- ne semble pas se retrouver dans d'autres langues.

Le mot dénomme un procédé stylistique qui consiste à dire moins pour faire entendre plus et, par métonymie, l'expression qui applique ce procédé (1867).

L'adjectif rare et didactique litotique est employé par Roland Barthes (1953, litotique : qui utilise la litote, style litotique) [critique et sémiologue français, 1915-1980, professeur au Collège de France à partir de 1976].



La litote est fréquente dans la littérature classique (pudeur des sentiments, respect des bienséances) et chez certains auteurs contemporains comme Albert Camus [écrivain français, 1913-1960, prix Nobel de littérature en 1957 ; d'après lui, la littérature, la politique ou la métaphysique ne produisent que des illusions dont il faut prendre conscience pour tenter de forger, au gré des engagements, sa propre liberté ; c'est pour traduire cette pensée que son style dépouillé donne l'illusion de la neutralité] ou Marguerite Duras [écrivain et cinéaste française, 1914-1996, prix Goncourt en 1984 avec L’Amant].



La litote est une atténuation concernant l'énonciation d'un message. En décidant d'écrire en deçà de sa pensée et de ses sentiments, un auteur peut choisir d'employer la litote et l'euphémisme (qui sont deux écarts de style, l'euphémisme ayant comme rôle d'adoucir des idées déshonnêtes, désagréables, dures ou tristes),

ou bien il peut choisir de pratiquer l'exténuation (atténuation d'un texte entier), par exemple : « C'est un film parfois un peu simple, plus proche d'un mélodrame que d'une tragédie racinienne. Il ne suscite pas l'enthousiasme, on peut même ne pas le voir » pour : « Ce film est franchement simpliste, schématique comme un mélodrame, sans intérêt »,

ou même rechercher un style « blanc ». Une écriture et un style sont appelés « blancs » lorsque l'auteur livre un minimum d'idées et de sentiments, avec le minimum de moyens syntaxiques – phrases simples, courtes et laconiques – comme s'il n'était pas impliqué ; ce type de style, qui minore la présence de l'émetteur, accroît l'importance de l'énoncé ; les silences créent des effets de distanciation ; le lecteur, intrigué, s'efforce de les interpréter.

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Consignes :

1. Dans cet extrait de L’Amant, de Marguerite Duras, transformer le style « blanc » de l'auteur en imaginant (et en les intégrant au texte) les paroles, les pensées, les idées, les émois ou les sentiments des personnages, et en intégrant des prétéritions (Je ne dirai rien de son élégance, qui... ; Je ne parlerai pas de... ; Sans insister sur sa timidité, qui... ; Sans compter que...).



L'homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d'homme et aux chaussures d'or. Il vient vers elle lentement. C'est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d'abord. Tout d'abord il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n'est pas blanc, il doit la surmonter, c'est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu'elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d'autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille.



2. À l'inverse de l'exercice précédent, transformer l'extrait suivant de Le Silence de la mer, de Vercors, en lui conférant un style « blanc » (phrases simples et courtes, réduction de l'information, distanciation, sobriété des moyens stylistiques, etc.)



Le petit garçon mit sa petite main dans celle de son père sans s'étonner puisque c'était déjà une vieille habitude. J'aime bien la main de mon père, elle est chaude et douce, bien plus grande que la mienne, elle est forte et moi je suis tout petit, pensait-il. Toutefois, il se rendait compte qu'il y avait bien longtemps qu'il ne l'avait pas fait. Ils sortirent du jardin et il vit que Maman avait mis un pot de géranium à la fenêtre de la cuisine, comme elle le faisait habituellement, quand papa sortait. Il aimait bien le rouge des pétales à côté du vert nénuphar des grands feuilles crénelées. C'était un peu drôle. Il faisait un temps splendide. Certes, il y avait des nuages, mais ils étaient informes et tout effilochés. Le petit garçon n'avait pas envie de les regarder. Il regardait le bout de ses petits souliers plein de poussière – il avait oublié de les décrasser hier au soir après qu'il était rentré d'une course dans les champs boueux – il regardait le bout de ses petits souliers qui chassaient devant eux les graviers de la route. Papa regardait en coin les pas qu'il faisait, sans être dupe du jeu avec les cailloux et il ne disait rien, alors que d'habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit-là.



Cela pourrait donner ces résultats-là :



Texte 1 :

L'homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Je ne dirai rien de son élégance, qui, sans être outrancière est un peu tape à l’œil. On s'aperçoit vite qu'il aime porter son costume de lin blanc comme une armure, comme un repoussoir, comme un décor, complété par la cigarette qu'il porte à sa bouche lentement, nonchalamment, précieusement, installant une distance infinie, le croit-il volontiers, entre lui et les autres. Et pourtant ses pensées sont à l'opposé de ce qu'il laisse paraître. Je connais cette jeune fille, je la connais même depuis très longtemps. Comment s'appelle-t-elle, déjà ? Clarisse ? Émeline ? Hortense, oui c'est bien son prénom, comme le nom d'une fleur, Hortense... Il regarde la jeune fille au feutre d'homme et aux chaussures d'or. Il vient vers elle lentement. Sans insister sur sa timidité qui est aussi visible que palpable, je ne parlerai pas de sa pudeur maladive qui le fait repousser tout contact humain. Il ne sourit pas tout d'abord. Tout d'abord il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Elle est si jeune et si fraîche, existerait-il un lien entre nous deux ? pourquoi elle ? pourquoi moi ? par quel mystère éprouvant et inhumain sommes-nous mystérieusement attachés, Hortense et moi. Il y a cette différence de race, il n'est pas blanc, il doit la surmonter, c'est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu'elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d'autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille. Elle aime son regard doux et bienveillant, quoique inquiet. Elle ne comprend pas son inquiétude.



Texte 2 :

Le petit garçon mit sa main dans celle de son père sans s'étonner. Pourtant, il y avait longtemps, pensait-il. On sortit du jardin. Maman avait mis un pot de géranium à la fenêtre de la cuisine, comme chaque fois que papa sortait. C'était un peu drôle. Il faisait beau, - il y avait des nuages, mais informes et tout effilochés, on n'avait pas envie de les regarder. Alors le petit garçon regardait le bout de ses petits souliers qui chassaient devant eux les graviers de la route. Papa ne disait rien. D'habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit-là.



À vous de jouer,

À vos claviers, plumes et stylos !





Bibliographie :



> DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, pp. 288, 379.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol., t. 4, p. 865, t. 5, p. 1179.



> LITTRÉ, Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 3554, t. 5, p. 4983.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET, Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 72.



> REY, Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1137, 1626.



> THERON, Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 90, 91.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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