vendredi 4 avril 2014

Atelier d'écriture IX avec Soleil de nuit, poèmes de Jacques Prévert


¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤



L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

. . . . . . . . . e n l i g n e . . . . . . . . .



Atelier d'écriture IX



La libre-association et

l'écriture automatique avec

Soleil de nuit : poèmes

de Jacques Prévert



Sommaire



> Extraits de Soleil de nuit (1936-1977) de Jacques Prévert, pp. 64 et 194-195.

> Qui était Jacques Prévert ?

> Présentation de Soleil de nuit.

> Que sont l'écriture automatique et la libre-association ?

> Extraits de Soleil de nuit (1936-1977, pp. 64 et 194-195) de Jacques Prévert, où quelques images surréalistes sont en majuscule.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extraits de Soleil de nuit (1936-1977) de Jacques Prévert, pp. 64 et 194-195.



Le Strict superflu (1946 ?)



Un beau jour

Les hommes qui fabriquent mangeront à leur faim

Et ce qu'ils mangeront sera bon

très bon

pas bon comme la romaine

ou bon pour le service

mais simplement bon

comme le bon pain

Un beau jour

Les hommes qui fabriquent dormiront leur content

et ils auront de beaux rêves

de belles amours

et des draps blancs

et de grandes orgues de Barbarie

qui marcheront au quart de tour

et qui joueront tous les jours

les plus beaux airs du monde

et

les plus difficiles

Parce qu'un jour

les hommes qui fabriquent

connaîtront enfin la musique



***



Un homme vient d'entrer... (1972 ?)



Paris

Mil neuf sans soixante douze



937 après J.-C.



Un homme vient d'entrer sans frapper, sans se frapper, dans sa soixante-dixième année.

- Bonjour !

- Quel temps fait-il ?

- Il fait vite, mais si le cœur vous en dit il peut revenir sur ses pas. Le temps, les années sont dedans mais ailleurs en même temps.

L'homme qui vient d'entrer et qui retrouve des amis a le sourire aux lèvres, ses amis ont le même, celui de l'amitié.

Pas l'amitié « virile » des camps et des casernes, la nostalgique fraternité des héros épargnés par la der des ders.

Non, l'amitié comme l'amour, la chance, le vin, la mer ou le travail heureux, accepté, partagé.

Et l'homme, Steph Simon, c'est son nom, a mis cartes sur table, cartes du tendre où les coups durs sont à demi effacés, cartes marines de son quartier.

Et il fait le point.

Phares de Saint Germain de Flore ou de Saint Tropez des Prés. Quais des cinq Pères, des Quatre mers et petit Havre des Six-Eaux.

Sur les berges du boulevard saint Parking l'ombre des arbres condamnés, exécutés, sans le moindre petit tocsin pour annoncer le massacre, caresse encore la mémoire des passants qui savaient, qui pouvaient passer, mais la rue de Rennes est en rade depuis qu'on a chassé le Dragon de sa cour et madame la Gare de l'Ouest, chaque jour, monte à sa tour.

Pour voir venir.

Venir quoi ? Les regrets du passé, les espoirs de demain passent dans le même broyeur de ferrailles et de fleurs, de beautés et d'horreurs. Aujourd'hui la vie est ainsi faite, à ce qu'il paraît, disparaît, reparaît mais toujours elle est aussi fête et il convient de la souhaiter.

70 années et celui qui est fêté quand on lui parle du « troisième âge » ce new-look de la longévité, le fou rire le prend et le garde un bon petit bout de temps. Il sait bien qu'il n'y a pas tellement loin du siècle des lumières à celui du néon et très loin est si près et aussitôt si tard qu'il n'est pas plus facile de garder ses distances que de garder son sérieux.

Autant chercher le quart d'heure de Rabelais dans les vingt-quatre heures du Mans ou dans le septième discours sur la Méthode la quatrième dimension de la quadrature du cercle de la cinquième roue du carrosse du Saint-Sacrement.

Chacun navigue à sa manière, lui sur son Bourru III d'autres sur leur sous-marin nucléaire.

Sa manière est la bonne et beaucoup la préfèrent.



> Qui était Jacques Prévert ?



Poète français (1900-1977) hostile à toutes les forces d'oppression sociale et capable d'ironie et de violence mais aussi de grâce et de tendresse, dont la poésie célèbre, à l'usage d'un très large public, les thèmes de la liberté, de la justice et du bonheur.



Jacques Prévert a porté à son plus haut point d'efficacité burlesque la technique de l'énumération, de l'inventaire et des jeux de langage. Il est l'auteur de nombreux recueils poétiques : Paroles (1945), Histoires (1946), La Pluie et le beau temps (1955), Fatras (1965), Choses et autres (1972), etc.



Il intègre le groupe surréaliste en 1925 [groupe fondé en 1923 par André Breton (écrivain français, 1896-1966), Louis Aragon (écrivain et poète français, 1897-1982), Philippe Soupault (écrivain français, 1897-1990) et Paul Éluard (poète français, 1895-1952) ; loin de s'affirmer par une rupture radicale, le surréalisme tel qu'André Breton en a défini et illustré les ambitions, peut être considéré comme l'aboutissement du romantisme autant que du symbolisme],

mais assez vite il entre en dissidence avec Yves Tanguy [peintre américain d'origine française, 1900-1955] et Marcel Duhamel [éditeur, traducteur, scénariste et acteur français, 1900-1977],

avec qui il fonde le « Groupe de la rue du Château » [le 54 rue du Château, à Montparnasse, était l'adresse de Marcel Duhamel], groupe auquel viendront s'adjoindre Raymond Queneau [écrivain français, 1903-1976, entré à l'Académie Goncourt en 1951 ; a créé en 1960 l'OuLiPo avec François Le Lionnais ; acronyme de : Ouvroir de Littérature potentielle, l'OuLiPo était un atelier d'expérimentation littéraire qui cherchait à réintroduire la notion de contrainte formelle dans la création littéraire] et Michel Leiris [ethnologue et écrivain français, 1901-1990].

De 1932 à 1936, il fait aussi partie de la compagnie théâtrale « Octobre », composée d'intellectuels passionnés de théâtre militant, pour lesquels il écrit des textes, des poèmes pour chœurs parlés ou des saynètes impromptues.



Parallèlement, Jacques Prévert entreprend d'écrire pour le cinéma en tant que scénariste et dialoguiste, et en particulier pour quelques-uns des plus grands films de Marcel Carné [cinéaste français, 1906-1996] : Jenny (1936), Drôle de drame (1937), Quai des brumes (1938), Le Jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1942) et Les Portes de la nuit (1946).



> Présentation de Soleil de nuit.



Soleil de nuit réunit des textes écrits par Jacques Prévert (plus d'une centaine) entre 1936 et 1977 (année de sa disparition), inédits pour la plupart, pour certains parus isolément dans des revues ou dans des éditions à tirage limité.

On y trouve aussi bien des poèmes : Lumières d'homme (1936), Couplet (1946), Les Machinoutis (1966), Sizygie (1969), etc. ; que des textes accompagnant des photographies, des collages ou des gravures : Terres cuites de Béotie (1936), Eaux-fortes (1973), Le Jour des temps (1975), etc. ; que des préfaces : Dominique (1959), C'est l'été... (1975), etc. ; ou encore des textes de chansons : Nuit blanche (1936), Complainte de Gilles (1944), Les Feuilles mortes (1947), Simple comme bonjour (1958).



> Que sont l'écriture automatique et la libre-association ?



Le langage poétique a été abordé lors de nombreux ateliers, intitulés :

=> Vers à douze pieds l'alexandrin, deux de moins, Un vers décasyllabe, l'on obtient (atelier d'écriture n°6, publié samedi 2 février 2013),

=> L'oxymore ou le clair-obscur (atelier d'écriture n°23, publié lundi 13 mai 2013),

=> La poésie française : poèmes et poétique, « C'est tout un poème » (atelier d'écriture n°24, publié samedi 18 mai 2013),

=> Le surréalisme, la libre-association, l'écriture automatique (atelier d'écriture n°29, publié lundi 17 juin 2013).



Dans cet atelier ne seront abordées que les notions d'oxymoron, d'écriture automatique et de libre-association.



L'oxymoron

Le nom masculin l'oxymoron est emprunté au grec (1765) oxumôron (ingénieuse alliance de mots contradictoires), composé de oxu- (aigu, fin, spirituel) et de môros (mou, inerte, puis : sot, bêta, stupide, fou), terme sans étymologie établie. Oxumôros était employé en tant qu'adjectif au sens de fin, spirituel, sous une apparence de niaiserie ou d'obscurité.



Cette OBSCURE CLARTÉ qui tombe des étoiles. (Corneille)



Ce terme de rhétorique désigne une alliance de deux mots incompatibles, la réunion d'un mot et d'un autre mot exprimant son contraire, à des fins stylistiques, pour leur donner plus de force expressive. On emploie aussi la forme francisée oxymore.



Cette BELLE LAIDEUR et cette DOUCE VIOLENCE d'un BONBON AMER.

Suit un SILENCE ÉLOQUENT.



L'oxymoron est une figure de style qui consiste à forger une expression constituée de deux termes qui s'opposent. On distingue des oxymores strictement perceptifs, ou immédiatement sensibles (voir les exemples précédents), des oxymores de pensée, ou intellectuels (exemples suivants).



Cette PETITE GRANDE ÂME venait de s'envoler. (Victor Hugo)



Un même oxymore peut être tantôt « de perception », tantôt « de pensée », exemple avec l'oxymore « soleil noir » :

À certaines heures, la campagne était NOIRE DE SOLEIL, extrait de : Noces, d'Albert Camus [écrivain français, 1913-1960, prix Nobel de littérature en 1957], où le soleil, ordinairement associé à sa clarté ou à la couleur claire, peut aussi être aveuglant par son excès de clarté, et donc noir ; l'oxymore est dit « de perception »,

et,

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Extrait de : El Desdichado, de Gérard de Nerval [écrivain français, 1808-1855], où le soleil, naturellement associé à la chaleur et à la clarté, physique autant que spirituelle, renvoie ici le poète à sa mélancolie et à l'absence de chaleur et de lumière qui accompagne toute mélancolie, donc noire est la mélancolie qui rayonne comme un soleil (noir) ; l'oxymore est dit « de pensée ».



Opposer est une opération intellectuelle fondamentale, applicable à la connaissance du réel. L'oxymore fait partie des écarts de style qui mettent en valeur les oppositions. Il réunit deux mots ou deux expressions de nature antithétiques pour les rendre identiques. Cette alliance est donc la résolution d'une antithèse.



Printemps après printemps, de belles fiancées

Suivirent de CHERS RAVISSEURS...

Extrait de : La Vigne et la Maison, d'Alphonse de Lamartine [poète français, 1790-1869, entré à l'Académie française en 1829 ; membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères en 1848].



L'oxymore relève d'une vision dialectique [la dialectique est l'ensemble des moyens mis en œuvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter, emporter la conviction, c'est la marche de la pensée reconnaissant l'inséparabilité des contradictoires (thèse et antithèse), que l'on peut unir dans une catégorie supérieure (la synthèse)]. Les contraires, qui par définition, appartiennent à des isotopies (secteurs du réel) différentes, sont unis dans une nouvelle isotopie.



Surgir du fond des eaux le REGRET SOURIANT... (Baudelaire)



Attention à ne pas confondre l'oxymoron et l'antithèse. L'antithèse oppose des mots, des phrases ou des ensembles plus vastes dont le sens est inverse ou le devient. Elle met en parallèle pour mieux opposer. Elle systématise, met en évidence, valorise l'un des éléments ou les deux, selon le contexte, sans résoudre leur opposition. Par exemple : Niort qui rit, Poitiers qui pleure (titre d'un article sportif, où Niort est l'équipe de football qui a gagné le match, et Poitiers l'équipe de football qui a perdu).



Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ;

Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.

Extrait de : Le Cid (tirade de Chimène), de Pierre Corneille [poète dramatique français, 1606-1684, membre de l'Académie française en 1647].



L'antithèse met en valeur la dualité d'une notion (vision manichéenne du réel), tandis que l'oxymore réunit deux sens opposés pour en proposer un troisième, synthèse des oppositions.

Philosophiquement, l'oxymoron traduit une rupture avec le principe d'identité hérité d'Aristote [philosophe grec, 384 avant J.-C.-322 avant J.-C., auteur entre autre de La Poétique et de La Rhétorique], pour qui « A est A, et A n'est pas non-A ». Il permet l'éclatement de la logique aristotélicienne et l'accès à une logique plus profonde. Il ouvre à une nouvelle logique où les contraires cessent d'être perçus « contradictoirement », selon le mot d'André Breton [écrivain français, 1896-1966, fonde avec Louis Aragon, Philippe Soupault et Paul Éluard en 1923 le mouvement surréaliste].

Comme tout paradoxe [en logique, un paradoxe est une proposition qui est à la fois vraie et fausse, exemple : le paradoxe du menteur – qui dit : « Je mens », où un menteur qui dit « Je mens » dit donc la vérité et n'est donc plus un menteur], l'oxymore révèle l'ambivalence de toute réalité, il est du côté de la « pensée ouverte », contre la « pensée close », selon l'expression employée par Henri Bergson [philosophe français, 1859-1941, entré à l'Académie française en 1914, prix Nobel de littérature en 1927] dans Les Deux sources de la morale et de la religion (1932).



Écriture automatique et libre-association



Locution apparue en 1920, l'« écriture automatique » est une des techniques utilisée par les surréalistes visant à traduire instantanément la « pensée parlée », technique consistant à rédiger « un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l'esprit critique du sujet ne puisse porter aucun jugement, qui ne s'embarrasse par suite d'aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée » (extrait de : Manifeste du surréalisme (1924), d'André Breton).



La libre-association d'idées ou de choses abstraites (opposée à l'association de personnes ou d'objets) est une notion qui apparaît en 1751 en psychologie, et en psychanalyse en 1967. L'association libre est une méthode qui consiste à exprimer sans discrimination toutes les pensées qui viennent à l'esprit, soit à partir d'un élément donné (mot, nombre, image d'un rêve, représentation quelconque), soit de façon spontanée.



La libre-association de mots, d'idées ou d'images, et l'écriture automatique sont des procédés de création et d'expression qui permettent aux différents contenus du champ de la conscience (représentations, images, concepts, idées, sentiments, etc.) de s'appeler les uns les autres, sans intervention de la volonté ou même malgré elle. Ces procédés de création et d'expression ont notamment été utilisés par les surréalistes.



Tu te lèves l'eau se déplie

Tu te couches l'eau s'épanouit



Tu es l'eau détournée de ses abîmes

Tu es la terre qui prend racine

Et sur laquelle tout s'établit

...



On appelle surréalisme l'ensemble des procédés de création et d'expression utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient, etc.) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues. C'est un mouvement intellectuel révolutionnaire affirmant la supériorité de ces procédés, qui se développa surtout en littérature et dans les arts plastiques, la peinture, le cinéma...



C'est de très mauvaise foi qu'on nous contesterait le droit d'employer le mot surréalisme dans le sens très particulier où nous l'entendons car il est clair qu'avant nous ce mot n'avait pas fait fortune. Je le définis donc une fois pour toutes :

Surréalisme : automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer (…) le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

D'un point de vue philosophique, le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée.

Extrait de : Manifeste du surréalisme (p. 41-42, 1924), d'André Breton [écrivain français, 1896-1966 ; fonde avec Louis Aragon, Philippe Soupault et Paul Éluard en 1923 le mouvement surréaliste ; loin de s'affirmer par une rupture radicale, le surréalisme tel qu'André Breton en a défini et illustré les ambitions, peut être considéré comme l'aboutissement du romantisme autant que du symbolisme].



...

Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits

Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes e l'arc-en-ciel

Tu es partout tu abolis toutes les routes

...



La création du mon masculin et adjectif surréaliste est attribuée à Guillaume Apollinaire (1917, Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste) ; le mot lui aurait été suggéré par Pierre Albert-Birot [écrivain français, 1876-1967, dont la création la plus étonnante fut le personnage de Grabinoulor] : employé primitivement au sens de surnaturaliste (adepte du surnaturalisme, acceptation du surnaturel), il a pris peu après (1920) une valeur particulière en relation avec un mouvement intellectuel, artistique et littéraire issu de Dada [mouvement artistique et littéraire, nihiliste et fondamentalement subversif créé en 1916 à Zurich par Tristan Tzara entre autres] et qui sera défini sous le terme de surréalisme par André Breton autour de valeurs psychanalytiques et révolutionnaires.



À sa suite, Guillaume Apollinaire créa ou diffusa le premier le nom masculin surréalisme (1917) qui lui serait venu de Marc Chagall [peintre, graveur et sculpteur français d'origine russe, 1887-1985] ou de Pierre Albert-Birot. Le mot, défini et illustré par André Breton dans le Manifeste du surréalisme (1924) comme un « automatisme psychique [exprimant] le mouvement réel de la pensée », resta lié plus que le mot surréaliste à la référence artistique et littéraire.



André Breton est l'auteur de trois Manifestes du surréalisme : le premier s'intitule Manifeste du surréalisme (1924) et il expose la théorie surréaliste ; le deuxième s'intitule Second Manifeste du surréalisme (1929) et il justifie l'adhésion politique du mouvement surréaliste au communisme et au matérialisme historique ; le troisième permet à André Breton de confirmer, depuis New York où il s'est exilé, l'enracinement révolutionnaire du surréalisme, et il est intitulé : Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non (1942). Le mot prolégomènes signifie : introduction, préface, principes préliminaires à l'étude d'une question.



La surréalité (mot créé en 1919 d'après surréalisme) désigne chez les surréalistes la réalité absolue, considérée comme synthèse de la réalité courante (appauvrie par la raison) et de l'inconscient, du rêve. Elle désigne, dans un usage littéraire, ce qui va au-delà de la réalité courante.



Le nom féminin réalité, d'abord reellité (vers 1290), puis realté (XIVe siècle) et réalité (vers 1550), est emprunté, à la suite de réel, au latin médiéval realitas, -atis, dérivé de realis (qui donna réel). Realitas correspond à bien, propriété (1120) et, dans l'usage scolastique (au moyen âge, la scolastique rassemblait la philosophie et la théologie qui étaient enseignées par l'université) désigne le caractère réel de quelque chose, de quelqu'un (vers 1300, John Duns Scot, théologien et philosophe écossais, 1266-1308).

Dans l'usage courant, la réalité correspond à vie réelle, par opposition au rêve, au désir, à la fiction (vers 1700). La psychanalyse freudienne a élaboré un concept qui lui est propre avec principe de réalité (1923), contemporain de principe de plaisir, épreuve de la réalité (1922).



...

Tu sacrifies le temps

À l'éternelle jeunesse de la flamme exacte

Qui voile la nature en la reproduisant

...



Le surréalisme ne remet pas seulement en cause le sujet de l'art ou ses buts. Ce sont les notions mêmes d'artiste ou d’œuvre qui se trouvent ébranlées. Les surréalistes s'écartent de l'idée d'un créateur individuel et identifiable. Il ne s'agit plus d'écrire un texte ni de peindre un tableau selon des méthodes bien définies.

Doit apparaître une chose toujours étrange et nouvelle, destinée à une surréalité, c'est-à-dire à un monde que la raison ne saurait pénétrer. L'analogie, les associations d'idées, la libre-association, l'onirisme et les connotations (une connotation est un sens particulier que prend un mot ou un énoncé en fonction du contexte situationnel) peuvent, seules, y opérer souverainement.



...

Femme tu mets au monde un corps toujours pareil



Le tien



Tu es la ressemblance



Facile, de Paul Éluard [Eugène Grindel dit, poète français, 1895-1952 ; participe aux activités du mouvement Dada ; fonde avec Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton en 1923 le mouvement surréaliste].



L'image surréaliste

Au premier abord, l'image surréaliste semble inclassable. Il est très difficile et souvent impossible de la réduire à un trope (un trope est une figure sémantique portant sur un mot et le faisant changer de sens dans l'histoire, un écart de style de substitution, par exemple : Il a relavé la bête et prêté l'oseille, pour : Il a relevé la tête et prêté l'oreille) ou à une métaphore ou une métonymie. En effet, elle est dépourvue de référent réel : elle ne renvoie pas à un objet, un être, ou une situation reconnaissables. Exemple :

Parfums éclos d'une couvée d'aurores

Qui gît toujours sur la paille des astres

Extrait de : Capitale de la douleur, de Paul Éluard, où couvée d'aurores peut certes être réductible à une métaphore, mais à une image sans référent plausible : Qui gît toujours sur la paille des astres.

Le degré d'arbitraire de l'image surréaliste doit toujours être le plus élevé, sans être total. De plus, la syntaxe est respectée. La réalité de l'image surréaliste doit être seulement psychique, loin de toute isotopie (secteur de la réalité).

L'image surréaliste est une image à prendre à la lettre, car selon des Surréalistes, tenter de la réduire à un trope est dérisoire. Mieux vaut écouter en elle les pulsions inconscientes de l'auteur, ses désirs symboliquement révélés. L'image surréaliste « cogne à la vitre ». Exemple :

La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante

Avidité et contrainte s'étaient réconciliées

Le château de Maubec s'enfonçait dans l'argile

Extrait de : Évadné, de : Fureur et mystère, de René Char [poète français, 1907-1988]. Au lieu de chercher des métaphores, il faut admettre l'appétit de la campagne (La campagne mangeait), la présence de la jupe et de l'avidité, symboles du désir, la beauté visuelle du château qui sombre (Le château de Maubec s'enfonçait dans l'argile).



> Extraits de Soleil de nuit (1936-1977, pp. 64 et 194-195) de Jacques Prévert, où quelques images surréalistes sont en majuscule.



Le Strict superflu (1946 ?)



Un beau jour

Les hommes qui fabriquent mangeront à leur faim

Et ce qu'ils mangeront sera bon

très bon

pas BON COMME LA ROMAINE

ou BON POUR LE SERVICE

mais simplement BON

COMME LE BON PAIN

Un beau jour

Les hommes qui fabriquent dormiront leur content

et ils auront de beaux rêves

de belles amours

et des draps blancs

et de grandes orgues de Barbarie

qui marcheront au quart de tour

et qui joueront tous les jours

les plus beaux airs du monde

et

les plus difficiles

Parce qu'un jour

les hommes qui fabriquent

connaîtront enfin la musique



***



Un homme vient d'entrer... (1972 ?)



Paris

Mil neuf sans soixante douze



937 après J.-C.



Un homme vient D'ENTRER SANS FRAPPER, SANS SE FRAPPER, DANS SA SOIXANTE-DIXIÈME ANNÉE.

- Bonjour !

- Quel temps fait-il ?

- IL FAIT VITE, mais si le cœur vous en dit il peut REVENIR SUR SES PAS. LE TEMPS, LES ANNÉES SONT DEDANS MAIS AILLEURS EN MÊME TEMPS.

L'homme qui vient d'entrer et qui retrouve des amis a le sourire aux lèvres, ses amis ont le même, celui de l'amitié.

Pas l'amitié « virile » des camps et des casernes, la nostalgique fraternité des héros épargnés par la der des ders.

Non, l'amitié comme l'amour, la chance, le vin, la mer ou le travail heureux, accepté, partagé.

Et l'homme, Steph Simon, c'est son nom, a mis CARTES SUR TABLE, CARTES DU TENDRE où LES COUPS DURS SONT À DEMI EFFACÉS, CARTES MARINES de son quartier.

Et il fait le point.

Phares de Saint Germain de Flore ou de Saint Tropez des Prés. Quais des cinq Pères, des Quatre mers et petit Havre des Six-Eaux.

Sur les berges du boulevard saint Parking l'ombre des ARBRES CONDAMNÉS, EXÉCUTÉS, SANS LE MOINDRE PETIT TOCSIN POUR ANNONCER LE MASSACRE, caresse encore la mémoire des passants qui savaient, qui pouvaient passer, mais la rue de Rennes est en rade depuis qu'on a chassé le Dragon de sa cour et madame la Gare de l'Ouest, chaque jour, monte à sa tour.

Pour voir venir.

Venir quoi ? Les regrets du passé, les espoirs de demain passent dans le même broyeur de ferrailles et de fleurs, de beautés et d'horreurs. Aujourd'hui la vie est ainsi faite, À CE QU'IL PARAÎT, DISPARAÎT, REPARAÎT mais toujours elle est aussi fête et il convient de la souhaiter.

70 années et celui qui est fêté quand on lui parle du « troisième âge » ce new-look de la longévité, LE FOU RIRE LE PREND ET LE GARDE un bon petit bout de temps. Il sait bien qu'il n'y a pas tellement loin DU SIÈCLE DES LUMIÈRES À CELUI DU NÉON et TRÈS LOIN EST SI PRÈS et AUSSITÔT SI TARD qu'il n'est pas plus facile de GARDER SES DISTANCES que de GARDER SON SÉRIEUX.

Autant chercher le quart d'heure de Rabelais dans les vingt-quatre heures du Mans ou dans le septième discours sur la Méthode la quatrième dimension de la quadrature du cercle de la cinquième roue du carrosse du Saint-Sacrement.

Chacun navigue à sa manière, lui sur son Bourru III d'autres sur leur sous-marin nucléaire.

Sa manière est la bonne et beaucoup la préfèrent.



> Exercices et consignes d'écriture.



En reprenant les mots utilisés par Jacques Prévert pour créer ses images surréalistes (mots en majuscule) ou en choisissant des mots au hasard dans le poème et/ou dans le texte cités ci-avant, utiliser la libre-association et l'écriture automatique pour créer vos propres images littéraires.

L'écriture automatique : il faut écrire rapidement, au fil de la plume, sans volonté préconçue, sans préjuger de la suite, de la cohérence ou du sens général. Un défilé d'images issues du subconscient s'impose vite à « l'auteur » qui est autant le créateur que le scripteur de l'histoire.

La syntaxe doit être respectée (la phrase doit avoir un sens, les mots-valise ou les néologismes doivent être employés avec parcimonie, etc.).



Avec les mots suivants : paraître, disparaître, reparaître, mettre cartes sur table, revenir sur ses pas, faire un pas en avant, pas chassé, au quart de tour, la demie de l'heure, faire les quatre cents coups, une once de générosité, la quatrième dimension ; cela pourrait donner ceci :



Il paraît qu'il a disparu par une chaude nuit d'été odorante. Pour ne plus reparaître, ou alors si peu, pour se repaître de l'ancien spectacle. Sur la scène de l'amour où vit encore sa famille, sa famille d'avant sa disparition, c'est encore le bonheur, malgré sa disparition. Ou grâce ? à sa disparition.

Il paraît qu'il a disparu, mais lui, il a encore l'impression d'être toujours là.

Alors, un jour, il met cartes sur table. Il dispose le jeu de sa vie sur la grande table longue du salon, celle en bois brut de merisier. Il revient sur ses pas, il fait des pas chassé qui le mènent jusqu'à leur première rencontre : elle et lui sous un cerisier en fleur, c'était le printemps, le printemps de leur amour, un amour de jeunesse. Un pas en avant et c'est un enfant qui naît. Un autre pas en avant et c'est un poste de travail pour elle. Encore un et c'est un deuxième enfant. Et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui, jusqu'au jour de sa disparition.

Le décor est planté, le spectacle peut se jouer. C'est la vie qui se joue de lui, c'est son impression à lui, est-il un peu perdu ? c'est que les règles du jeu – de cartes – ont changé. À quel nouveau jeu joue-t-on ? pourrait-il se demander. Il ne le fait pas. Il paraît qu'il a disparu, mais lui n'en a pas conscience.

La scène de sa vie est belle, pourtant, rien à y redire. Tout part au quart de tour : le bonheur, la joie, la beauté, les bons moments, les instants rares, tout pousse, tout éclot, tout scintille... Pas besoin de faire les quatre cents coups pour obtenir une once de générosité, quand sonne la demie de l'heure pas besoin de la quatrième dimension, tout prend forme, tout prend vie. Mais ça, c'était avant. Avant qu'il ne disparaisse... Maintenant, c'est l'hiver, l'hiver de sa vie.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire. Par exemple, pour l'oxymoron, voir la bibliographie à la fin de l'Atelier n°23, publié le lundi 13 mai 2013.



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> PRÉVERT Jacques. Soleil de nuit : recueil de poèmes. Paris : Gallimard, 1980. 303 p.



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

. . . . . . . . . e n l i g n e . . . . . . . . .



¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire