mardi 16 juillet 2013

Musique et rythme en prose : la musique de la phrase, la musicalité, la longue phrase, les rythmes binaire et ternaire, les rythmes ascendant et descendant, le rythme de la phrase, atelier d'écriture n° 34 de LA PUBLiance


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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture n° 34



Musique et rythme en prose



Le nom masculin rythme est une réfection (modification) savante (1549, Joachim du Bellay) de rime (vers 1370), puis rithme (1512). Le mot est emprunté au latin rhythmus (mouvement, battement régulier, mesure, cadence) spécialement en rhétorique (nombre oratoire) et, en latin médiéval (poème, vers 1036), repris au grec rhuthmos, qui est un des mots clés de la philosophie aristotélicienne (psychologie, théorie de l'art) [Aristote était un philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de : La Poétique, et de : La Rhétorique ].

Le mot est dérivé de rhein (couler), et, d'après Émile Benveniste [linguiste français, 1902-1976, entré à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1960], rhuthmos aurait d'abord le sens de forme, assumé par ce qui est mouvant, fluide, modifiable. De ce sens, qui correspond à arrangement des parties, dans l'espace, on serait passé à une notion temporelle, illustrée dans les textes à partir de Platon [philosophe grec, 428 avant J.-C.-348 avant J.‑C., auteur de 28 Dialogues].

Rythme, après un emploi isolé en musique, est repris au XVIe siècle et désigne le retour imposé à des intervalles réguliers d'éléments harmoniques caractéristiques du vers ; puis, il renvoie au mouvement général résultant, dans un texte, de la répartition, du retour régulier et plus ou moins rapide de certains éléments de la phrase.



Le rythme, c'est l'équilibre des parties d'une phrase. Une des règles les plus générales est de ne pas terminer une phrase sur un membre beaucoup plus court que les précédents, sauf si le scripteur vise un effet particulier de mise en évidence. On considère souvent comme un défaut, par ailleurs, que la prose ait le rythme des vers.



Le rythme est la qualité du discours qui, par le moyen de ses syllabes accentuées, vient frapper notre oreille à de certains intervalles ; c'est la succession de syllabes accentuées (sons forts) et de syllabes non accentuées (sons faibles).



Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.

Extrait de : Lettre à Louise Colet (7 avril 1854), de Gustave Flaubert [écrivain français, 1821-1880].



La langue française n'est pas une langue accentuée comme l'anglais ou l'espagnol, et les syllabes semblent de même longueur. Pourtant, le rythme est bien présent dans la prose française, à travers la syntaxe (le choix des mots, d'un lexique, d'un vocabulaire), le sens (polysémie, monosémie, connotations, dénotations) ou les sons (l'harmonie, fondée sur la répartition équilibrée des sons, participe au rythme et au mouvement du texte dont elle est la mélodie).

Dans la phrase simple, du type Groupe sujet + Groupe verbal + Groupes compléments, chaque groupe peut être assimilé à une mesure, décomptée en syllabes. Un rythme naît des rapports de longueur entre ces mesures.

Dans la phrase complexe, assemblage de propositions ou de phrases simples, le rythme naît surtout des rapports de longueur entre ces propositions (ce qui n'exclut pas leurs rythmes internes).



Il existe 4 types de rythmes :

> On parle de rythme binaire lorsque les groupes de mots (Groupe sujet, Groupe verbal, Groupe complément) ou les propositions (phrases dans la phrase) sont de longueur similaire et au nombre de 2. On obtient un effet de symétrie et de clarté. Par exemple : Près de sa belle maison (proposition 1, dont la longueur est de 7 syllabes) / vivait un voisin irascible. (proposition 2, dont la longueur est de 8 syllabes).

> On parle de rythme ternaire lorsque les groupes de mots ou les propositions sont de longueur similaire et au nombre de 3. On obtient un effet de clarté et de parallélisme. Par exemple : Près de sa maison, (proposition 1, de 5 syllabes) / qui était si belle, (proposition 2, de même longueur) / vivait un voisin hargneux. (proposition 3, de 7 syllabes).

> On parle de rythme ascendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus longs, ou de propositions de plus en plus longues. Par exemple : Là-bas, (2 syllabes) / près de sa maison, (5 syllabes) / qui était vraiment très belle, (7 syllabes) / avec sa façade équilibrée, (9 syllabes) / et ses peintures joyeuses aux tons pastels, (11 syllabes) / demeurait ce ridicule et irascible voisin. (14 syllabes).

On emploie ce type de rythme pour obtenir des effets de suspense, d'attente, de gradation et d'abondance. La juxtaposition de phrases simples ou complexes ascendantes accélère le rythme général d'un récit.

> On parle de rythme descendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus courts, ou de propositions de plus en plus courtes. Par exemple : Près de la si belle et si vaste demeure de mon ami Raymond, (18 syllabes) / avec ses peintures joyeuses aux tons pastels, (12 syllabes) / et sa façade bien équilibrée, (10 syllabes) / aux beaux volets rutilants, (7 syllabes) / vivait ce voisin, (5 syllabes) / un hargneux. (3 syllabes).

La juxtaposition de phrases de plus en plus courtes a un effet de ralentissement sur le rythme général du texte.



Passer la nuit dans cet obscur wagon n'avait rien d'enchanteur ; et puis je n'avais pas dîné. La gare était loin du village et l'auberge m'attirait moins que l'aventure ; au surplus je n'avais sur moi que quelques sous. Je partis sur la route, au hasard, et me décidai à frapper à la porte d'un mas assez grand, d'aspect propre et accueillant.

Extrait de : Si le grain ne meurt (1924), d'André Gide [écrivain français, 1869-1951, Prix Nobel de Littérature en 1947].

On peut établir le schéma rythmique des phrases 1 (Passer... dîné.), 2 (La gare... sous.) et 3 (Je partis... accueillant.), et observer les effets obtenus par l'emploi de ces rythmes.

La phrase 1 est composée de 2 phrases simples, de longueurs différentes (16 et 8 syllabes). Le rythme binaire décroissant convient bien à l'expression « un creux dans l'estomac ».

La phrase 2 est constituée de 3 phrases simples : 9 syllabes, 13 syllabes et 12 syllabes, et le rythme ternaire équilibré (la longueur des 3 phrases simples est similaire) illustre bien le bilan de la situation que le personnage effectue.

La phrase 3 est ascendante : 10 + 25 syllabes, et traduit le suspense : comment sera accueilli le personnage ?



Il faut écrire, et l'on me donne une plume, de l'encre, du papier qui se conviennent à merveille. J'écris avec facilité je ne sais quoi d'insignifiant. Mon écriture me plaît. Elle me laisse une envie d'écrire. Je sors. Je vais. J'emporte une excitation à écrire qui se cherche une chose à écrire. Il vient des mots, un rythme, des vers, et ceci finira par un poème dont le motif, la musique, les agréments, et le tout,- procéderont de l'incident matériel dont ils ne garderont aucune trace.

Extrait de : Rhumbs (1926, p. 174), de Paul Valéry [écrivain français, 1871-1945, entré à l'Académie française en 1925].



La langue française est difficile. Elle répugne à certaines douceurs. C'est ce que Gide exprime à merveille en disant qu'elle est un piano sans pédales. On ne peut en noyer les accords. Elle fonctionne à sec. Sa musique s'adresse plus à l'âme qu'à l'oreille.

Extrait de : La Difficulté d'être (1947, p. 201), de Jean Cocteau [écrivain français, 1889-1963, entré à l'Académie française en 1955].



La musique d'un texte en prose est l'expression d'une pensée. Dans le sens ancien et primitif, la musique n'était pas une science particulière, c'était tout ce qui appartenait aux Muses ou en dépendait ; c'était donc toute science et tout art qui apportait à l'esprit l'idée d'une chose agréable et bien ordonnée.



Le nom féminin musique (art de combiner les sons) est emprunté (1150) au latin musica, lui-même emprunté au grec mousikê (sous-entendu tekhnê), proprement l'art ou technique des Muses, dérivé de Mousa.

Mousa en grec est un terme de mythologie généralement employé au pluriel pour désigner les Muses et servant d'appellatif avec le sens de poésie, culture, musique. Les Muses, déesses des champs et des montagnes, font don aux hommes de l'inspiration poétique ainsi que de la connaissance ; elles sont filles de Mnémosyne (Mémoire) et de Zeus ou, selon d'autres interprétations, d'Harmonia, ou encore d'Ouranos et de Gê (le Ciel et la Terre). À partir de l'époque classique (l'Antiquité gréco-romaine, qui précède le Moyen-Âge), en latin, leur nombre est fixé à neuf.

Le mot Muses a pénétré en français pour désigner ces neuf déesses chez les traducteurs en ancien français et en ancien provençal de Boèce [philosophe et homme politique latin, 480-524, auteur de : De la consolation de la philosophie ; sa place dans l'histoire de la logique est importante, entre Aristote et les stoïciens d'une part, et le Moyen-Âge d'autre part]. À la Renaissance, le mot a acquis par extension la signification de belles lettres (1548) au sens de littérature, et spécialement poésie (1549, L'Olive, de Joachim Du Bellay [poète français, 1522-1560, rédigea le programme de la Brigade, qui deviendra la Pléiade en 1553, groupe composé de sept poètes dont Ronsard, qu'il avait rencontré en 1547]).



Quelques sens analogiques du mot musique se sont développés depuis le XVIe siècle : musique se dit de tout ce qui affecte l'oreille, de façon agréable ou, ironiquement, désagréable (1560-1565, la musique d'un asne). À la fin du XVIIIe siècle, le mot commence à se dire de l'harmonie du langage, d'un texte (avant 1778), puis, plus abstraitement, de celle des pensées, des rêveries (1800, Chateaubriand).



Consigne 1 :



Utiliser les mots suivants pour construire un petit texte aux phrases courtes (rythme saccadé), puis un petit récit aux phrases moyennement longues (rythme souple), et enfin une seule longue phrase au rythme ample et soutenu.



Mots proposés :

Torpeur – Engourdissement – Somnolence – Boa – Languide – Lumière – Septembre – Vibrer – Arbre – Immobile – Se tenir – Étincelant – Majestueux – Odeur – Sûre – Poire – Suspendre – Nuage – Journée – Lent – Se succéder – Passer – Englober – Feuillage – Colline – Maison – Sommet – Façade – Claire – Se dresser – Frondaisons – Inexpressive – Énigmatique – Participer – Torpeur.



Phrases courtes :

Je somnole. Un engourdissement m'a saisi après le repas. Une torpeur béate et languide. Tu fais le boa, m'a dit ma femme. Mes yeux mi-clos, lumière d'une après-midi de septembre, elle débarrasse la table, ma femme, pas la lumière. Elle vibre et étincelle, ma femme, pas la lumière, car elle est en colère. Je fais le boa. Un boa ne peut pas débarrasser une table, me semble-t-il. Au-dessus des poiriers, les nuages sont suspendus au ciel, immobiles. L'odeur d'une journée sûre qui se succède à elle-même. Immobile. Les secondes passent. Englobent les feuillages. La colline, la maison, le somment de la façade se dressent. Torpeur. Les frondaisons énigmatiques participent au temps. Tout est torpeur inexpressive. Tout dort.



Phrases moyennement longues :

Je subis la torpeur d'une fin de repas bien arrosé. Je suis pris dans les filets d'un engourdissement de boa. Je somnole dans la lumière de septembre. L'arbre, dont le feuillage languide vibre immobile, se tient étincelant et majestueux. C'est un peuplier, dont l'odeur sûre comme celle de la poire, est suspendue aux nuages d'automne. La colline, le sommet de la maison, la façade se succèdent et se dressent sous les frondaisons. Une lente journée passe, englobée de torpeur, inexpressive et énigmatique. Je ne participe pas.



Une seule longue phrase, extraite de : L'Herbe (1958, p. 78), de Claude Simon [écrivain français, 1913-2005, prix Nobel de littérature en 1985] :

Et tout au plus cette sorte de torpeur, d'engourdissement, la somnolence du boa : dans la languide lumière de septembre vibrant doucement, les arbres se tenant immobiles, étincelants, majestueux, et l'odeur sûre des poires suspendues, les lents nuages, les lentes journées se succédant, passant, englobant feuillages, collines, et la maison au sommet de la colline, la façade claire se dressant entre les frondaisons, inexpressive, énigmatique, participant, semble-t-il, elle aussi, de cette torpeur, etc.



Consigne 2 :



Composer un petit récit au rythme ascendant puis descendant, à partir des 2 phrases suivantes :

La bergère est tombée malade. L'enfant a refusé.



Cela pourrait donner ceci :

Première partie, ascendante :

Jolie est la bergère (6 syllabes). C'est une petite fille, qui travaille (9). Elle part tous les matins dès le lever du soleil (13). Depuis qu'elle a 6 ans, elle part travailler tous les jours (14). Quelque soit le temps, chaud ou froid, quelque soit sa fatigue ou son envie (18 syllabes). La petite fille ne se plaint jamais, car son courage égale sa grâce et sa beauté (23). Depuis 7 ans, émue jusqu'aux larmes, la fidèle aube assiste quotidiennement au départ de l'enfant (27). La petite marche à petits pas derrière le troupeau trottinant de brebis doucement bêlantes, encore toutes emmêlées de sommeil (35).

Deuxième partie, descendante :

Un jour, on s'aperçoit que la petite a grandi, que le cœur n'y est plus : la grâce a disparu, est apparue la fatigue (32). La jeune fille ne se réveille pas et elle ne se lève plus pour accompagner le troupeau au pré (24). Alerté par les bêlements impatients des bêtes enfermés, le père accourt (21). Sa fille reste plongée dans un profond sommeil (12). Le père se précipite et la secoue (10). Réveille-toi ! lui ordonne-t-il (9) ; non, non, non et non, et encore non (9).

Le père, incrédule, va en informer la mère (12). Il répète : L'enfant – a – refusé (9). L'en – fant – a – re – fu – sé (6). Stupeur du couple (4). Colère (2). Peur (1).



À vous de jouer,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :



> CRESSOT Marcel, JAMES Laurence (mise à jour), 1991. Le style et ses techniques : précis d'analyse stylistique. Paris, Presses universitaires de France. 13e éd., p. 268.


> DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse, p. 413.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd., p. 21.



> LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 4, p. 4062, t. 6, p. 5581.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 56.



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., pp. 1295, 1852.



> VOLKOVITCH Michel. Verbier : herbier verbal. M. Nadeau, 2000, p. 133.



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