jeudi 21 novembre 2013

Atelier d'écriture IV, avec François le Champi de George Sand


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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture IV



Style et registre avec François

le Champi de George Sand



Sommaire



> Extrait de François le Champi (1847-1848) de George Sand, pp. 221, 310-312, 402-403.

> Qui était George Sand ?

> Que raconte François le Champi ?

> Que sont le registre et le style ?

> Extrait de François le Champi (1847-1848) de George Sand (pp. 221, 310-312, 402-403), où les expressions et les mots en patois sont en majuscule.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de François le Champi (1847-1848) de George Sand, pp. 221, 310-312, 402-403.



Un matin que Madeleine Blanchet, la jeune meunière du Cormouer, s'en allait au bout de son pré pour laver à la fontaine, elle trouva un petit enfant assis devant sa planchette, et jouant avec la paille qui sert de coussinet aux genoux des lavandières. Madeleine Blanchet, ayant avisé cet enfant, fut étonnée de ne pas le connaître, car il n'y a pas de route bien achalandée de passants de ce côté-là, et on n'y rencontre que des gens de l'endroit. [… 10 ans après]

- Je ne veux pas me marier.

- Voilà une idée ! Tu es trop jeune pour en répondre. Mais la raison ?

- La raison ! dit François. Ça vous importe donc, mon maître ?

- Peut-être, puisque j'ai de l'intérêt pour toi.

- Je vas vous la dire ; je n'ai pas de raison pour m'en cacher. Je n'ai jamais connu ni père ni mère... Et, tenez, il y a une chose que je ne vous ai jamais dite ; je n'y étais pas forcé ; mais si vous m'aviez questionné, je ne vous aurais pas fait de mensonge. Je suis champi, je sors de l'hospice.

- Oui-da ! s'exclama Jean Vertaud, un peu saboulé par cette confession ; je ne l'aurais jamais pensé.

- Pourquoi ne l'auriez-vous jamais pensé ?... Vous ne répondez pas, mon maître ? Eh bien, moi, je vas répondre pour vous. C'est que, me voyant bon sujet, vous vous seriez étonné qu'un champi pût l'être. C'est donc une vérité que les champis ne donnent point de confiance au monde, et qu'il y a quelque chose contre eux ? Ça n'est pas juste, ça n'est pas humain ; mais enfin c'est comme ça, et c'est bien force de s'y conformer, puisque les meilleurs cœurs n'en sont pas exempts, et que vous-même...

- Non, non, dit le maître en se ravisant – car il était un homme juste, et ne demandait pas mieux que de renier une mauvaise pensée ; - je ne veux pas être contraire à la justice, et si j'ai eu un moment d'oubliance là-dessus, tu peux m'en absoudre, c'est déjà passé. Donc, tu crois que tu ne pourrais pas te marier, parce que tu es né champi ?

- Ce n'est pas ça, mon maître, et je ne m'inquiète point de l'empêchement. Il y a toutes sortes d'idées dans les femmes, et aucunes ont si bon cœur que ça serait une raison de plus.

- Tiens ! c'est vrai, dit Jean Vertaud. Les femmes valent mieux que nous pourtant !... Et puis, fit-il en riant, un beau gars comme toi, tout verdissant de jeunesse, et qui n'est écloché [éclopé] ni de son esprit ni de son corps, peut bien donner du réveillon au plaisir de se montrer charitable. Mais voyons ta raison.

- Écoutez, dit François ; j'ai été tiré de l'hospice et nourri par une femme que je n'ai point connue. À sa mort, j'ai été recueilli par une autre qui m'a pris pour le mince profit du secours accordé par le gouvernement à ceux de mon espèce ; mais elle a été bonne pour moi, et quand j'ai eu le malheur de la perdre, je ne me serais pas consolé, sans le secours d'une autre femme qui a été encore la meilleure des trois, et pour qui j'ai gardé tant d'amitié que je ne veux pas vivre pour une autre que pour elle. Je l'ai quittée pourtant, et peut-être que je ne la reverrai jamais, car elle a du bien, et il se peut qu'elle n'ait jamais besoin de moi. [… quelques mois plus tard]

Et à la fontaine, ils ne trouvèrent plus ni Jeannette ni Jeannie qui étaient rentrés. Mais François retrouva le courage de parler, en se souvenant que c'était là qu'il avait vu Madeleine pour la première fois, et là aussi qu'il lui avait fait ses adieux onze ans plus tard. Il faut croire qu'il parla très bien et que Madeleine n'y trouva rien à répondre, car ils y étaient encore à minuit, et elle pleurait de joie, et il la remerciait à deux genoux de ce qu'elle l'acceptait pour son mari.

Là finit l'histoire, dit le chanvreur. […]

- L'histoire est donc vraie de tous points ? demanda Sylvine Courtioux.

- Si elle ne l'est pas, elle le pourrait être, répondit le chanvreur, et si vous ne me croyez, allez y voir.



> Qui était George Sand ?



Aurore Dupin (baronne Dudevant, dit George Sand) était une romancière française (1804-1876), qui revendiquait pour les femmes les droits de la passion, force sacrée justifiée par sa sincérité même. La romancière se passionna elle-même notamment pour Alfred de Musset [écrivain français, 1810-1857, dont l’œuvre théâtrale est considérée aujourd'hui comme la contribution la plus originale et la plus durable du romantisme français à l'art dramatique] et pour Frédéric Chopin [compositeur polonais, 1810-1849, qui apparaît avec Maurice Schumann et Franz Liszt, comme le véritable créateur du style de piano]. Pour George Sand, « L'art n'est pas une étude de la réalité positive ; c'est une recherche de la vérité idéale ».

Auteure de Indiana (1832) et de Lélia (1833), qui sont des autobiographies transposées, de Le Compagnon du Tour de France (1840) et de Consuelo (1842-1843), où elle reprend les thèses de Jean-Jacques Rousseau [écrivain et philosophe genevois de langue française, 1712-1778], George Sand est aussi l'auteure d'une correspondance très abondante, notamment avec Gustave Flaubert [écrivain français, 1821-1880], de romans « champêtres » : La Mare au diable (1846), François le Champi (1847-1848), La Petite Fadette (1849), Les Maîtres sonneurs (1853), et d'une autobiographie : Histoire de ma vie (1854).

Cette production romanesque et dramatique, dont les effusions lyriques et les déclamations humanitaires peuvent paraître excessives de nos jours, frappe cependant par la générosité qui l'anime et la sûreté de la narration. C'était une auteure pour qui « Le roman d'aujourd'hui [1840-1850] devrait remplacer la parabole et l'apologue des temps naïfs ».



> Que raconte François le Champi ?



C'est un roman dit « champêtre » [qui appartient aux champs, à la campagne cultivée] où s'exprime l'optimisme sentimental de l'auteure, qui peint l'évolution des sentiments de François pour Madeleine (François est un enfant trouvé, ou un champi en dialecte berrichon). Madeleine est une jeune meunière mal mariée, qui, à la mort du vieux meunier, et malgré les calomnies, épousera François.

François le Champi a paru pour la première fois dans le feuilleton du Journal des Débats [quotidien français fondé en 1789 et qui cessa de paraître en 1944], du 31 décembre 1847 au 14 mars 1848. Ce récit idyllique est mené avec une grande délicatesse et le style en est d'une savante simplicité.

Par un style qui doit réussir à évoquer la réalité paysanne, à la rendre présente et vivante, l'ambition de l'auteure serait d'être comprise et goûtée à la fois d'un « Parisien parlant la langue moderne », et d'un paysan ne connaissant que le parler de son terroir.

Pour obtenir ce double résultat, les moyens stylistiques employés sont les suivants :

=> emprunts au patois berrichon de termes faciles à comprendre (locature, le respire, précipiteux, amiteux, aiseté, dormille, folleté, parlage), et de termes plus particuliers nécessitant une explication qui tantôt est donnée dans le texte (alochons, pive), tantôt ne l'est pas (tabâtres, trigauderies, croquabeilles, courza, etc.) qui contribuent à entretenir dans tout le roman une poésie rustique, bucolique et pastorale, en évitant la vulgarité dans un souci de tenue littéraire.

=> emploi d'un patois de l'invention de l'auteure par déformation des expressions courantes en y introduisant un détail insolite : « les hommes de la loi », « un petit le toit de sa maison qui faisait l'eau de tous côtés », « il se mit à faire l'examen de sa conscience ». L'effet de gaucherie qui en résulte paraît rendre suffisamment l'allure du style paysan. « Le patois est une langue vivante : la forme des mots est variable, le jeu des suffixes et des préfixes est variable, les mots changent de sens suivant le contexte, ou, plus exactement, n'ont pas un sens rigoureusement défini. Tous les patoisants créent du patois et ont le droit de créer du patois », extrait de : Histoire de la langue française, t. XII, L'Époque romantique (p. 429), de Charles Bruneau.

=> la structure de la phrase : emploi de phrases simples, souvent incomplètes, ponctuées d'arrêts, de reprises, d'exclamations, et de phrases complexes, harmonieusement balancées et savantes.



> Que sont le registre et le style ?



Le registre passe par l'utilisation d'un langage, tandis que le style traduit la langue d'un(e) auteur(e).

Langage, langue : ces deux mots ne diffèrent que par la finale « age » qui, étant la finale « aticus » des latins, signifie ce qui opère, ce qui agit. C'est là ce qui fait la nuance des deux mots.

La langue est plutôt la collection des moyens d'exprimer la pensée par la parole ; le langage est plutôt l'emploi de ces moyens. C'est la nuance que l'on aperçoit, par exemple, entre la langue française et le langage français. Pour la même raison, on dit le langage par signes, le langage des yeux, et non la langue par signes, la langue des yeux. La langue du cœur, ce sont les expressions dont le cœur se sert d'ordinaire ; le langage du cœur, ce sont les émotions que le cœur fait partager (1870).



Au propre, le langage, c'est l'emploi de la langue pour l'expression des pensées et des sentiments. Le langage des oiseaux pour leur chant, le langage des animaux pour leurs cris, leurs rugissements, le langage des plantes, etc. Au figuré, c'est tout ce qui sert à exprimer des sensations et des idées. Le langage du geste pour le mime.



C'est vers 1361 que le langage est l'emploi particulier d'une langue envisagée sous son aspect formel, du point de vue de la correction et du registre. Ce n'est que vers 1587 que le langage est considéré par rapport aux idées exprimées et au contenu de la communication. Le mot est défini linguistiquement au XVIIe siècle comme un système de signes plus ou moins complexe servant à l'expression et à la communication (1662). Le mot s'emploie par extension, d'une manière plus ou moins flottante, à propos d'un ensemble de signe formant système (1867), par exemple dans le langage des parfums, le langage des couleurs.



Langue

La langue d'un auteur, c'est l'ensemble des mots et des tournures dont un auteur fait surtout usage, c'est le contenu de son discours, non par son thème mais par l'usage que l'auteur fait du vocabulaire (lexique) et des procédés syntaxiques (composition de la phrase, temps et mode des verbes). Par exemple la langue de Corneille, de Racine.

La langue de bois est une façon de s'exprimer qui abonde en stéréotypes et en formules figées.



Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes. La raison seule est commune, l'esprit en chaque langue a sa forme particulière,

extrait de : L'Émile, II, de Jean-Jacques Rousseau [écrivain et philosophe genevois de langue française, 1712-1778].



Un idiome est un parler propre à une région (dialecte, patois) ou à un groupe social ; Se former sur quelque chose, a le sens de : le prendre comme modèle, comme exemple.



Les niveaux de langue désignent les façons particulière de s'exprimer, l'usage du langage propre à un groupe ou à un individu.

La valeur du niveau est donnée par le vocabulaire employé et la tournure de la phrase, allant du langage commun, courant, général, ordinaire, quotidien, au langage simple ; du langage parlé, populaire, argotique, cru, libre,trivial, vulgaire, au langage littéraire, écrit, prosaïque (prose), poétique, lyrique, choisi, noble, relevé, soutenu ; du langage académique, châtié, guindé, affecté, amphigourique (compliqué, confus et obscur), précieux, au langage archaïque ou d'aujourd'hui, moderne, nouveau ; du langage clair, direct, expressif, au langage ésotérique, hermétique, secret, incompréhensible, confus.



En linguistique, on parle de niveaux de langue en tant que actualisations d'une langue, selon les caractéristiques d'un usage déterminé, et d'après la situation de communication, les possibilités et les intentions du locuteur, manifestées par des stratégies de discours. Les niveaux de langue, comme les registres et les styles, sont variables suivant le niveau social, culturel, de ceux qui parlent.



Registre

Le mot registre est l'adaptation (XIIIe siècle) de l'ancien français regeste (vers 1155), puis regestre (vers 1265) qui signifie « récit, histoire ». Ce mot rare a été repris au XIXe siècle par Maximilien Paul Émile Littré [1801-1881] dont les nombreux travaux philologiques et lexicographiques devaient aboutir à la publication de son œuvre principale : le Dictionnaire de la langue française (1863-1872).

Ce mot rare a aussi été repris à partir de 1870 par les historiens médiévistes pour désigner le répertoire chronologique enregistrant les actes issus des pouvoirs publics ou intervenus entre des particuliers.

Il est intéressant de noter que dès 1559 le mot désigne l'étendue des moyens dont quelqu'un dispose dans un certain domaine, d'abord à propos de la parole.



Les registres de la parole sont les utilisations que chaque sujet « parlant » fait des niveaux de langue existant dans l'usage social d'une langue (familier, standard, soutenu, populaire, cultivé, etc.). Car non seulement les manières de parler (et d'écrire) peuvent considérablement varier d'une personne à l'autre, de plus un même locuteur s'exprimera de façon extrêmement diversifiée selon les situations de communication dans lesquelles il se trouvera (on ne rédige pas de manière identique une lettre à sa mère et une lettre à un collègue de travail et une lettre à un supérieur hiérarchique). On distingue habituellement trois registres de langue : familier, standard et soutenu.



Le registre familier correspond au français parlé entre interlocuteurs placés sur un pied d'égalité, avec un lexique composé de mots courants, argotiques parfois, d'expressions imagées et pittoresques, d'écarts de style insolites, et dont la syntaxe est faite de phrases courtes, hachées ou inachevées, où les propositions (sous-phrases) sont juxtaposées plutôt que subordonnées, et qui admet beaucoup d'écarts dans l'agencement des groupes de mots.

Par exemple : Dans la salle à manger, on risquait pas de manquer de place. Et ça sentait drôlement bon. La cire, je crois bien, et même le miel sauvage. Y avait aussi des lilas. Tout ça annonçait des rupins !



Le registre standard correspond au français écrit ou parlé entre des interlocuteurs qui ne se connaissent pas : le vocabulaire est informatif, neutre, composé de mots usuels compris sans difficultés par la majorité, parfois appauvris (pas de mots vulgaires, ni trop spécialisés, ni trop littéraires, pas d'emphase ni d'expressivité excessive), les phrases sont facilement compréhensibles et composées sur le modèle sujet + verbe + complément, dans le respect de la norme, sans recherche ni effet. Ce registre est utilisé dans la littérature dite « réaliste ».

Par exemple : Dans la salle à manger, très spacieuse, les meubles venaient d'être cirés.



Le registre soutenu ou « cultivé » (par nature le registre du style) correspond au français écrit ou écrit oralisé, utilisé dans des communications officielles ou institutionnelles et en littérature. Le vocabulaire est recherché, composé de mots précis, de mots rares ou abstraits, de mots riches en connotations ou polysémiques (qui présentent plusieurs sens) ; les phrases sont souvent complexes avec beaucoup de subordonnées, dans une recherche stylistique de la variété, obtenue par des écarts (antithèse, inversion, métaphore, métonymie, etc.) ou par l'emploi de certaines figures de rhétoriques (par exemple le zeugme, la syllepse, l'anacoluthe, l'abstraction, la synchyse, etc.).

Exemple : Dans la salle à manger, les reflets chatoyants que renvoyaient les meubles, les senteurs rares et raffinées de cire et de miel sauvage, les volutes voluptueuses des lilas sur la desserte, tout annonçait la liesse des sens et de l'esprit.



Style et styles

On a donc deux notions distinctes : le niveau de langue d'un texte, défini par l'analyse du lexique et de la syntaxe, et le registre de langue d'un auteur, soit lorsqu'il mélange plusieurs tons, plusieurs styles, plusieurs genres, ou au contraire lorsqu'il privilégie l'unité de ton, l'homogénéité lexicale (par exemple l'épopée et la tragédie, la satire et la comédie aux époques classiques).

Exemple :

Apporte le café, le beurre et les tartines

On dirait que le vent dit des phrases latines...

de Guillaume Apollinaire [poète français, 1880-1918],

où l'auteur mélange deux niveaux de langue (vocabulaire familier du premier vers, et registre soutenu du deuxième vers par utilisation de l'image du vent parlant en latin) et deux tons différents, celui de la prose (premier vers) à celui de la poésie (deuxième vers rimé) sans rendre pour autant cette dernière prosaïque, car les deux vers sont des alexandrins.

Dans les deux cas, niveaux de langue du texte et registre de langue de l'auteur, les clivages sont d'ordre lexical (argot et langue standard, vocabulaire technique et langue commune) ou/et d'ordre phonétique, morphologique, syntaxique et lexical (langue cultivée et langue populaire, langue courante et patois).



Par définition, « le style est l'aspect de l'énoncé qui résulte du choix des moyens d'expression,déterminé par la nature et les intentions du sujet parlant ou écrivant », extrait de : La Stylistique (1954, p. 109), de Pierre Guiraud.



Le style et il y en a de mille sortes, ne s'apprend pas ; c'est le don du ciel, c'est le talent. Extrait de : Mémoires d'outre-tombe (t. II, p. 139), de François René de Chateaubriand [écrivain français, 1768-1848, entré à l'Académie française en 1811].



Le style résulte d'une sensibilité spéciale à l'égard du langage. Cela ne s'acquiert pas ; mais cela se développe. Extrait de : Regards sur le monde actuel (1931, La Pléïade, p. 1053), de Paul Valéry [écrivain français, 1871-1945].



Le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Extrait de : Le Temps retrouvé (1927, La Pléïade, p. 895), de Marcel Proust [écrivain français, 1871-1922].



(…) un style qui serait beau, que quelqu'un fera à quelque jour, dans dix ans ou dans dix siècles, et qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feu ; un style qui vous entrerait dans l'idée comme un coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses, comme lorsqu'on file dans un canot avec bon vent arrière. Extrait de : Correspondance (318, 24 avril 1852), de Gustave Flaubert [écrivain français, 1821-1880].



(Huysmans) s'était assuré le style de ses nerfs ; langage visant toujours à l'inattendu et à l'extrême de l'expression, surchargé d'adjectifs pervertis et employés hors d'eux-mêmes. (…) Il aimait de brutaliser l'ordre des mots, d'éloigner le qualificatif du nom qu'il qualifie, le complément du verbe. (…) Il usait et abusait systématiquement des épithètes non impliquées par l'objet mais suggérées par la circonstance (…) moyen puissant – mais moyen périlleux et de courte vie, comme tous les moyens de l'art qui se peuvent aisément définir. Extrait de : Variété, Études littéraires (La Pléïade, p. 755), de Paul Valéry [écrivain français, 1871-1945].



> Extrait de François le Champi (1847-1848) de George Sand (pp. 221, 310-312, 402-403), où les expressions et les mots en patois sont en majuscule.



Un matin que Madeleine Blanchet, la jeune meunière du Cormouer, s'en allait au bout de son pré pour laver à la fontaine, elle trouva un petit enfant assis devant sa planchette, et jouant avec la paille qui sert de coussinet aux genoux des lavandières. Madeleine Blanchet, ayant avisé cet enfant, fut étonnée de ne pas le connaître, car il n'y a pas de route bien achalandée de passants de ce côté-là, et on n'y rencontre que des gens de l'endroit. [… 10 ans après]

- Je ne veux pas me marier.

- Voilà une idée ! Tu es trop jeune pour en répondre. Mais la raison ?

- La raison ! dit François. Ça vous importe donc, mon maître ?

- Peut-être, puisque j'ai de l'intérêt pour toi.

- Je VAS vous la dire ; je n'ai pas de raison pour m'en cacher. Je n'ai jamais connu ni père ni mère... Et, tenez, il y a une chose que je ne vous ai jamais dite ; je n'y étais pas forcé ; mais si vous m'aviez questionné, je ne vous aurais pas fait de mensonge. Je suis champi, je sors de l'hospice.

- OUI-DA ! s'exclama Jean Vertaud, un peu SABOULÉ par cette confession ; je ne l'aurais jamais pensé.

- Pourquoi ne l'auriez-vous jamais pensé ?... Vous ne répondez pas, mon maître ? Eh bien, moi, je VAS répondre pour vous. C'est que, me voyant bon sujet, vous vous seriez étonné qu'un champi pût l'être. C'est donc une vérité que les champis ne donnent point de confiance au monde, et qu'il y a quelque chose contre eux ? Ça n'est pas juste, ça n'est pas humain ; mais enfin c'est comme ça, et c'est bien force de s'y conformer, puisque les meilleurs cœurs n'en sont pas exempts, et que vous-même...

- Non, non, dit le maître en se ravisant – car il était un homme juste, et ne demandait pas mieux que de renier une mauvaise pensée ; - je ne veux pas être contraire à la justice, et si j'ai eu UN MOMENT D'OUBLIANCE là-dessus, tu peux m'en absoudre, c'est déjà passé. Donc, tu crois que tu ne pourrais pas te marier, parce que tu es né champi ?

- Ce n'est pas ça, mon maître, et je ne m'inquiète point de l'empêchement. Il y a toutes sortes d'idées dans les femmes, et aucunes ont si bon cœur que ça serait une raison de plus.

- Tiens ! c'est vrai, dit Jean Vertaud. Les femmes valent mieux que nous pourtant !... Et puis, fit-il en riant, un beau gars comme toi, tout verdissant de jeunesse, et qui n'est ÉCLOCHÉ [éclopé] ni de son esprit ni de son corps, peut bien DONNER DU RÉVEILLON au plaisir de se montrer charitable. Mais voyons ta raison.

- Écoutez, dit François ; j'ai été tiré de l'hospice [l'assistance publique] et nourri par une femme que je n'ai point connue. À sa mort, j'ai été recueilli par une autre qui m'a pris pour le mince profit du secours accordé par le gouvernement à ceux de mon espèce ; mais elle a été bonne pour moi, et quand j'ai eu le malheur de la perdre, je ne me serais pas consolé, sans le secours d'une autre femme qui a été encore la meilleure des trois, et pour qui j'ai gardé tant d'amitié que je ne veux pas vivre pour une autre que pour elle. Je l'ai quittée pourtant, et peut-être que je ne la reverrai jamais, car elle a du bien, et il se peut qu'elle n'ait jamais besoin de moi. [… quelques mois plus tard]

Et à la fontaine, ils ne trouvèrent plus ni Jeannette ni Jeannie qui étaient rentrés. Mais François retrouva le courage de parler, en se souvenant que c'était là qu'il avait vu Madeleine pour la première fois, et là aussi qu'il lui avait fait ses adieux onze ans plus tard. Il faut croire qu'il parla très bien et que Madeleine n'y trouva rien à répondre, car ils y étaient encore à minuit, et elle pleurait de joie, et il la REMERCIAIT À DEUX GENOUX de ce qu'elle l'acceptait pour son mari.

Là finit l'histoire, dit le chanvreur. […]

- L'histoire est donc vraie de tous points ? demanda Sylvine Courtioux.

- Si elle ne l'est pas, elle le pourrait être, répondit le chanvreur, et si vous ne me croyez, allez y voir.



> Exercices et consignes d'écriture.



Choisir un extrait d'une vingtaine de lignes parmi l'extrait précédent de François le Champi, et y insérer des mots en patois berrichon proposés dans la liste suivante :

mauvaiseté (méchanceté), l'homme de chez lui (le maître de maison), acrêté (agressif comme un coq dont la crête se dresse), rabâter (faire du bruit), tabâtre (tapageur), quelques vaisseaux de terre (mauvaise vaisselle), une locature (petite maison de cultivateur sans labourage), en se virant (en se retournant), un chéret (manteau de laine beige des bergères), Zabelle (Isabelle), une route mal achalandée de passants (une route peu fréquentée), un champi (enfant abandonné dans les champs), épouvantant (effrayant), ennuyant (ennuyeux), imaginant (surprenant), amijoler (cajoler, enjôler, séduire), une retirance (ressemblance), des croquabeilles (mésanges), au droit (à l'endroit exact, en face), mêmement (de même, même), brave (bien habillée), elle était généreuse par braverie (elle était généreuse par coquetterie), un boursicot (petit sac en toile dans lequel les paysans berrichons mettaient leur argent), raccoisé (apaisé), si pourtant (cependant), donner du réveillon (stimuler), tout affolé de chagrin (accablé de chagrin), porter le chagrin (mettre de mauvaise humeur), il avait l'accoutumance (il avait l'habitude), emmi (parmi), les saches (grands sacs de farine), que devant (qu'avant),



Avec l'extrait suivant, de « Un matin que Madeleine Blanchet... » (ligne 1) à « et on n'y rencontre que des gens de l'endroit. » (ligne 6), cela pourrait donner ceci :

Un matin, près de la locature de Madeleine Blanchet, une jeune meunière bien brave du Cormouer, l'homme de la maison trouva un boursicot. Il se vira de tous côtés si pourtant c'était une route bien achalandée de passants.

Sans mauvaiseté, il l'emporta et l'alla cacher emmi les saches du moulin. Il alla au bout de son pré comme il avait l'accoutumance retrouver la Zabelle qui lavait à la fontaine, et le champi devant sa planchette, qui jouait avec la paille qui sert de coussinet aux genoux des lavandières. Le petit portait le chéret de sa mère adoptive, en retirance d'une croquabeille. Le petit semblait raccoisé, mêmement il avait l'accoutumance d'être tout affolé de chagrin, cause que devant son abandonnement, il ne portait jamais le chagrin car il n'y avait pas d'acrêté en lui. L'homme amijola l'enfant de quelques caresses sur la tête.

Au bout de son pré, l'homme de la maison rencontra des gens de l'endroit. Le champi s'ennuyant rabâta quelques vaisseaux de terre, épouvantant des croquabeilles perchées en haut des arbres. Le maître se vira vers le tabâtre. Etc.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire. Par exemple, pour la notion de registre, voir la bibliographie à la fin de l'Atelier n°20, publié le jeudi 25 avril 2013.



> BEAUMARCHAIS Jean-Pierre de, COUTY Daniel, REY Alain, 1994. Dictionnaire des littératures de langue française. Paris, Bordas, nouv. éd. mise à jour et enrichie, 4 vol.



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse.



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd.



> LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> SAND George. La Mare au diable ; François le Champi. Paris, Garnier Frères, 1981. 451 p.



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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