mercredi 18 décembre 2013

Atelier d'écriture V, avec Ouvrez de Nathalie Sarraute


¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤



L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

. . . . . . . . . e n l i g n e . . . . . . . . .



Atelier d'écriture V



Les changements de point de vue avec Ouvrez de Nathalie Sarraute



Sommaire



> Extrait de Ouvrez (1997) de Nathalie Sarraute, pp. 27-29.

> Qui était Nathalie Sarraute ?

> Que raconte Ouvrez ?

> Qu'est-ce qu'un de point de vue et comment identifier un changement de point de vue ?

> Extrait de Ouvrez (1997) de Nathalie Sarraute (pp. 27-29), où les changements de point de vue sont annoncés par des [] crochets carrés.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de Ouvrez (1997) de Nathalie Sarraute, pp. 27-29.



- Alors te voilà parmi nous. C'est quand même stupéfiant. « Au revoir » renvoyé de ce côté. Ça doit te faire un drôle d'effet.

- C'est vrai, c'est bien la première fois que ça m'arrive...

- C'était justement à ce moment-là, quand il y avait du monde que tu faisais tout ton travail. On a du mal à imaginer comment ils se passeront de toi...

- Oh ne vous inquiétez pas... On le dit parfois à tort, mais cette fois c'est bien le cas de la dire : nul n'est irremplaçable. [changement de point de vue : on passe de la perception au mot]

- Oui, mais tout de même sans « Au revoir »...

- Oh ne croyez pas ça... ils se débrouilleront très bien..., ne serait-ce qu'avec « À bientôt » et « À très bientôt » qui sont toujours là. Ou avec quelques autres qui feront très bien l'affaire...

- Mais n'aie pas cet air déprimé... Il ne faut pas le prendre ainsi. Plutôt comme une retraite bien méritée après tant d'années.

- Après un travail si assidu. Tu n'as jamais quitté ton poste. Toujours fidèle. Dévoué...

- Ah ça oui. Ce qui m'a perdu, c'est plutôt un excès de zèle...

- Alors détends-toi maintenant. Profite de cette irresponsabilité, de cette liberté...

- Si seulement vous pouviez dire vrai... Mais je sais que je ne m'en tirerai pas à si bon compte... Attendez qu'arrive la nuit... le plus profond de la nuit... le réveil après un premier sommeil... et puis l'insomnie... Vous allez voir. Je serai rappelé. On aura besoin de moi.

- Besoin de toi quand il n'y aura plus de monde ?

- Pas pour faire mon travail d'autrefois, ça, c'est fini...

- Mais alors pourquoi ?

- Je vous le raconterai la prochaine fois qu'on sera de nouveau entre nous, enfermés tous ensemble...



- Alors, ça s'est passé comme tu l'avais prévu ?

- Tout à fait : ç'a été seulement encore un peu plus long, plus éprouvant...

- Oh, raconte...

- Il a fallu que j'assiste d'abord à toute la reconstitution...

- Quoi ? À toute la conversation ? Avant que tu n'interviennes ?

- Non, pas à toute... Seulement à son point de départ, un point très important : l'appel était venu de là-bas...

- Alors ?

- Alors cette conversation qui était partie de là-bas, seul un « Au revoir » de là-bas, pas un « Au-revoir » d'ici, pouvait la clore, vous le savez bien. C'est une règle de courtoisie. Et vous comprenez que pour moi, c'était une circonstance aggravante.

- Mais tu ne le savais pas...

- J'ai essayé de le prétendre. Mais comment faire croire que je n'avais pas entendu le téléphone sonner ?



> Qui était Nathalie Sarraute ?



Écrivain français d'origine russe (1900-1999), auteur de Tropismes (1939), recueil de dix-neuf textes brefs (ils seront vingt-quatre lors de la réédition en 1957) qui se révèlera être le point de départ, puis le cœur de son œuvre. L'auteur a emprunté à la biologie le terme « tropisme », qui signifie « réaction d'orientation ou de locomotion orientée (mouvement), causée par des agents physiques ou chimiques (tropisme des plantes, des oiseaux migrateurs) ».

Comment transcrire les impressions produites par des mouvements intérieurs, infimes et fugitifs, des affleurements incessants d'impulsions, de réactions, qui forment, aux limites mêmes de la conscience, la trame invisible de l'existence, sans (re)tomber dans l'analyse psychologique du caractère d'un personnage, ou la description (de l'extérieur) d'un état intérieur, entre roman psychologique et roman métaphysique ?

Antérieurs à tout langage, ces tropismes, ces réactions élémentaires à une cause extérieure, ces actes réflexes très simples, se développent dans ces régions marécageuses et obscures de la conscience, entre conscience et inconscience, où l'écriture tentera de les rejoindre pour en exprimer la nature trouble et familière.

Dans un important essai L'Ère du soupçon (1956) - important car s'y trouve abordée pour la première fois l'idée d'une crise du roman (idée partagée par un certain nombre d'écrivains publiés dans les années cinquante par Jérôme Lindon aux Éditions de Minuit), Nathalie Sarraute récuse les conventions du roman traditionnel pour souhaiter des personnages qui seraient, comme chez Dostoïevski, « des porteurs d'états parfois encore inexpliqués que nous retrouvons en nous-mêmes ».

Tout se déconstruit, les personnages et l'action se désintègrent, à chaque moment de l'observation l'objet se dérobe ou se retourne. Le récit « n'avance pas » ; de tous côtés s'ouvrent des abîmes où le lecteur s'enfonce sans en voir jamais la fin.

Ce qui captive le lecteur de Nathalie Sarraute, ce n'est donc plus la paroi lisse d'un caractère déterminé, ni le mouvement familier d'un récit classique ; ce sont plutôt ces failles, ces points de rupture où l'apparence se déchire tandis que s'écroulent les certitudes. Mais c'est au prix d'une vigilance constante, d'une sorte d'état de guet ou d'alerte, que l'écrivain parvient à communiquer au lecteur par l'invention de formes nouvelles.

Le langage va montrer tout à la fois qu'il est le grand responsable des apparences et le moyen de les dépasser. Partout la langage s'interroge sur son propre pouvoir, sur cette parole qui est « l'arme quotidienne, insidieuse et efficace d'innombrables petits crimes ». Par leur assemblage patient et nouveau, les mots sont capables de combattre leur propre usure, leur lourdeur, de combattre leur tendance à pétrifier ce qui vivant.

Nathalie Sarraute est aussi l'auteur de : Portrait d'un inconnu (1948), Le Planétarium (1959), Les Fruits d'or (1963), Entre la vie et la mort (1968), Le Silence : pièce radiophonique (1964), C'est beau : théâtre (1973), Enfance : autobiographie (1983), Ici : récit (1995), etc.



> Que raconte Ouvrez ?



Des mots, des êtres vivants parfaitement autonomes, sont les protagonistes de chacun de ces drames : [Pourtant, Au revoir, C'est, Taka, Vous êtes, Je vous aime, Ah que voulez-vous, Me, Tac au tac, etc.]

Dès que viennent des mots du dehors, une paroi est dressée. Seuls les mots capables de recevoir convenablement les visiteurs restent de ce côté. Tous les autres s'en vont et sont pour plus de sûreté enfermés derrière la paroi.

Mais la paroi est transparente et les exclus observent à travers elle.

Par moments, ce qu'ils voient leur donne envie d'intervenir, ils n'y tiennent plus, ils appellent... Ouvrez.

Préface de : Ouvrez, de Nathalie Sarraute.



> Qu'est-ce qu'un point de vue, et comment identifier un changement de point de vue ?



La notion de point de vue a été abordée lors de l'atelier d'écriture sur le temps et la narration (n°4, mardi 22 janvier 2013).



Qu'est-ce qu'un point de vue ?

Point de vue : opinion, avis, manière de penser, idée, impression, position, principe, sens, sentiment, vue, perspective, façon de voir, présentation, vision, manière de considérer les choses, panorama, paysage, spectacle, tableau, focalisation, canalisation.



Le point de vue de l'auteur.

Le point de vue d'un auteur est fonction des relations qu'il entretient avec le narrateur et les personnages. D'où la question : Qui raconte ?

Dans les récits autobiographiques, le narrateur est à la fois l'auteur et le héros du récit ; dans le récit de témoignage, le narrateur est le héros et l'auteur n'est qu'un simple scribe ; dans la plupart des récits où les pronoms il et elle prédominent, le narrateur est l'auteur, et ce dernier confie ses réflexions en utilisant le pronom je ; lorsque le narrateur est l'un des personnages du récit, l'auteur laisse la parole à ce personnage qui raconte de son point de vue.

La focalisation, ou le point de vue du narrateur (qui peut être celui de l'auteur, ou pas !), peut être large (c'est le point de vue d'un narrateur omniprésent à qui rien n'échappe), fragmentaire (c'est le point de vue d'un narrateur qui découvre graduellement les choses), ou sélective (le narrateur livre une approche subjective).



Le point de vue du texte.

L'intertextualité, c'est le dialogue avec les textes antérieurs. Existe-t-il une histoire autre que verbale ? Tout aboutit à la bibliothèque, et selon Jorge Luis Borges [écrivain, critique et essayiste argentin, 1899-1986, qui dut la gloire aux nouvelles fantastiques de Fictions (1944), puis de L'Aleph (1949)] la bibliothèque se réécrit constamment. La littérature se réécrit et se cite elle-même, plutôt qu'elle ne retranscrit le monde. On ne perd les choses que pour mieux s'en souvenir - dans les mots...

Et sans la mémoire des autres textes non plus, le texte n'est rien. En somme, il y a dans tout texte un « point de vue » général, un point de vision, qui domine tous les autres, qui est le dialogue premier avec les autres œuvres (que le souvenir en soit conscient, ou non).

Qu'est-ce qu'un texte, en dehors des autres textes ? Et qu'est-ce qu'un texte, sans ce qui n'y figure pas ? Je parle avec d'autres, je parle aux autres qui ont parlé avant moi. « Quand tout a été dit, l’œuvre ne peut plus que se dire elle-même » [in L'Espace littéraire (1955), de Maurice Blanchot, essayiste et romancier français, 1907-2003, pour qui « l'écrivain n'a rien à dire, mais doit dire ce rien »] ; Mais aussi, elle ne peut que se souvenir des autres œuvres...



Comment identifier un changement de point de vue ?

Le changement de point de vue est identifié par une annonce :

Dans l'exemple qui suit, l'auteur annonce qu'il change de point de vue, qu'il passe du monde concret « ce mur de fond de jardin » au monde abstrait des mots « Le lézard dans le monde des mots » :



Lorsque le mur de la préhistoire se lézarde, ce mur de fond de jardin (c'est le jardin des générations présentes, celui du père et du fils), - il en sort un petit animal formidablement dessiné, comme un dragon chinois, brusque mais inoffensif, chacun le sait et ça le rend bien sympathique. (...) Par ce mur nous sommes donc bien mal enfermés. Si prisonniers que nous soyons, nous sommes encore à la merci de l'extérieur, qui nous jette, nous expédie sous la porte ce petit poignard. À la fois comme une menace et une mauvaise plaisanterie.

Ce petit poignard qui traverse notre esprit en se tortillant d'une façon assez baroque, dérisoirement.

Arrêt brusque. Sur la pierre la plus chaude. Affût ? ou bien repos automatique ? Il se prolonge. PROFITONS-EN ; CHANGEONS DE POINT DE VUE.

Le LÉZARD dans le monde des mots n'a pas pour rien ce zède ou zèle tortillard, et pas pour rien sa désinence en ard, comme fuyard, flemmard, musard, pendard, hagard. Il apparaît, disparaît, réapparaît. Jamais familier pourtant. Toujours un peu égaré, toujours cherchant furtivement sa route. Ce ne sont pas insinuations trop familières que celles-ci. Ni venimeuses. Nulle malignité : aucun signe d'intelligence à l'homme.

Extrait de : Le Lézard (1961, p. 84), in Le Grand Recueil III, de Francis Ponge [poète, essayiste et critique d'art français, 1899-1988, Prix international de poésie en 1959 ; reconnaissant aux choses une primauté ontologique, percevant d'abord l'autonomie de leur existence, et en élaborant ces descriptions minutieuses et objectives du coquillage, de la bougie, de l'orange, de l'escargot ou du papillon, l'auteur rejette les techniques surréalistes et ouvre les plus grands perspectives à une réflexion sur le langage qui devient l'objet de la poésie].



Le changement de point de vue est identifié par un changement de perspective de la narration, par exemple :

Péniblement, je viens de me lever, j'ai du mal à ouvrir les yeux. DEHORS IL PLEUT.

J'ESPÈRE QU'IL FERA BEAU AUJOURD'HUI, je dois mettre du linge

à sécher dehors.

Où l'auteur adopte à la fois le point de vue du personnage (« je », qui ne sait pas qu'il pleut, car « je » vient à peine de se réveiller, donc le narrateur est à l'intérieur d'une chambre aux volets fermés) et le point de vue du narrateur omniprésent (car il sait, lui, que dehors il pleut).



Le changement de point de vue est identifié par l'introduction d'un procédé de style tel l'anacoluthe :

Le mot « anacoluthe » est issu du bas latin d'origine grecque, « anacoluthon » (absence de suite), composé de : an- (privatif), et de akolouthos (qui suit), de keleuthos (chemin).

L'anacoluthe est une rupture dans la construction d'une phrase. Cela se produit notamment quand la phrase commence par un élément qui fait figure de sujet, mais en perd par la suite la qualité, par exemple : « Ce pommier est un monde, et le temps d'en faire le tour, un parfum de paradis nous envahit » : « ce pommier » est le sujet du début de la phrase et on s'attend à d'autres compléments en rapport avec le sujet, comme : « Ce pommier est un monde, qui ressemble à une terre ronde, aux formes mouvantes, etc. », au lieu de quoi, on passe à d'autres sujets : « le temps », et « un parfum de paradis ».

Commencée d'une certaine façon, la phrase s'achève d'une autre façon, et le sujet est oublié en route. Par exemple : « Continuant à pleurer, il a fallu lui faire une autre piqûre », on attend un pronom personnel sujet de « continuant » et d'un verbe principal.

L'anacoluthe est un procédé de style très fréquent dans le langage oral ; elle introduit à l'écrit la syntaxe de l'oral.



Le changement de point de vue est identifié par un changement de ponctuation : emploi du tiret, des parenthèses ou des crochets carrés. Par exemple :

Resté debout près des portes grands ouvertes du salon, Philippe les suivit du regard. En contrebas de la terrasse, posé sur son pliant, un aquarelliste d'âge mûr tachait à petits coups de brosse un format raisin fixé sur un trépied - un format raisin est le format assez grand (50 sur 65 cm) d'une feuille de dessin (caractérisé à l'origine par un filigrane représentant une grappe).

- Madame la professeure de français, qu'est-ce qu'un filigrane ?

- Consulte ton dictionnaire, s'il-te-plaît.

- Bien madame.

Je me lève de ma chaise et je me dirige vers la bibliothèque qui se trouve au fond de la salle de classe. Je saisis le dictionnaire de français et je l'ouvre à la lettre F. Je lis : un filigrane est un dessin imprimé dans la pâte du papier et qui peut se voir par transparence. Je referme le dictionnaire, je le range sur son étagère, puis je retourne à ma place.

L'aquarelliste, vu de près, n'avait pas l'air beaucoup plus vieux que les nababs vautrés, mais l'effet de l'âge avait été beaucoup plus grand sur lui, beaucoup plus gris. Vêtu de beige il peignait.

Où le narrateur (ou la narratrice, cela reste à préciser) nous fait découvrir un personnage (l'aquarelliste) par la vision d'un autre personnage (Philippe). Et où un deuxième narrateur (le même ?) nous introduit dans un autre univers, celui d'une salle de cours de français.



> Extrait de Ouvrez (1997) de Nathalie Sarraute (pp. 27-29), où les changements de point de vue sont annoncés par des [] crochets carrés.



- Alors te voilà parmi nous. C'est quand même stupéfiant. « Au revoir » renvoyé de ce côté. Ça doit te faire un drôle d'effet. [Les mots considèrent un autre mot « Au revoir », qui vient d'être exclu ; le point de vue est celui d'un groupe de personnages par rapport à un individu].

- C'est vrai, c'est bien la première fois que ça m'arrive... [changement de point de vue, on se met à la place du mot exclu]

- C'était justement à ce moment-là, quand il y avait du monde que tu faisais tout ton travail. On a du mal à imaginer comment ils se passeront de toi... [sans savoir si c'est le groupe qui parle, ou un individu au nom du groupe, « on » (et le lecteur aussi) perçoit l'importance du mot exclu, par un phénomène d'identification à la perception et non au personnage, puisque le personnage est réduit au strict minimum, c'est-à-dire à un mot « au revoir » ; le point de vue est donc celui de la perception]

- Oh ne vous inquiétez pas... On le dit parfois à tort, mais cette fois c'est bien le cas de la dire : nul n'est irremplaçable. [changement de point de vue : on passe de la perception au mot]

- Oui, mais tout de même sans « Au revoir »... [changement de point de vue, le lecteur passe du mot à la signification de ce mot, car sans le mot « Au revoir » et sans la possibilité de prononcer ce mot - dans le cas où il n'existerait pas, pas encore - comment se dire au revoir ?]

- Oh ne croyez pas ça... ils se débrouilleront très bien..., ne serait-ce qu'avec « À bientôt » et « À très bientôt » qui sont toujours là. Ou avec quelques autres qui feront très bien l'affaire... [changement de point de vue, on repasse du mot en tant qu'assemblage de lettres, au personnage, en tant que double de la personne, en tant que synonyme « À bientôt » et « À très bientôt »]

- Mais n'aie pas cet air déprimé... Il ne faut pas le prendre ainsi. Plutôt comme une retraite bien méritée après tant d'années. [changement de point de vue, le lecteur revient au point de vue du groupe, qui émet un premier avis « Il ne faut pas le prendre ainsi » ...]

- Après un travail si assidu. Tu n'as jamais quitté ton poste. Toujours fidèle. Dévoué... [puis qui émet un deuxième avis « Tu n'as jamais quitté ton poste », qui révèle un sentiment d'injustice, sentiment éprouvé par le groupe ? ou par on, il ou elle, individu parlant du groupe ?]

- Ah ça oui. Ce qui m'a perdu, c'est plutôt un excès de zèle... [changement de point de vue, on est à nouveau placé du côté du mot exclu, rendu humain par le passage de l'abstrait au concret « Ce qui m'a perdu »]

- Alors détends-toi maintenant. Profite de cette irresponsabilité, de cette liberté... [par un nouveau changement de point de vue, le lecteur passe du monde des mots au monde du raisonnement : la perte « Ce qui m'a perdu » + le trop « un excès de zèle » = la liberté « Profite de cette liberté »].

[L'agencement des mots provoque une perte, mais un nouvel agencement de ces mêmes mots crée une liberté. Avec la suite, l'auteur va en rapporter le déroulement au lecteur :]

- Si seulement vous pouviez dire vrai... Mais je sais que je ne m'en tirerai pas à si bon compte... Attendez qu'arrive la nuit... le plus profond de la nuit... le réveil après un premier sommeil... et puis l'insomnie... Vous allez voir. Je serai rappelé. On aura besoin de moi.

- Besoin de toi quand il n'y aura plus de monde ?

- Pas pour faire mon travail d'autrefois, ça, c'est fini...

- Mais alors pourquoi ?

- Je vous le raconterai la prochaine fois qu'on sera de nouveau entre nous, enfermés tous ensemble...



- Alors, ça s'est passé comme tu l'avais prévu ?

- Tout à fait : ç'a été seulement encore un peu plus long, plus éprouvant...

- Oh, raconte...

- Il a fallu que j'assiste d'abord à toute la reconstitution...

- Quoi ? À toute la conversation ? Avant que tu n'interviennes ?

- Non, pas à toute... Seulement à son point de départ, un point très important : l'appel était venu de là-bas...

- Alors ?

- Alors cette conversation qui était partie de là-bas, seul un « Au revoir » de là-bas, pas un « Au-revoir » d'ici, pouvait la clore, vous le savez bien. C'est une règle de courtoisie. Et vous comprenez que pour moi, c'était une circonstance aggravante.

- Mais tu ne le savais pas...

- J'ai essayé de le prétendre. Mais comment faire croire que je n'avais pas entendu le téléphone sonner ? [changement de point de vue, passage du point de vue du monde des mots « J'ai essayé de le prétendre » au point de vue du monde des êtres humains, du locuteur « comment faire croire que je n'avais pas entendu le téléphone sonner », par deux emplois différents du « je » : le premier « je » est le je du mot « Au revoir », tandis que le deuxième je est celui du locuteur personne physique, qui entend le téléphone sonner].



> Exercices et consignes d'écriture.



1. Décrire une scène de trois points de vue différents (en une dizaine de lignes chacun, et en utilisant le pronom « je » à chaque fois), en s'inspirant d'une scène imaginaire, ou d'une qui s'est réellement passée, ou encore après avoir choisi une scène parmi les suivantes :



A) Un chat qui se fait écraser par un chauffard : un bong sourd, un miaulement qui déchire l'air, le crissement des pneus, un chat vient de se faire renverser par un chauffard qui s'enfuit. L'homme qui marche sur le trottoir s'arrête net et sort un calepin et un crayon de sa poche (1er point de vue). Une jeune femme qui tient un petit enfant par la main s'éloigne précipitamment (2ème point de vue). Un vieil homme qui marche lentement et avec difficulté passe à côté du chat mort (3ème point de vue).

Cela pourrait donner ceci :

1er point de vue, l'homme qui marche sur le trottoir s'arrête et sort un calepin et un crayon de sa poche : mince alors le fumier il ne s'arrête même pas. Il faut que je me souvienne des numéros de sa plaque d'immatriculation. Voyons voir... 735... non, 745, oui c'est ça, BN oui comme les biscuits au chocolat que mangent les enfants, 455, oui, 4 comme 7 moins 3 et 2 fois 5 comme le 5 de 735. 745 BN 455, c'est ça 745 BN 455... Tu ne vas pas t'en tirer comme ça mon salaud. Voilà, j'ai marqué le numéro de sa voiture dans mon calepin, comme ça pas moyen de l'oublier. Le pauvre chat, il ne bouge plus, raide mort ça c'est sûr. Quelle misère ! la vie ne tient pas à grand-chose tout de même...

2ème point de vue, une jeune femme qui tient un petit enfant par la main s'éloigne précipitamment : quel bruit horrible ! c'était vraiment un miaulement de souffrance, comme le cri d'un bébé, d'un bébé qui souffre, qui a mal au ventre, qui a mal aux dents... je ne veux pas en entendre davantage... et le crissement aigu des pneus, ces crissements m'ont transpercée, ma tête va éclater, vite, changeons de trottoir, éloigne-toi vite d'ici ma fille. La petite n'a rien remarqué, tant mieux. Quand même, il aurait pu s'arrêter, il aurait pu descendre de sa voiture, il aurait pu prendre quelques minutes pour se garer, et pour transporter le petit chat sans vie sur le bord de la route. Il aurait dû s'occuper du petit cadavre au lieu de s'enfuir comme un lâche, quel peureux ! Il n'aurait pas dû le laisser là, au milieu de la route, avec toutes les voitures qui vont lui rouler dessus, après... Après tout je n'y suis pour rien, ça ne me regarde pas, ça ne me concerne pas, un chat de plus ou de moins, un chauffard de plus ou de moins...

3ème point de vue, un vieil homme qui marche lentement et avec difficulté passe à côté du chat mort sans le remarquer : personne à gauche, personne à droite, ah si ! une voiture, une seule, elle roule vite, qu'est-ce qu'on mange à midi ? je suis fatigué, je suis pressé d'arriver, encore une rue et la maison de retraite est là. Je suis allé loin aujourd'hui, j'ai traversé 3 fois une rue, ça doit faire trois rues. Est-ce que je suis sorti du quartier aujourd'hui, mes jambes ne me portent plus... quelle fatigue ! Dorénavant il faudra que je limite mes sorties à une fois par semaine. Cette semaine, je suis sorti deux fois, je n'en peux plus. Allez mon gaillard encore un effort ! Bien regarder avant de traverser la route, il ne s'agirait pas de se faire écraser... Personne à gauche, personne à droite, tiens il y a quelque chose au milieu de la rue, on dirait une peluche. Madame, madame, ma voix ne porte pas, ma voix ne porte plus, ah si j'avais quarante ans de moins, elle ne m'entend pas, le petite ne s'est même pas retournée, elle ne devait pas y tenir tant que cela, à sa peluche. Une peluche rouge, noire et blanche. Une jolie peluche, qui ressemble à s'y méprendre à une vraie. Oups, excusez-moi monsieur, je ne vous avais pas vu, une beau carnet noir que vous avez là, il s'en va... Qu'est-ce qu'on mange ce midi ? J'espère que ce sera bon...



B) Le braquage d'une bijouterie : deux individus cagoulés pénètrent dans une bijouterie, cassent les vitrines des présentoirs, remplissent un petit sac à dos de montres, bijoux, bagues, bracelets, colliers, puis ressortent précipitamment et disparaissent. Le tout n'a duré que vingt secondes. La vendeuse est médusée (1er point de vue). Le seul client de la boutique sort un téléphone portable de sa poche (2ème point de vue). Un enfant sort de derrière un portemanteau (3ème point de vue).



C) Un vieil homme et une vieille femme qui s'enlacent contre un mur et s'embrassent à pleine bouche : une petite fille les montre du doigt (1er point de vue) ; Un homme aux cheveux blancs et coiffés en brosse passe non loin du couple et accélère lorsqu'il arrive à sa hauteur (2ème point de vue) ; Une jeune femme qui tient un petit enfant par la main s'éloigne précipitamment (3ème point de vue).



2. Puis, composer un récit en alternant une phrase de chaque point de vue, pour former un assemblage de monologues ou un dialogue, ou pour former une histoire qui n'a plus qu'un seul point de vue, celui de « je ».



Par exemple, avec la scène A, cela pourrait donner ceci :

- Quel bruit horrible ! c'était vraiment un miaulement de souffrance, comme le cri d'un bébé, d'un bébé qui souffre, qui a mal au ventre, qui a mal aux dents... (point de vue 2)

- Personne à gauche, personne à droite, ah si ! une voiture, une seule, elle roule vite, qu'est-ce qu'on mange à midi ? (point de vue 3)

- Mince alors le fumier il ne s'arrête même pas. (point de vue 1)

- Je suis fatigué, je suis pressé d'arriver, encore une rue et la maison de retraite est là. (point de vue 3)

- Je ne veux pas en entendre davantage... (point de vue 2)

- Il faut que je me souvienne des numéros de sa plaque d'immatriculation. Voyons voir... (point de vue 1)

- Je suis allé loin aujourd'hui, j'ai traversé 3 fois une rue, ça doit faire trois rues. (point de vue 3)

- 735... non, 745, oui c'est ça, BN oui comme les biscuits au chocolat que mangent les enfants, 455, oui, 4 comme 7 moins 3 et 2 fois 5 comme le 5 de 735. 745 BN 455, c'est ça 745 BN 455... (point de vue 1)

- Et le crissement aigu des pneus, ces crissements m'ont transpercée, ma tête va éclater, vite, changeons de trottoir, éloigne-toi vite d'ici ma fille. (point de vue 2)

- Est-ce que je suis sorti du quartier aujourd'hui, mes jambes ne me portent plus... quelle fatigue ! (point de vue 3)

- La petite n'a rien remarqué, tant mieux. (point de vue 2)

- etc.



Ou cela :

Quel bruit horrible ! c'était vraiment un miaulement de souffrance, comme le cri d'un bébé, d'un bébé qui souffre, qui a mal au ventre, qui a mal aux dents... Personne à gauche, personne à droite, ah si ! une voiture, une seule, elle roule vite, qu'est-ce qu'on mange à midi ? Mince alors le fumier il ne s'arrête même pas. Je suis fatigué, je suis pressé d'arriver, encore une rue et la maison de retraite est là. Je ne veux pas en entendre davantage... Il faut que je me souvienne des numéros de sa plaque d'immatriculation. Voyons voir... Je suis allé loin aujourd'hui, j'ai traversé 3 fois une rue, ça doit faire trois rues. 735... non, 745, oui c'est ça, BN oui comme les biscuits au chocolat que mangent les enfants, 455, oui, 4 comme 7 moins 3 et 2 fois 5 comme le 5 de 735. 745 BN 455, c'est ça 745 BN 455... Et le crissement aigu des pneus, ces crissements m'ont transpercée, ma tête va éclater, vite, changeons de trottoir, éloigne-toi vite d'ici ma fille. Est-ce que je suis sorti du quartier aujourd'hui, mes jambes ne me portent plus... quelle fatigue ! La petite n'a rien remarqué, tant mieux. Etc.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire.



> BERTAUD DU CHAZAUD Henri, 1999. Dictionnaire de synonymes et contraires. Paris, Le Robert (Collection Les usuels).



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> SARRAUTE Nathalie. Ouvrez. Paris : Gallimard, 1997. 129 p.



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

. . . . . . . . . e n l i g n e . . . . . . . . .



¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire