lundi 10 février 2014

Atelier d'écriture VII avec Les Caprices de Marianne d'Alfred de Musset


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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture VII



Musique et rythme en prose avec Les Caprices de Marianne d'Alfred de Musset



Sommaire



> Extrait de Les Caprices de Marianne : comédie en deux actes (1833) d'Alfred de Musset, pp. 36-38 et 40-43.

> Qui était Alfred de Musset ?

> Que raconte la comédie en deux actes intitulée Les Caprices de Marianne ?

> Que sont la musique et le rythme d'un texte en prose ? Qu'est-ce qu'un texte théâtral ?

> Extrait de Les Caprices de Marianne (1833, pp. 36-38 et 40-43) d'Alfred de Musset, où chaque phrase est assimilée à une mesure, décomptée en syllabes.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de Les Caprices de Marianne : comédie en deux actes (1833) d'Alfred de Musset, pp. 36-38 et 40-43.



MARIANNE. - Je veux prendre un amant, Octave... sinon un amant, du moins un cavalier. Que me conseillez-vous ? Je m'en rapporte à votre choix : - Cœlio ou tout autre, peu m'importe ; - dès demain, - dès ce soir, celui qui aura la fantaisie de chanter sous mes fenêtres trouvera ma porte entr'ouverte. Eh bien ! vous ne parlez pas ? Je vous dis que je prends un amant. Tenez, voilà mon écharpe en gage : qui vous voudrez la rapportera. […] Cœlio me déplaît ; je ne veux pas de lui. Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez. Choisissez-moi dans vos amis un cavalier digne de moi ; envoyez-le-moi, Octave. Vous voyez que je m'en rapporte à vous.

OCTAVE. - Ô femme trois fois femme ! Cœlio vous déplaît, - mais le premier venu vous plaira. L'homme qui vous aime depuis un mois, qui s'attache à vos pas, qui mourrait de bon cœur sur un mot de votre bouche, celui-là vous déplaît ! Il est jeune, beau, riche et digne en tout point de vous ; mais il vous déplaît ! et le premier venu vous plaira !

MARIANNE. - Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas. (Elle sort.)

OCTAVE, seul. - Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. - Il ne me faudrait pas beaucoup d'orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. Ce sera pourtant Cœlio qui en profitera. (Il sort.)

[...]

CŒLIO, frappant à la jalousie. - Marianne ! Marianne ! êtes-vous là ?

MARIANNE, paraissant à la fenêtre. - Fuyez, Octave ; vous n'avez donc pas reçu ma lettre ?

CŒLIO. - Seigneur mon Dieu ! Quel nom ai-je entendu ?

MARIANNE. - La maison est entourée d'assassins : mon mari vous a vu entrer ce soir ; il a écouté notre conversation, et votre mort est certaine, si vous restez une minute encore.

CŒLIO. - Est-ce un rêve ? suis-je Cœlio ?

MARIANNE. - Octave, Octave ! au nom du ciel, ne vous arrêtez pas ! Puisse-t-il être encore temps de vous échapper ! Demain trouvez-vous à midi dans un confessionnal de l'église, j'y serai. (La jalousie se referme.)

CŒLIO. - Ô mort ! puisque tu es là, viens donc à mon secours. Octave, traître Octave ! puisse mon sang retomber sur toi ! Puisque tu savais quel sort m'attendait ici, et que tu m'y as envoyé à ta place, tu seras satisfait dans ton désir. Ô mort ! je t'ouvre les bras ; voici le terme de mes maux. (Il sort. On entend des cris étouffés et un bruit éloigné dans le jardin.)

[...]

OCTAVE. - […] Adieu Naples et ses femmes, les mascarades à la lueur des torches, les longs soupers à l'ombre des forêts ! Adieu l'amour et l'amitié ! ma place est vide sur la terre.

MARIANNE. - Mais non pas dans mon cœur, Octave. Pourquoi dis-tu : Adieu l'amour ?

OCTAVE. - Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Cœlio qui vous aimait !



> Qui était Alfred de Musset ?



Dans les manuels des collégiens, Alfred de Musset a longtemps figuré parmi les quatre grands romantiques français, aux côtés de Victor Hugo (1802-1885), d'Alphonse de Lamartine (1790-1869) et d'Alfred de Vigny (1797-1863). Depuis lors, sa popularité a baissé et son mythe s'est effacé.



Écrivain français doué d'une rare précocité (1810-1857), introduit dès 1828 dans le Cénacle [le Cénacle est le nom donné entre 1823 et 1830 au groupe qui se constitua d'abord chez Charles Nodier, ensuite chez Victor Hugo, pour définir les idées du romantisme naissant et lutter contre le formalisme classique], et entré à l'Académie française en 1852, il est l'auteur d'une œuvre théâtrale qui a longtemps déconcerté le public par sa fantaisie et par le désinvolte mélange des genres : Un caprice (1837), Fantasio (1834), Lorenzaccio (1834), Le Chandelier (1835), Il ne faut jurer de rien (1836), On ne saurait penser à tout (1849), etc.



On lui doit aussi un roman autobiographique : La Confession d'un enfant du siècle (1836), des contes : Histoire d'un merle blanc (1842), des nouvelles : Les Deux maîtresses (1837), Le Fils du Titien (1838), Croisilles (1839), etc., et des fantaisies poétiques : Premières poésies (1829-1835), Sur trois marches de marbre rose, in : Poésies nouvelles (1836-1852), etc.



> Que raconte la comédie en deux actes intitulée Les Caprices de Marianne ?



La pièce, publiée en 1833, n'a été représentée – une fois remaniée, puis acceptée par la censure – qu'en 1851, à la Comédie-Française.



Acte I : Marianne est la très sage femme de Claudio, juge à Naples, au XVIe siècle. Cœlio, jeune homme sensible et timide, en est éperdument amoureux ; son amour lui semble sans espoir. Octave, jeune débauché insouciant, cousin de Marianne et ami de Cœlio, lui propose de déclarer son amour à sa place : Marianne le reçoit froidement et prévient son mari. Hermia, mère de Cœlio, lui raconte comment son père, venu pour lui déclarer l'amour d'un de ses amis, l'a finalement épousée.



Acte II : Cœlio annonce à Octave qu'il renonce à Marianne. Claudio, jaloux, reproche à Marianne une conversation qu'elle a eue avec Octave. Elle laisse alors entendre à Octave qu'elle est éprise de lui et lui donne un rendez-vous. C'est Cœlio masqué qui s'y rend et qui se fait assassiné par Claudio et son valet. Après sa mort, Octave repousse l'amour de Marianne.



> Que sont la musique et le rythme d'un texte en prose ? Qu'est-ce qu'un texte théâtral ?



Le rythme et la musique d'un texte en prose ont fait l'objet d'un atelier d'écriture publié mardi 16 juillet 2013 (atelier d'écriture n°34). La notion de texte théâtral est abordée ici et pour la première fois dans les ateliers d'écriture de La Publiance.



Le rythme

Le nom masculin rythme est une réfection (modification) savante (1549, Joachim du Bellay) de rime (vers 1370), puis rithme (1512). Le mot est emprunté au latin rhythmus (mouvement, battement régulier, mesure, cadence) spécialement en rhétorique (nombre oratoire) et, en latin médiéval (poème, vers 1036), repris au grec rhuthmos, qui est un des mots clés de la philosophie aristotélicienne (psychologie, théorie de l'art) [Aristote était un philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de : La Poétique, et de : La Rhétorique].



Le mot est dérivé de rhein (couler), et, d'après Émile Benveniste [linguiste français, 1902-1976, entré à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1960], rhuthmos aurait d'abord le sens de forme, assumé par ce qui est mouvant, fluide, modifiable. De ce sens, qui correspond à arrangement des parties, dans l'espace, on serait passé à une notion temporelle, illustrée dans les textes à partir de Platon [philosophe grec, 428 avant J.-C.-348 avant J.‑C., auteur de 28 Dialogues].



Rythme, après un emploi isolé en musique, est repris au XVIe siècle et désigne le retour imposé à des intervalles réguliers d'éléments harmoniques caractéristiques du vers ; puis, il renvoie au mouvement général résultant, dans un texte, de la répartition, du retour régulier et plus ou moins rapide de certains éléments de la phrase.



Le rythme, c'est l'équilibre des parties d'une phrase. Une des règles les plus générales est de ne pas terminer une phrase sur un membre beaucoup plus court que les précédents, sauf si le scripteur vise un effet particulier de mise en évidence. On considère souvent comme un défaut, par ailleurs, que la prose ait le rythme des vers.



Le rythme est la qualité du discours qui, par le moyen de ses syllabes accentuées, vient frapper notre oreille à de certains intervalles ; c'est la succession de syllabes accentuées (sons forts) et de syllabes non accentuées (sons faibles).



Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance.

Extrait de : Lettre à Louise Colet (7 avril 1854), de Gustave Flaubert [écrivain français, 1821-1880].



La langue française n'est pas une langue accentuée comme l'anglais ou l'espagnol, et les syllabes semblent de même longueur. Pourtant, le rythme est bien présent dans la prose française, à travers la syntaxe (le choix des mots, d'un lexique, d'un vocabulaire), le sens (polysémie, monosémie, connotations, dénotations) ou les sons (l'harmonie, fondée sur la répartition équilibrée des sons, participe au rythme et au mouvement du texte dont elle est la mélodie).

Dans la phrase simple, du type Groupe sujet + Groupe verbal + Groupes compléments, chaque groupe peut être assimilé à une mesure, décomptée en syllabes. Un rythme naît des rapports de longueur entre ces mesures.

Dans la phrase complexe, assemblage de propositions ou de phrases simples, le rythme naît surtout des rapports de longueur entre ces propositions (ce qui n'exclut pas leurs rythmes internes).



Il existe 4 types de rythmes :

> On parle de rythme binaire lorsque les groupes de mots (Groupe sujet, Groupe verbal, Groupe complément) ou les propositions (phrases dans la phrase) sont de longueur similaire et au nombre de 2. On obtient un effet de symétrie et de clarté. Par exemple : Près de sa belle maison (proposition 1, dont la longueur est de 7 syllabes) / vivait un voisin irascible. (proposition 2, dont la longueur est de 8 syllabes).



> On parle de rythme ternaire lorsque les groupes de mots ou les propositions sont de longueur similaire et au nombre de 3. On obtient un effet de clarté et de parallélisme. Par exemple : Près de sa maison, (proposition 1, de 5 syllabes) / qui était si belle, (proposition 2, de même longueur) / vivait un voisin hargneux. (proposition 3, de 7 syllabes).



> On parle de rythme ascendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus longs, ou de propositions de plus en plus longues. Par exemple : Là-bas, (2 syllabes) / près de sa maison, (5 syllabes) / qui était vraiment très belle, (7 syllabes) / avec sa façade équilibrée, (9 syllabes) / et ses peintures joyeuses aux tons pastels, (11 syllabes) / demeurait ce ridicule et irascible voisin. (14 syllabes).

On emploie ce type de rythme pour obtenir des effets de suspense, d'attente, de gradation et d'abondance. La juxtaposition de phrases simples ou complexes ascendantes accélère le rythme général d'un récit.



> On parle de rythme descendant lorsqu'une phrase est composée d'une succession de groupes de mots de plus en plus courts, ou de propositions de plus en plus courtes. Par exemple : Près de la si belle et si vaste demeure de mon ami Raymond, (18 syllabes) / avec ses peintures joyeuses aux tons pastels, (12 syllabes) / et sa façade bien équilibrée, (10 syllabes) / aux beaux volets rutilants, (7 syllabes) / vivait ce voisin, (5 syllabes) / un hargneux. (3 syllabes).

La juxtaposition de phrases de plus en plus courtes a un effet de ralentissement sur le rythme général du texte.



Passer la nuit dans cet obscur wagon n'avait rien d'enchanteur ; et puis je n'avais pas dîné. La gare était loin du village et l'auberge m'attirait moins que l'aventure ; au surplus je n'avais sur moi que quelques sous. Je partis sur la route, au hasard, et me décidai à frapper à la porte d'un mas assez grand, d'aspect propre et accueillant.

Extrait de : Si le grain ne meurt (1924), d'André Gide [écrivain français, 1869-1951, Prix Nobel de Littérature en 1947].



On peut établir le schéma rythmique des phrases 1 (Passer... dîné.), 2 (La gare... sous.) et 3 (Je partis... accueillant.), et observer les effets obtenus par l'emploi de ces rythmes.

La phrase 1 est composée de 2 phrases simples, de longueurs différentes (16 et 8 syllabes). Le rythme binaire décroissant convient bien à l'expression « un creux dans l'estomac ».

La phrase 2 est constituée de 3 phrases simples : 9 syllabes, 13 syllabes et 12 syllabes, et le rythme ternaire équilibré (la longueur des 3 phrases simples est similaire) illustre bien le bilan de la situation que le personnage effectue.

La phrase 3 est ascendante : 10 + 25 syllabes, et traduit le suspense : comment sera accueilli le personnage ?



Il faut écrire, et l'on me donne une plume, de l'encre, du papier qui se conviennent à merveille. J'écris avec facilité je ne sais quoi d'insignifiant. Mon écriture me plaît. Elle me laisse une envie d'écrire. Je sors. Je vais. J'emporte une excitation à écrire qui se cherche une chose à écrire. Il vient des mots, un rythme, des vers, et ceci finira par un poème dont le motif, la musique, les agréments, et le tout,- procéderont de l'incident matériel dont ils ne garderont aucune trace.

Extrait de : Rhumbs (1926, p. 174), de Paul Valéry [écrivain français, 1871-1945, entré à l'Académie française en 1925].



La langue française est difficile. Elle répugne à certaines douceurs. C'est ce que Gide exprime à merveille en disant qu'elle est un piano sans pédales. On ne peut en noyer les accords. Elle fonctionne à sec. Sa musique s'adresse plus à l'âme qu'à l'oreille.

Extrait de : La Difficulté d'être (1947, p. 201), de Jean Cocteau [écrivain français, 1889-1963, entré à l'Académie française en 1955].



La musique

La musique d'un texte en prose est l'expression d'une pensée. Dans le sens ancien et primitif, la musique n'était pas une science particulière, c'était tout ce qui appartenait aux Muses ou en dépendait ; c'était donc toute science et tout art qui apportait à l'esprit l'idée d'une chose agréable et bien ordonnée.



Le nom féminin musique (art de combiner les sons) est emprunté (1150) au latin musica, lui-même emprunté au grec mousikê (sous-entendu tekhnê), proprement l'art ou technique des Muses, dérivé de Mousa.



Mousa en grec est un terme de mythologie généralement employé au pluriel pour désigner les Muses et servant d'appellatif avec le sens de poésie, culture, musique. Les Muses, déesses des champs et des montagnes, font don aux hommes de l'inspiration poétique ainsi que de la connaissance ; elles sont filles de Mnémosyne (Mémoire) et de Zeus ou, selon d'autres interprétations, d'Harmonia, ou encore d'Ouranos et de Gê (le Ciel et la Terre). À partir de l'époque classique (l'Antiquité gréco-romaine, qui précède le Moyen-Âge), en latin, leur nombre est fixé à neuf.



Le mot Muses a pénétré en français pour désigner ces neuf déesses chez les traducteurs en ancien français et en ancien provençal de Boèce [philosophe et homme politique latin, 480-524, auteur de : De la consolation de la philosophie ; sa place dans l'histoire de la logique est importante, entre Aristote et les stoïciens d'une part, et le Moyen-Âge d'autre part]. À la Renaissance, le mot a acquis par extension la signification de belles lettres (1548) au sens de littérature, et spécialement poésie (1549, L'Olive, de Joachim Du Bellay [poète français, 1522-1560, rédigea le programme de la Brigade, qui deviendra la Pléiade en 1553, groupe composé de sept poètes dont Ronsard, qu'il avait rencontré en 1547]).



Quelques sens analogiques du mot musique se sont développés depuis le XVIe siècle : musique se dit de tout ce qui affecte l'oreille, de façon agréable ou, ironiquement, désagréable (1560-1565, la musique d'un asne). À la fin du XVIIIe siècle, le mot commence à se dire de l'harmonie du langage, d'un texte (avant 1778), puis, plus abstraitement, de celle des pensées, des rêveries (1800, Chateaubriand).



Le texte théâtral

Bien qu'écrit, le texte théâtral est interprété par des comédiens qui donnent l'illusion d'une improvisation. Les spectateurs doivent pouvoir croire à la réalité d'un univers qui n'est qu'artifices. Le texte, les décors, la mise en scène (les déplacements des comédiens), les costumes, la musique ou les bruitages, les éclairages, au théâtre tout concourt à donner au spectateur l'illusion du réel.



Dans la réalité, les conversations sont faites de silences, de temps morts, de propos vides ou répétitifs : au théâtre chaque seconde de la représentation est chargée de sens et toute répartie obéit à une nécessité. S'il y a redondance ou vacuité, c'est la traduction d'une volonté de l'auteur. Le langage dramatique n'obéit donc jamais vraiment aux mêmes lois que la communication ordinaire, même quand il paraît vouloir la mimer aussi parfaitement que possible.



Il en est de même pour la fiction (imagination, songe, chimère, invention, irréalité), d'où l'importance de rechercher et d'identifier dans tout texte, dans tout énoncé, dramatique, poétique, autobiographique, romancé, biographique, etc., la part de vérité et la part d'imaginaire, la part de réalité et la part d'invention, en sachant toutefois que la part de vérité peut résider dans l'effet que provoque la fiction, que la part de réalité peut résider dans la réaction que provoque l'invention, et qu'au fond, tout n'est vrai qu'en idée, qu'au fond, toute fiction est une idée réelle et vraie.



À la lecture d'un texte théâtral, on se rend compte d'une double énonciation : le premier niveau d'énonciation c'est lorsque sur scène les personnages se donnent la réplique, par exemple les deux dernières répliques de l'extrait de Les Caprices de Marianne :

MARIANNE. - Mais non pas dans mon cœur, Octave. Pourquoi dis-tu : Adieu l'amour ?

OCTAVE. - Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Cœlio qui vous aimait !



Mais le destinataire privilégié du discours théâtral est le spectateur, c'est en réalité à lui que les comédiens s'adressent et c'est le deuxième niveau d'énonciation. Par exemple cette réplique de l'extrait de Les Caprices de Marianne, où Octave parle seul (soliloque) afin de communiquer son état d'esprit et ses sentiments au public, qui sans cela n'en saurait rien :

OCTAVE, seul. - Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. - Il ne me faudrait pas beaucoup d'orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. Ce sera pourtant Cœlio qui en profitera. (Il sort.)



S'ajoutent d'autres types de communication : celle du dramaturge qui interpelle son public, désirant provoquer en lui toutes sortes de sentiments et d'émotions (l'admiration, la pitié, etc.) ou souhaitant dénoncer les travers de la société, ou celle du personnage qui s'adresse directement à l'auditoire, cassant ainsi l'illusion théâtrale en fonction des desseins de l'auteur.



Dans un texte théâtral, il existe plusieurs types de discours :

- les didascalies sont des indications scéniques données par l'auteur (sur le décor, les costumes, les jeux scéniques). Exemple avec (Il sort.) à la fin du soliloque d'Octave cité précédemment.



- les apartés sont les propos qu'un personnage s'adresse à lui-même (selon l'illusion théâtrale, sans être entendu des autres personnages).



- le dialogue : le dialogue théâtral se caractérise par un tempo plus rapide que celui de la conversation ordinaire. Par exemple :

CŒLIO. - Quelle vie que la tienne ! Ou tu es gris, ou je le suis moi-même.

OCTAVE. - Ou tu es amoureux, ou je le suis moi-même.

CŒLIO. - Plus que jamais de la belle Marianne.

OCTAVE. - Plus que jamais de vin de Chypre.

CŒLIO. - J'allais chez toi quand je t'ai rencontré.

OCTAVE. - Et moi aussi j'allais chez moi. Comment se porte ma maison ? Il y a huit jours que je ne l'ai vue.

CŒLIO. - J'ai un service à te demander.



- les répliques sont les réponses d'un personnage à un autre personnage ; courtes elles sont des réparties, longues elles sont des tirades. Exemple avec deux réparties de Cœlio et d'Octave, suivies d'une tirade de Cœlio :

CŒLIO. - Que tu es heureux d'être fou !

OCTAVE. - Que tu es fou de ne pas être heureux ! Dis-moi un peu, toi, qu'est-ce-qui te manque ?

CŒLIO. - Il me manque le repos, la douce insouciance qui fait de la vie un miroir où tous les objets se peignent un instant et sur lequel tout glisse. Une dette pour moi est un remords. L'amour, dont vous autres vous faites un passe-temps, trouble ma vie entière. Ô mon ami, tu ignoreras toujours ce que c'est qu'aimer comme moi ! Mon cabinet d'étude est désert ; depuis un mois j'erre autour de cette maison la nuit et le jour.



- la stichomythie est un échange rapide de propos qui disloque le vers en alexandrins sur plusieurs réparties. Exemple avec cet extrait de : Le Cid (1636, acte 1, scène III), de Pierre Corneille [poète dramatique français, 1606-1684, membre de l'Académie française en 1647] :

LE COMTE. - Ce que je méritais, vous l'avez emporté.

DON DIÉGUE. - Qui l'a gagné sur vous l'avait mieux mérité.

LE COMTE. - Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.

DON DIÉGUE. - En être refusé n'en est pas un bon signe.

LE COMTE. - Vous l'avez eu par brigue, était vieux courtisan.

DON DIÉGUE. - L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

LE COMTE. - Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.

DON DIÉGUE. - Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.

LE COMTE. - Et par là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.

DON DIÉGUE. - Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.



- le monologue, ou le soliloque : le personnage est seul sur scène et se parle à lui-même. Ce type de discours s'impose lorsque le personnage réfléchit à voix haute. Exemple avec le soliloque d'Octave tiré de l'extrait de Les Caprices de Marianne cité précédemment.

OCTAVE, seul. - Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. - Il ne me faudrait pas beaucoup d'orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. Ce sera pourtant Cœlio qui en profitera. (Il sort.)



> Extrait de Les Caprices de Marianne (1833, pp. 36-38 et 40-43) d'Alfred de Musset, où chaque phrase est assimilé à une mesure, décomptée en syllabes.



MARIANNE. - Je veux prendre un amant, Octave... sinon un amant, du moins un cavalier. (19) Que me conseillez-vous ? (6) Je m'en rapporte à votre choix : - Cœlio ou tout autre, peu m'importe ; - dès demain, - dès ce soir, celui qui aura la fantaisie de chanter sous mes fenêtres trouvera ma porte entr'ouverte. (49) Eh bien ! vous ne parlez pas ? (7) Je vous dis que je prends un amant. (9) Tenez, voilà mon écharpe en gage : qui vous voudrez la rapportera. […] (19) Cœlio me déplaît ; je ne veux pas de lui. (11) Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez. (13) Choisissez-moi dans vos amis un cavalier digne de moi ; envoyez-le-moi, Octave. (28) Vous voyez que je m'en rapporte à vous. (10)

[Dans la tirade de Marianne, le rythme est donné par une alternance de longues phrases : 19, 49, 19 et 28 syllabes, et de phrases courtes de 6, 7, 9, 11, 13 et 10 syllabes, ces dernières allant crescendo. Le rythme ainsi créé ressemble à celui de la houle]

OCTAVE. - Ô femme trois fois femme ! (6) Cœlio vous déplaît, - mais le premier venu vous plaira. (19) L'homme qui vous aime depuis un mois, qui s'attache à vos pas, qui mourrait de bon cœur sur un mot de votre bouche, celui-là vous déplaît ! (36) Il est jeune, beau, riche et digne en tout point de vous ; mais il vous déplaît ! (18) et le premier venu vous plaira ! (9)

[Dans la tirade d'Octave, le rythme est différend : il est donné par une augmentation rapide du nombre de syllabes de chaque phrase (6, 19 et 36), suivie d'une diminution toute aussi rapide du nombre de syllabes (18 et 9). Le rythme ainsi créé a un effet d'accélération puis de ralentissement du rythme général]

MARIANNE. - Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas. (14) (Elle sort.)

OCTAVE, seul. - Ton écharpe est bien jolie, Marianne, et ton petit caprice de colère est un charmant traité de paix. (28) - Il ne me faudrait pas beaucoup d'orgueil pour le comprendre : un peu de perfidie suffirait. (23) Ce sera pourtant Cœlio qui en profitera. (13) (Il sort.)

[Dans la tirade d'Octave, le rythme décroissant des phrases (28, 23 et 13 syllabes) crée un effet de ralentissement du rythme général du texte]

[...]

CŒLIO, frappant à la jalousie. - Marianne ! (2) Marianne ! (2) êtes-vous là ? (4)

MARIANNE, paraissant à la fenêtre. - Fuyez, Octave ; (4) vous n'avez donc pas reçu ma lettre ? (9)

CŒLIO. - Seigneur mon Dieu ! (4) Quel nom ai-je entendu ? (6)

MARIANNE. - La maison est entourée d'assassins : mon mari vous a vu entrer ce soir ; il a écouté notre conversation, et votre mort est certaine, si vous restez une minute encore. (50 = 10 + 10 + 11 + 8 + 10)

[La régularité du rythme des propositions (10, 10, 11, 8 et 10 syllabes) qui composent l'unique phrase de la tirade de Marianne, crée un effet de redondance]

CŒLIO. - Est-ce un rêve ? (4) suis-je Cœlio ? (4)

MARIANNE. - Octave, Octave ! (4) au nom du ciel, ne vous arrêtez pas ! (10) Puisse-t-il être encore temps de vous échapper ! (12) Demain trouvez-vous à midi dans un confessionnal de l'église, j'y serai. (21) (La jalousie se referme.)

CŒLIO. - Ô mort ! (2) puisque tu es là, viens donc à mon secours. (11) Octave, traître Octave ! (7) puisse mon sang retomber sur toi ! (9) Puisque tu savais quel sort m'attendait ici, et que tu m'y as envoyé à ta place, tu seras satisfait dans ton désir. (34) Ô mort ! (2) je t'ouvre les bras ; (5) voici le terme de mes maux. (8) (Il sort. On entend des cris étouffés et un bruit éloigné dans le jardin.)

[Dans la tirade de Cœlio, l'irrégularité du nombre de syllabes (2, 11, 7 et 9) des quatre premières phrases, suivies d'une très longue phrase (34 syllabes) et de trois phrases courtes au rythme crescendo (2, 5 et 8 syllabes), créent l'effet de quelque chose d'irrémédiable, d'irréparable et d'irréversible ; le rythme de la tirade de Cœlio annonce sa propre mort]

[...]

OCTAVE. - […] Adieu Naples et ses femmes, les mascarades à la lueur des torches, les longs soupers à l'ombre des forêts ! (18) Adieu l'amour et l'amitié ! (8) ma place est vide sur la terre. (8)

MARIANNE. - Mais non pas dans mon cœur, Octave. (6) Pourquoi dis-tu : Adieu l'amour ? (8)

OCTAVE. - Je ne vous aime pas, Marianne ; (8) c'était Cœlio qui vous aimait ! (8)

[Dans les trois dernières répliques de la pièces, le rythme régulier et binaire des phrases (8 et 8 syllabes pour Octave, 6 et 8 syllabes pour Marianne, 8 et 8 syllabes pour Octave à nouveau) offre un effet de symétrie et de clarté]



> Exercices et consignes d'écriture.



En reprenant le rythme des phrases de l'extrait cité plus haut, composer un récit d'une page au format A4. Le thème peut être choisi au hasard, suivant l'inspiration du jour, ou bien il peut être choisi parmi les phrases suivantes :

- Mais, Monsieur, votre femme passe pour un dragon de vertu dans toute la ville ; elle ne voit personne.

- Tout est-il fini comme je l'ai ordonné ?

- Agirez-vous contre sa volonté ?

- Pas un de vous ne passera la nuit sous ce toit.

- Pensez-vous que je sois un mannequin et que je me promène sur la terre pour servir d'épouvantail aux oiseaux ?

- On trouva dans sa chambre le pauvre jeune homme traversé de part en part de plusieurs coups d'épée.



Le rythme de l'extrait cité plus haut est le suivant :

19 syllabes pour la première phrase – puis 6 pour la deuxième phrase – puis 49 pour la troisième – puis 7 – puis 9 – puis 19 – 11 – 13 – 28 – 10 – 6 – 19 – 36 – 18 – 9 – 14 – 28 – 23 – 13 – 2 – 2 – 4 – 4 – 9 – 4 – 6 - [10 + 10] - [11 + 8 + 10] 4 – 4 – 4 – 10 – 12 – 21 – 2 – 11 – 7 – 9 – 34 – 2 – 5 – 8 – 18 – 8 – 8 – 6 – 8 – 8 – et enfin 8 syllabes pour la dernière phrase.



Avec la phrase suivante : « Tout est-il fini comme je l'ai ordonné ? » cela pourrait donner ceci :

19 - Tout est-il fini comme je l'ai ordonné hier avant de partir ?

6 demanda l'homme au tic.

49 - Je refuse d'effectuer ce travail, ce que vous exigez de nous est dégradant et insultant, jamais ! vous entendez ? jamais je n'accepterai de porter ce déguisement nul !

7 rétorqua l'enfant Peau noire.

9 Yeux bleus ajouta dans un murmure :

19 – On est juste des petites personnes en situation de handicap...

11 – Pas des guignols de foire ! ou des clowns de cirque !

13 ajouta Peau noire, avant de tomber de sa chaise.

28 L'air pensif, l'homme au tic se caressa le menton, puis il dévisagea un à un les jeunes handicapés.

10 Là se tenaient six enfants révoltés.

6 Ses enfants adoptifs.

19 Devant lui, Cheveux courts, le dernier d'une fratrie où tous se vouvoient.

36 Puis, Boucle d'oreille et Tâches de rousseur, Petits pieds, et Peau noire et Yeux bleus, toutes et tous des mutants neurologiques, des pré-adaptés.

18 Inadaptés pour le présent organisé tel quel par d'autres qu'eux.

9 Déjà formatés pour le futur.

14 Les yeux de l'homme au tic s'embuèrent, se mirent à cligner.

Etc.



- Tout est-il fini comme je l'ai ordonné hier avant de partir ? demanda l'homme au tic.

- Je refuse d'effectuer ce travail, ce que vous exigez de nous est dégradant et insultant, jamais ! vous entendez ? jamais je n'accepterai de porter ce déguisement nul ! rétorqua l'enfant Peau noire.

Yeux bleus ajouta dans un murmure :

On est juste des petites personnes en situation de handicap...

Pas des guignols de foire ! ou des clowns de cirque ! ajouta Peau noire, avant de tomber de sa chaise.

L'air pensif, l'homme au tic se caressa le menton, puis il dévisagea un à un les jeunes handicapés.

Là se tenaient six enfants révoltés.

Ses enfants adoptifs.

Devant lui, Cheveux courts, le dernier d'une fratrie où tous se vouvoient. Puis, Boucle d'oreille et Tâches de rousseur, Petits pieds, et Peau noire et Yeux bleus, toutes et tous des mutants neurologiques, des pré-adaptés. Inadaptés pour le présent organisé tel quel par d'autres qu'eux. Déjà formatés pour le futur. Les yeux de l'homme au tic s'embuèrent, se mirent à cligner.

etc.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire. Par exemple, pour le rythme et la musique en prose, voir la bibliographie à la fin de l'Atelier n°34, publié le mardi 16 juillet 2013.



> BEAUMARCHAIS Jean-Pierre de, COUTY Daniel, REY Alain, 1994. Dictionnaire des littératures de langue française. Paris, Bordas, nouv. éd. mise à jour et enrichie, 4 vol.



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 44.



> CRESSOT Marcel, JAMES Laurence (mise à jour), 1991. Le style et ses techniques : précis d'analyse stylistique. Paris, Presses universitaires de France. 13e éd., pp. 209-235.


> DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse.



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> GREVISSE Maurice, 1993. Le bon usage : grammaire française. Paris, Duculot. 13éd.



> LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément.



> MUSSET Alfred de. Les Caprices de Marianne, suivi de : On ne badine pas

avec l'amour. Paris : EJL, 1997 (Librio, 39). 94 p.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> VOLKOVITCH Michel. Verbier : herbier verbal. M. Nadeau, 2000.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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atelier d'écriture et publication

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