mardi 14 janvier 2014

Atelier d'écriture VI, avec Terre des hommes d'Antoine de Saint-Exupéry


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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture VI



La métaphore, les champs sémantiques

et les champs lexicaux avec

Terre des hommes d'Antoine de

Saint-Exupéry



Sommaire



> Extrait de Terre des hommes (1939) d'Antoine de Saint-Exupéry, pp. 9

et 57-61.

> Qui était Antoine de Saint-Exupéry ?

> Que raconte Terre des hommes ?

> Que sont les métaphores, les champs sémantiques et les champs lexicaux ?

> Extrait de Terre des hommes (1939) d'Antoine de Saint-Exupéry (pp. 9

et 57-61), où les métaphores sont en majuscule.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de Terre des hommes (1939) d'Antoine de Saint-Exupéry, pp. 9 et 57-61.



La terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle. Mais, pour l'atteindre, il lui faut un outil. Il lui faut un rabot, ou une charrue. Le paysan, dans son labour, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu'il dégage est universelle. De même l'avion, l'outil des lignes aériennes, mêle l'homme à tous les vieux problèmes.

J'ai toujours, devant les yeux, l'image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine.

Chacune signalait, dans cet océan de ténèbres, le miracle d'une conscience. Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l'espace, on s'usait en calculs sur la nébuleuse d'Andromède. Là on aimait. De loin en loin luisaient ces feux dans la campagne qui réclamaient leur nourriture. Jusqu'aux plus discrets, celui du poète, de l'instituteur, du charpentier. Mais parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d'étoiles éteintes, combien d'hommes endormis...

[…]

L'usage d'un instrument savant n'a pas fait de toi [Guillaumet], un technicien sec. Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient par trop de nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un outil. Un outil comme la charrue.

Si nous croyons que la machine abîme l'homme c'est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l'histoire de l'homme ? C'est à peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales électriques. C'est à peine si nous commençons d'habiter cette maison nouvelle, que nous n'avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde aujourd'hui [1939], nous usons d'un langage qui fut établi pour le monde d'hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu'elle répond mieux à notre langage.

Chaque progrès nous a chassés un peu plus loin hors d'habitudes que nous avions à peine acquises, et nous sommes véritablement des émigrants qui n'ont pas fondé encore leur patrie.

Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore. Nos courses d'avion n'ont point d'autre sens. Celui-là monte plus haut, court plus vite. Nous oublions pourquoi nous le faisions courir. La course, provisoirement, l'emporte sur son objet.

[…]

Nous étions autrefois en contact avec une usine compliquée. Mais aujourd'hui nous oublions qu'un moteur tourne. Il répond enfin à sa fonction, qui est de tourner, comme un cœur bat, et nous ne prêtons point, non plus, attention à notre cœur. Cette attention n'est plus absorbée par l'outil. Au-delà de l'outil, et à travers lui, c'est la vieille nature que nous retrouvons, celle du jardinier, du navigateur, ou du poète.

[...]

Il faut bien tenter de se rejoindre. Il faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne.



> Qui était Antoine de Saint-Exupéry ?



Écrivain et aviateur français (1900-1944), Antoine de Saint-Exupéry fut pilote de ligne dans l'entre-deux-guerres sur le parcours Toulouse-Casablanca, puis pilote d'essai et pilote militaire. Cette vie d'homme d'action nourrit et éclaire les réflexions d'un humaniste soucieux de trouver une signification morale et spirituelle à l'activité humaine.

Auteur de Courrier Sud (1928) et de Vol de nuit (1931, prix Femina), Antoine de Saint-Exupéry cherche dans son expérience personnelle un sens universel, trouvant dans la solitude dangereuse de l'avion ou dans celle du désert un terrain propice à la méditation.

Il est aussi l'auteur de : Terre des hommes (1939), Pilote de guerre (1942), Lettre à un otage (1943), Citadelle (1948, inachevé), Écrits de guerre (textes rassemblés en 1982), et enfin d: Le Petit Prince (1943), récit en forme de conte où l'écrivain, préférant les vertus de l'amour à celles de l'intelligence, a habillé de symboles naïfs sa nostalgie de l'amitié.



> Que raconte Terre des hommes ?



Grand prix du roman de l'Académie française en 1939, de facture très classique, Terre des hommes est un essai composé de 8 courts récits inspirés par le métier d'aviateur exercé par l'écrivain, qui insiste sur la nécessaire rigueur de l'individu vis-à-vis de lui-même, pour devenir un homme et cultiver le « seul luxe, celui des relations humaines ».

Dans La ligne, un jeune pilote de ligne novice raconte son premier voyage sur la ligne Toulouse-Dakar, et comment il rejoignit difficilement sa base alors que les relevés radiogoniométriques transmis par les tours de contrôle étaient faux. Dans Les camarades sont évoqués les exploits de Jean Mermoz – qui fonda les lignes Casablanca-Dakar, Buenos Aires-Santiago et Toulouse-Buenos Aires -, et d'Henri Guillaumet, qui revint vivant d'un grave accident dans les Andes chiliennes et à qui est dédié ce livre.

Pour le narrateur-auteur-aviateur, l'avion n'est pas un but mais un outil, un outil de conquête (L'avion), mais aussi un instrument d'analyse et de connaissance de la terre, grâce auquel au fin fond du désert le héros trouve un fragment de météorite (L'avion et la planète).

Dans Oasis, l'auteur raconte comment il est invité dans une modeste maison lors d'une escale près de Concordia en Argentine, et il découvre que des vipères logent sous le parquet. Dans le désert raconte comment, isolé de toute vie, au fortin de Nouatchott en Mauritanie, ou de Port-Etienne, on sent l'écoulement du temps ; comment, au fort de Cap Juby en plein Sahara, le narrateur rachète un esclave et le rend à sa dignité d'homme.

Au centre du désert est le récit d'un crash au cours duquel le narrateur a cru en mourir : au cours d'un raid vers l'Indochine en 1935, l'avion s'écrase en plein désert de Lybie ; le pilote et son radio seront sauvé par un bédouin après une errance de plusieurs jours.

L'essai se clôt avec Les hommes, où l'auteur-narrateur avoue : « Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné ».



> Que sont les métaphores, les champs sémantiques et les champs lexicaux ?



La notion de métaphore a été abordée lors de l'atelier d'écriture n°22 (mardi 7 mai 2013) intitulé : Métaphores et allégories.

Les notions de champ sémantique et de champ lexical ont été abordées lors de l'atelier d'écriture n°25 (vendredi 24 mai 2013) intitulé : Les champs sémantiques et les champs lexicaux.



La métaphore

Le nom féminin métaphore est un terme de rhétorique emprunté (vers 1278) au grec puis au latin metaphora (transport) et depuis Aristote [philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de : La Poétique, et de : La Rhétorique], il signifie changement, transposition de sens ; il est composé de meta (au milieu de, parmi, entre, avec, derrière, ensuite) et phora (action de porter, de se mouvoir), de pherein (porter, supporter, transporter) qui contient la même racine indoeuropéenne °bher- (porter) que le latin ferre (qui donna conférer, déférer, offrir, préférer, etc.).



(…) toute métaphore fondée sur l'analogie doit être également juste dans le sens renversé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle est l'hiver de la vie, renversez la métaphore et vous la trouverez également juste, en disant que

l'hiver est la vieillesse de l'année.

Extrait de : Maximes et Pensées, Philosophie et morale, LV,

de Nicolas de Chamfort [moraliste français, 1741-1794,

entré à l'Académie française en 1781].



La figure de rhétorique la métaphore, consiste dans l'emploi d'un mot concret pour exprimer une notion abstraite, en l'absence de tout élément introduisant formellement une comparaison. C'est un procédé de langage qui consiste dans un transfert de sens (terme concret dans un contexte abstrait) par substitution analogique. Par exemple : L'abeille, pépite vive sur la corolle, est ivre d'été (image du caractère infatigable de l'abeille) ; ou : La lumière assourdie frissonnait à travers les branches (image qui rend compte du clair-obscur d'un sous-bois).

La métaphore est fondée sur la substitution d'un mot comparant à un mot comparé, selon un rapport de ressemblance ; par exemple dans l'abstraction suivante : « vivre c'est l'inquiétude » où le comparant l'inquiétude, mot abstrait, remplace le très concret comparé vivre.

On appelle donc métaphore le remplacement d'un mot ou d'une expression normalement attendus, par un autre mot ou une autre expression, selon un rapport d'analogie entre le premier (le comparé) et de second (le comparant). Exemple : L'offensive du froid, où le comparé est L'offensive (l'arrivée brutale) et le comparant (du froid).

Pour que la métaphore soit possible entre deux termes différents, deux comparés, il faut que les termes aient en commun au moins un sinon plusieurs élément de signification.



Présence ou absence du comparé.

La métaphore in presentia conserve les deux termes comparés mais n'opère pas de comparaison explicite. Par exemple : Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage (extrait de : L'ennemi, de : Les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire [écrivain français, 1821-1867]).

Alors que dans la métaphore in absentia, le comparé disparaît tout à fait, laissant au destinataire (au lecteur, à la lectrice) le soin de reconstituer l'image en décodant la métaphore. Exemple : Voilà que j'ai touché l'automne des idées (extrait de : L'ennemi, de : Les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire [écrivain français, 1821-1867]), où le comparé, absent, est le dépérissement et la vieillesse.



Attention à ne pas confondre la métaphore et la comparaison. La comparaison opère un rapprochement entre deux termes, dont les sens respectifs ne sont pas affectés. Un terme de comparaison (comme, pareil, ainsi que, tel, semblable à, etc.) établit le lien de ressemblance entre le comparé et le comparant. Par exemple : Mon cœur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux (extrait de : Voyage à Cythère, de Charles Baudelaire [écrivain français, 1821-1867]), où l'outil de comparaison comme relie le comparé Mon cœur au comparant un oiseau ; Tes yeux sont bleus comme le ciel (comparaison), Le ciel de tes yeux (métaphore) ; L'homme est semblable à un roseau (comparaison), L'homme est un roseau pensant (Pascal).



La métaphore est suivie ou filée quand elle introduit plusieurs rapprochements successifs. Exemples :

Cette femme tend les filets de ses charmes pour chasser le gibier des naïfs.



Il semblait que l'eau fût incendiée (...) toute la mer flamboyait. Ce flamboiement n'était pas rouge (…) des traînées bleuâtres imitaient sur la vague des plis de suaire. Une large lueur blême frissonnait sur l'eau. Ce n'était pas l'incendie, c'en était le spectre.

(extrait de : Les Travailleurs de la mer, de Victor Hugo [écrivain français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841, il apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis exilé de 1851 à 1870 ; il fut l'auteur d'une œuvre considérable et variée]).



La métaphore filée ou suivie (qui est un essaimage de métaphores sur une idée conductrice commune) fait partie, avec la prosopopée (qui permet de donner la parole, la vie, des sentiments, des opinions, à un être absent ou mort, ou à un être moral) et la personnification (qui permet de donner figure humaine à une idée, à un objet, ou à un animal), des trois procédés littéraires qui, traditionnellement, caractérisent l'allégorie. Par exemple :

« Je suis la Loi ! La loi commune à tous les hommes qui vivent de ce côté-ci de l'océan, et je décrète, article premier, que quiconque pêchera du poisson entre ces deux rochers sera sévèrement puni. » Ayant fini de parler, la Loi s'envola au petit matin dans un tourbillon d'écume et de sel d'aurore.



Le BONHEUR est un PRÉ EN FLEUR, multicolore et odorant, couvert de rosée et à jamais parcouru d'une brise légère et tiède.



Tout le jour, le FLEUVE DU VENT s'est RUÉ dans les cuvettes de la Drôme. MONTÉ jusqu'aux châtaigneraies, il a fait les CENT COUPS DU DIABLE dans les grandes branches ; il s'est ENFLÉ, peu à peu, jusqu'à DÉBORDER les montagnes et, sitôt le bord SAUTÉ, POMPONNÉ de pelotes de feuilles, il a DÉVALÉ sur nous.

Extrait de : Colline, de Jean Giono [écrivain français, 1895-1970, entré à l'Académie Goncourt en 1954].



Le champ sémantique

Le nom masculin champ, d'abord camp (1080) à côté de champ (1080) est issu du latin campus (camp, campagne), mot probablement autochtone (d'une ancienne langue d'Italie ?) désignant originellement la plaine, par opposition à mons (la montagne). Cédant ce sens géographique au mot plana (plaine), il s'est spécialisé aux sens de plaine cultivée, terrain d'opérations militaires, domaine d'action (au propre et au figuré), et campagne, par opposition à urbs (la ville), tous sens repris par le français.

Le sens figuré s'est développé à partir du XVIe siècle, à la fois en locutions (sur-le-champ, 1538 ; à tout bout de champ, 1611) et en emploi autonome au sens de domaine d'action. Ce dernier a reçu en technique l'acception restreinte de secteur délimité, réalisée dès le XIIIe siècle en héraldique et qui a fait fortune en optique (1753), désignant à la fois le secteur dont tous les points sont vus dans un instrument, la portion d'image enregistrée par l’œil (champ visuel) ou, récemment, par la caméra (1911 ; d'où hors-champ, contrechamp, 1929).

Au cours du XXe siècle, le mot est entré dans d'autres vocabulaires scientifiques : anatomie, physique avec champ magnétique (1854), champ électrique (1881), champ de force (1881) etc., mathématiques, linguistique avec champ sémantique (ensemble structuré de sens) traduit de l'allemand Begriffsfeld (Just Trier [linguiste allemand, 1894-1970, pour qui « chaque langue représente un système unique de représentations et de catégorisations du monde »]), champ lexical (ensemble structuré de mots), champ conceptuel (ensemble structuré de concepts), champ notionnel (ensemble structuré de notions), sociologie, etc.



Déterminer un champ, en linguistique, c'est chercher à dégager la structure d'un domaine donné ou en proposer une structuration.

Les champs linguistiques comprennent aussi bien le champ sémantique d'un mot (par exemple avec le mot père : celui qui a un ou plusieurs enfants, le grand-père, le père de famille, le père putatif (que l'on pense être tel), le père adoptif, le père nourricier, le beau-père, le père d'une lignée (l'ancêtre, le patriarche), le père spirituel, le Saint-Père (le pape), les Pères de l'Église, le Révérend Père, etc.),

le champ lexical d'une famille de mots (par exemple avec les mots père, mère, frère, soeur : auteur, géniteur, papa, aïeul, ancêtre, ascendant, chef, origine, patriarche, souche, tige, créateur, fondateur, parents, maman, cause, source, génitrice, mère poule, matrice, fils, fille, frangine, enfant, frangin, frérot),

ou le champ lexical d'une réalité extérieure à la langue (exemple avec le mot la parenté : l'affinité, l'alliance, l'apparentement, la consanguinité, la famille, le lignage, la filiation, dans différentes sociétés et dans différents pays).



Dès lors qu'ils sont partie prenante d'un énoncé et non pas considérés isolément comme des unités purement syntaxiques ou grammaticales, les mots entrent dans des réseaux de significations et se font écho à l'intérieur d'un texte.

On nomme champ sémantique l'ensemble des sens ou des nuances couverts par l'emploi d'un mot récurrent ou non. L'étude du champ sémantique permet d'apprécier les différents sens, emplois et valeurs d'un terme, selon le contexte dans lequel il est utilisé. Un mot qui présente de nombreuses occurrences (par exemple le terme changer a pour occurrences changeant, changé, le changement, etc.) à l'intérieur d'un texte, dans des contextes variés, et dont le champ sémantique est large, est qualifié de mot-thème.



Le champ lexical

On appelle champ lexical l'ensemble des mots qui peuvent se regrouper autour d'un même thème ou d'une même notion. On établit les champs lexicaux d'un énoncé en tentant des rapprochements fondés sur la contiguïté des significations, sur la parenté des thèmes, et en étudiant les interférences entre les champs lexicaux, qui peuvent être la source d'images prolongées. Le croisement de deux ou plusieurs champs lexicaux présents dans un texte, permet de mettre en évidence le fonctionnement des images structurantes et d'en dégager des métaphores, des allégories ou des symboles.

Dans un texte plus long qu'un poème ou qu'un extrait de roman ou qu'une nouvelle, la présence récurrente de certains champs lexicaux crée des échos et des parallélismes de sens que l'on nomme motifs. Lorsqu'ils sont établis, les motifs d'une œuvre permettent de mettre en lumière les idées clés, les passions, les hantises parfois, conscientes ou non, bref le style de l'écrivain, et de révéler les sens profonds d'un texte.



Par exemple, dans cet extrait de L'Or (1925), de Blaise Cendrars [écrivain français d'origine suisse, 1887-1961], où l'on peut repérer et regrouper tous les mots ayant un sème commun [un sème est un élément de sens permettant le rapprochement entre certains termes]. On peut regrouper dans une seule isotopie (secteur du réel) de nombreux mots qui tous appartiennent au champ lexical de la parole : menteurs, bavards, vantards, hâbleurs, taciturnes, mot immense, récits, disent, parlent... Certains de ces termes sont en outre affectés d'un sème supplémentaire, celui d'une parole excessive ou déformante. À partir de cette isotopie simple, plus précisément d'une isotopie lexicale (ou association de mots présentant au moins un élément de sens en commun), va se dégager le motif de la représentation fabuleuse de l'Ouest américain, fondée sur la reproduction et la déformation des récits initiaux.



Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.

L’Ouest.

Mot mystérieux.

Qu'est-ce que l'Ouest ?



Quatre procédés conduisent à la constitution d'un champ lexical : la désignation (par synonymie, définition, explications...), la caractérisation (par adjectifs, adverbes, verbes), les propos (ce qu'on pense du thème), et l'apparition de connotations (sens second, ou sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel).



Quant à la constitution d'un champ sémantique, la condition première est la répétition d'un mot ou de ses occurrences. À chaque répétition, le mot se charge de connotations (une connotation est un sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel) nées du contexte ou se nuance lors d'échanges connotatifs entre mots proches.



> Extrait de Terre des hommes (1939) d'Antoine de Saint-Exupéry (pp. 9 et 57-61), où les métaphores sont en majuscule.



LA TERRE nous en apprend plus long sur nous que tous LES LIVRES. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle. Mais, pour l'atteindre, il lui faut UN OUTIL. Il lui faut UN RABOT, ou UNE CHARRUE. Le paysan, dans son labour, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu'il dégage est universelle. De même L'AVION, l'outil des lignes aériennes, mêle l'homme à tous les vieux problèmes.

J'ai toujours, devant les yeux, l'image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine. [Attention ! le mot « comme » introduit une comparaison et non une métaphore]

Chacune signalait, dans cet OCÉAN DE TÉNÈBRES, LE MIRACLE d'une CONSCIENCE. Dans ce foyer, ON LISAIT, ON RÉFLÉCHISSAIT, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l'espace, on s'usait en calculs sur la nébuleuse d'Andromède. Là on aimait. De loin en loin luisaient CES FEUX DANS LA CAMPAGNE qui réclamaient leur NOURRITURE. Jusqu'aux plus discrets, celui du poète, de l'instituteur, du charpentier. Mais parmi ces ÉTOILES VIVANTES, combien de FENÊTRES FERMÉES, combien D'ÉTOILES ÉTEINTES, combien D'HOMMES ENDORMIS...

[…]

L'usage d'un instrument savant n'a pas fait de toi [Guillaumet], un technicien sec. Il me semble qu'ils confondent but et moyen ceux qui s'effraient par trop de nos progrès techniques. Quiconque lutte dans l'unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. Mais la machine n'est pas un but. L'avion n'est pas un but : c'est un outil. Un outil comme la charrue.

Si nous croyons que la machine abîme l'homme c'est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies. Que sont les cent années de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l'histoire de l'homme ? C'est à peine si nous nous installons dans CE PAYSAGE DE MINES ET DE CENTRALES ÉLECTRIQUES. C'est à peine si nous commençons d'habiter CETTE MAISON NOUVELLE, que nous n'avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes. Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes. Les notions de séparation, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde aujourd'hui [1939], nous usons d'un langage qui fut établi pour le monde d'hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu'elle répond mieux à notre langage.

Chaque progrès nous a chassés un peu plus loin hors d'habitudes que nous avions à peine acquises, et NOUS sommes véritablement DES ÉMIGRANTS qui n'ont pas fondé encore leur patrie.

Nous sommes tous de jeunes barbares que nos jouets neufs émerveillent encore. Nos courses d'avion n'ont point d'autre sens. Celui-là monte plus haut, court plus vite. Nous oublions pourquoi nous le faisions courir. La course, provisoirement, l'emporte sur son objet.

[…]

Nous étions autrefois en contact avec une usine compliquée. Mais aujourd'hui nous oublions qu'un moteur tourne. Il répond enfin à sa fonction, qui est de tourner, comme un cœur bat, et nous ne prêtons point, non plus, attention à notre cœur. Cette attention n'est plus absorbée par l'outil. Au-delà de l'outil, et à travers lui, c'est la vieille nature que nous retrouvons, celle du jardinier, du navigateur, ou du poète.

[...]

Il faut bien tenter de se rejoindre. Il faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne.



> Exercices et consignes d'écriture.



Composer un texte d'une vingtaine de lignes en utilisant des métaphores construites à l'aide des comparés/comparants suivants :

L'esprit/le vent qui souffle, l'enfant/un arbre, Mozart/un arbre protégé entouré cultivé, l'homme/une machine à piocher et à cogner, la camaraderie/une cordée d'hommes unis pour atteindre un même sommet, l'amour/regarder ensemble dans la même direction, une mer/les nuages, un ruisseau/un père nourricier, un vieil omnibus branlant/une chrysalide grise, un orage/des dragons noirs et des crêtes couronnées d'une chevelure d'éclairs bleus, des trombes marines/les piliers noirs d'un temple, la terre/un grain de poussière égaré parmi les constellations, la terre/des livres, l'outil/un rabot/une charrue/un avion, un océan/les ténèbres, un miracle/la conscience, une conscience/des feux dans la campagne, on lisait on réfléchissait/la nourriture, ces feux dans la campagnes/des étoiles vivantes, des hommes endormis/des fenêtres fermées/des étoiles éteintes, ce paysage de mines et de centrales électriques/cette maison nouvelle, nous (les hommes)/des émigrants.



Cela pourrait donner ceci :

Assis au fond d'un vieil omnibus branlant, chrysalide grise qui annonce par son ancienneté même toute une flotte de bus puissants et rapides comme des fusées, assis près de la fenêtre le front collé à la vitre, j'observe, effrayé, l'orage qui illumine l'obscurité de la nuit, et le combat des dragons noirs aux crêtes couronnées d'une chevelure d'éclairs bleus. La plaine sans fin recouverte de nuit nous laisse la traverser, et elle doit rire tout bas de nos vains efforts sans cesse déployés pour parvenir à notre but : trouver au bout du voyage notre condition d'homme, car si on n'est pas, on ne naît pas homme, on le devient.

Nous sommes tous des émigrants, tous des hommes de terre, de glaise animée d'un esprit, d'un souffle qui telles ces rafales de vent qui poussent le bus encore plus vite vers son but ultime, nous bousculent nous dérangent nous font trébucher.

Assis au fond du vieil omnibus branlant, j'observe, inquiet, un paysage de mines et de centrales électriques, cette maison, nouvelle à l'homme pourtant construite par lui et pour lui, aux fenêtres fermées, aux portes cadenassées, qu'il n'habite qu'endormi.

Au-delà de la tempête qui nous enserre, le chauffeur les passagers moi les autres, luisent les étoiles, scintillent les lumières de la connaissance et de la fraternité, resplendissent les feux dans la campagne.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire. Par exemple, pour la métaphore, voir la bibliographie à la fin de l'Atelier n°22, publié le mardi 7 mai 2013.



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse.



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> SAINT-EXUPÉRY Antoine de. Terre des hommes. Paris, Gallimard, 1993, 213 p.



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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atelier d'écriture et publication

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