jeudi 1 mai 2014

Atelier d'écriture X avec Le Savon de Francis Ponge


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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

. . . . . . . . . e n l i g n e . . . . . . . . .



Atelier d'écriture X



La polysémie avec Le Savon

de Francis Ponge



Sommaire



> Extrait de Le Savon (1967) de Francis Ponge, pp. 28-32.

> Qui était Francis Ponge ?

> Que raconte Le Savon ?

> Qu'est-ce que la polysémie ?

> Extrait de Le Savon (1967, pp. 28-32) de Francis Ponge, où certains mots polysémiques sont mis en majuscule.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de Le Savon (1967) de Francis Ponge, pp. 28-32.



*

En raison des qualités de cet objet, il me faut développer cela quelque peu, le faire mousser à vos yeux.

*

Coligny, juin 1943.

Thème abstrait (notion de toilette intellectuelle).

Si je voulais montrer que la pureté ne s'obtient pas par le silence, mais par n'importe quel exercice de la parole (dans certaines conditions, un certain petit objet dérisoire tenu en mains), suivi d'une catastrophe subite d'eau pure,

Quel objet conviendrait-il mieux que le savon ?



*



Violente envie de faire toilette.

Cher lecteur, je suppose que tu as parfois envie de faire toilette ?

Pour ta toilette intellectuelle, lecteur, voici un texte sur le savon.



*

Coligny, juin 1943.

Voici donc, cher lecteur, pour ta toilette intellectuelle (si tu es de mes amis, tu en sens parfois impérieusement le besoin), voici un petit morceau de vrai savon.

C'est que l'homme, en effet, ne peut se décrasser à l'eau simple, serait-ce sous des torrents à s'y noyer, ni au vent frais, si parfumé soit-il, ni par le silence, ni par la prière (serait-ce, dans le Jourdain, immergé jusqu'à la ceinture), ni par le suicide en la plus noire source (malgré toutes sortes de préjugés courant là-dessus).

Il y faut – et il y suffit, mais il y faut – dans la main (dans la bouche) quelque chose de plus matériel et peut-être de moins naturel, quelque chose d'artificiel et de volubile, quelque chose à la fois qui se déploie, se développe et qui se perde, s'exténue dans le même temps. Quelque chose qui ressemble beaucoup à la parole employée dans certaines conditions...

En un mot : un petit morceau de savon.



*



Il y faut ce noyau de brouillard azuré. Ce tourbillon de très fragiles sphères.

Cette prestigieuse (prestidigiticieuse) mise en scène derrière laquelle disparaît la mémoire.

La mémoire de toute saleté se dissout et certainement la plus mauvaise solution en cette matière, consiste à ce que votre idée fixe ou celle de vos parents vous mène en laisse à vous tremper, les bras en croix, dans quelque fade affluent de la Mer Morte.

Peau neuve ! Place nette !

*

Coligny, juillet 1943.

Cet œuf, cette plate

limande,- cette petite

amande, qui se

développe si rapidement

(presque instantanément)

en poisson chinois

Avec ses voiles, ses kimonos

à manches larges

Elle fête ainsi son mariage

avec l'eau. Telle est sa robe de mariée avec l'eau.



*

On n'en finirait plus,

avec le savon !

...Il faut pourtant le rendre à sa soucoupe, à sa stricte apparence, à son ovale austère, à sa patience sèche et à son pouvoir de resservir.



*

Coligny, le 6 juillet 1943.

Thème (sec et modeste dans sa soucoupe) et variations (volumineuses et nacrées) sur

LE SAVON (suivi d'un paragraphe de rinçage à l'eau simple).

Pour la toilette intellectuelle, un petit morceau de savon, bien manié, suffit. Où des torrents d'eau simple ne décrasseraient rien.



> Qui était Francis Ponge ?



Poète, essayiste et critique d'art français (1899-1988), Prix international de poésie en 1959 ; reconnaissant aux choses une primauté ontologique, percevant d'abord l'autonomie de leur existence, et en élaborant ces descriptions minutieuses et objectives du coquillage, de la bougie, de l'orange, de l'escargot ou du papillon, l'auteur rejette les techniques surréalistes et ouvre les plus grands perspectives à une réflexion sur le langage qui devient l'objet de la poésie.

Poète écrivain avec Douze petits écrits (1926), Le Parti pris des choses (1942), Proêmes (1948), Le Grand recueil : Lyres (I), Méthodes (II), Pièces (III) (1961), Le Savon (1967), etc.

Poète essayiste avec Pour un Malherbe (1965), Comment une figue de paroles et pourquoi (1977), L'Écrit Beaubourg (1977).

Poète critique d'art avec Le Peintre à l'étude (1950), De la nature morte et de Chardin (1964), etc.

Avec La Fabrique du pré (1971), Francis Ponge s'est appliqué à dire tout l'itinéraire qui va du prétexte à l’œuvre terminée, introduisant le brouillon, la retouche, la réflexion critique, le texte « dans tous ses états » pour s'affirmer un écrivain toujours « plus enragé d'expression », mais aussi un artiste qui fait de l'humour un moyen de percevoir le monde.



> Que raconte Le Savon ?



Francis Ponge écrit :



Début du livre.

Le lecteur, d'emblée, soit prié (il comprendra très vite pourquoi) – nous voulons dire : pour le décollage – de ses doter, par l'imagination, d'oreilles allemandes.

Et qu'il en use encore, de loin en loin, chaque fois – sans que nous ayons autrement à le signaler – que nous aborderons quelque perturbation destinée plutôt à l'écoute : ces passages à ses yeux se rencontrant toujours sous forme de nébulosités cursivement inclinées vers la droite (ou disons, tandis que nous roulons encore sur une piste de Babel : en italique).

Dès que notre SAVON aura été placé sur orbite, toute sujétion de cet ordre cessera.

[...]

Mesdames et Messieurs, voici donc les premières notes, que j'ai jetées sur le papier en avril 1942, à Roanne, petite ville du centre de la France, où nous étions, ma famille et moi, comme on disait alors, repliés – ou réfugiés.

Nous étions donc, alors, en pleine guerre, c'est-à-dire en pleines restrictions, de tous genres, et le savon, le vrai savon, en particulier, nous manquait. Nous n'avions que de mauvais ersätze – qui ne moussaient pas du tout.

Peut-être cela fut-il une des raisons, inconsciente, de ce qu'il me faut bien appeler mon inspiration du savon, en avril 1942... ?

Mais voici ces premières notes – et à partir d'ici, je ne vais plus m'arrêter...

Plus de commentaires...

LE SAVON, le savon seulement !

LE SAVON, Roanne, avril 1942.

Si je m'en frotte les mains, le savon écume, jubile...

Plus il les rend complaisantes, souples,

liantes, ductiles, plus il bave, plus

sa rage devient volumineuse et nacrée...

Pierre magique !

[…]

Là-dessus, les circonstances de l'époque nous obligèrent à quitter Roanne, et je me retrouve, au chapitre suivant, dans un village au nord de Lyon, à Coligny.

Coligny, le 3 juin 1943.

Il n'est dans la nature rien de pareil au savon. Point de pierre aussi glissante, et dont la réaction entre vos doigts – si vous avez réussi à l'y maintenir en l'agaçant avec de l'eau – soit une bave aussi volumineuse et nacrée, consiste en tant de grappes de si pléthoriques bulles.

[…]

Coligny, juin 1943.

Thème abstrait (notion de la toilette intellectuelle).

[…]

Prélude en saynète ou momon.

Coda en dialogue.

Coligny, du 17 au 22 juillet 1946.

L'exercice du savon. Prélude. Du savon sec avant l'emploi. De la confusion spontanée du savon dans les eaux tranquilles. De l'eau savonneuse et des bulles de savon. Rinçage. Appendices : variante de l'adresse, proême, nouveaux travaux pour le savon, les mots, la chose, […]

Paris, le 3 janvier 1965. Fin du livre.



> Qu'est-ce que la polysémie ?



La notion de polysémie a été abordée lors d'ateliers d'écriture sur le calembour, le télescopage, et les notions de dénotation-connotation, intitulés :

=> Dénotation-connotation, monosémie et polysémie (atelier n°26, jeudi 30 mai 2013)

=> J'emporte un mot-valise, tu crées un néologisme, il (elle) fait un calembour (atelier n°38, samedi 15 septembre 2012)

=> La dissociation, le télescopage, l'haplologie et l'inconséquence (atelier n°50, samedi 24 novembre 2012)



La polysémie

Un mot peut avoir un seul sens (monosémie) ou plusieurs sens (polysémie).

Un mot est polysémique lorsqu'il porte au moins deux significations (par exemple : pétiller, qui signifie aussi bien Faire des petits bruits secs et répétés comme dans : « Le feu pétille dans la cheminée », que Faire des petites bulles de gaz comme dans : « Cette boisson pétille trop, ça pique ! », ou encore que Briller d'un vif éclat comme dans « Ses yeux pétillent de bonheur ».



Le mot « polysémie » a été créé par Michel Bréal en 1897 [linguiste français, 1832-1915, secrétaire de la Société de linguistique de Paris en 1868], de poly- (nombreux, abondant) d'après le grec polusêmos (dont le sens est : qui a de nombreuses significations) pour « caractère d'un signe unique, de même étymologie, qui a plusieurs significations, plusieurs signifiés ». « Polysémie » et « polysémique » (adjectif apparu en 1932) se sont diffusés dans l'usage didactique (dans la langue des sciences et des techniques, qui vise à instruire) avec les discussions lexicographiques sur la polysémie et l'homonymie, vers 1960.

Ce concept est à différencier du concept de l'homonymie (l'homonymie est ce qui concerne deux signes différents de même forme). Par exemple avec le mot « mine » : mine (de crayon) et mine (d'or), tous deux issus du gallo-romain mina, relèvent de la polysémie ; tandis que mine (d'or) et mine (du visage) relèvent de l'homonymie, car mine (du visage) est issu du breton min.



Le concept de polysémie s'inscrit donc dans un double système d'oppositions : l'opposition entre polysémie et homonymie (par exemple : dessin et dessein qui malgré une étymologie commune sont traités en pratique comme deux unités distinctes, donc comme des homonymes ; ou encore LE pendule et LA pendule, le pot et la peau, etc.), et l'opposition entre polysémie et monosémie : cette deuxième opposition est semblable à l'opposition mot/terme, où le mot emprunté au vocabulaire en général peut être polysémique, et où le même mot devient un terme, avec une seule signification, par exemple dans une terminologie scientifique (exemple avec le mot polysémique fer = métal, objet, matière, qui devient en chimie le terme monosémique fer, symbolisé Fe).



On distingue trois types de polysémie :



> Premièrement, la polysémie par dénotation, lorsqu'un mot offre plusieurs sens dénotés (exemples : croissant = quartier de lune - pâtisserie feuilletée en forme d'arc de cercle ; peuple = ensemble des habitants d'un même pays - ensemble des citoyens de condition modeste).



> Deuxièmement, la polysémie par addition d'un sens dénoté (sens premier, objectif) et d'une ou plusieurs connotations (sens seconds, subjectifs). Exemple : or = métal précieux, monnaie - Affaire en or (affaire très avantageuse) - Âge d'or (époque de bonheur) - À prix d'or (très cher) - Cœur d'or (personne généreuse) - Livre d'or (recueil de signatures), etc.



> Troisièmement, la polysémie par écart de style, lorsque l'écart consiste en une substitution d'un mot par un autre, que le mot exprimé perd son sens dénoté (objectif) pour prendre celui du mot remplacé, et que ses connotations sont les siennes propres et celles du mot remplacé. Exemple : dans l'expression « L'offensive du froid » qui désigner une chute brusque de la température de l'air, le terme offensive perd son sens dénoté (attaque contre quelqu'un ou quelque chose), capte celui de forte poussée, et se charge des connotations de l’agressivité guerrière et de la rapidité.



On peut utiliser la polysémie d'un mot pour construire des jeux de mots (le calembour, le télescopage), pour effectuer des glissements sémantiques ou isotopiques, lorsqu'on passe du concret à l'abstrait (et vice-versa) ou lorsqu'on passe d'une réalité à une autre (le zeugme sémantique, le calembour).



Le télescopage

Le télescopage est une sorte de syllepse sémantique, par exemple : « Elle saute le pas en sautant par-dessus la haie », on utilise la polysémie d'un mot (plusieurs sens possibles) pour contracter deux phrases en une seule.

Exemple : « L'enfant ne comprend pas un piètre-mot à toutes ces homélies‑mélo », où homélies-mélo = homélies + méli-mélo + mélodramatique.



Le calembour

Un calembour est un « jeu de mots fondé soit sur une similitude de sons, homophonie, recouvrant une différence de sens, équivoque ou double-sens, ambigu, soit sur des mots pris à double sens ».



On le construit par substitution de phonèmes (sons), ou par homonymie (mots phonétiquement identiques mais de sens différents), ou par homophonie (phrases phonétiquement identiques mais de sens différents), ou en exploitant la polysémie (plusieurs sens) de certains mots.



Le calembour construit par substitution de phonèmes : on l'obtient en substituant à un ou plusieurs sons d'un mot un ou plusieurs autres sons. Par exemple : « le sacre en poudre » (pour « le sucre en poudre ») ; La substitution du A au U entraîne l'apparition d'un nouveau mot et d'une nouvelle phrase : connotations du mot sacre : « un sacre en poudre » est un sacre peu réussi, qui part en poussière.

Parfois, ce mécanisme introduit un néologisme. Ainsi, un merdrigal est un madrigal (courte pièce de vers exprimant une pensée ingénieuse et galante) irrévérencieux de L.-P. Fargue.



Le calembour construit par homonymie : par exemple, avec les mots ton et thon, on obtient : « changez de thon ! », avec pain et pin : « il a mangé tout son pin blanc parasol », avec serein et serin : « M. de Bièvre disait que le temps était bon à mettre en cage, c'est-à-dire serein », etc.



Le calembour construit par homophonie est obtenu lorsqu'une suite de phonèmes peut être découpée de deux ou de plusieurs façons, en donnant des énoncés différents. Par exemple : « La gare, c'est là » et « La garce est là », ou encore : « Rien ne m'intéresse » et « Rie, en aimant, Thérèse » (R. Desnos), ou bien : « Vocalise » et « Le veau qu'a Lise ».



Le calembour produit par la polysémie (plusieurs sens) d'un mot provoque le passage d'une isotopie à une autre isotopie (une isotopie est l'ensemble des champs lexicaux et sémantiques qui renvoient à une seule compréhension des ambiguïtés d'un texte), par exemple, l'isotopie « concret » permet de comprendre l'énoncé suivant : « Les Californiens craignent les avocats véreux », comme : « craignent les fruits nommés avocats lorsqu'ils ont des vers », car ce ne sont pas les avocats, en tant que personne, qui ont des vers, mais bien les fruits.

Autres exemples : « On a volé tes sabots ? - Oui, c'est le cheval ! », « Tout facteur est un homme de lettres » (différence de sens entre les Lettres = la littérature, et les lettres = le courrier).



Les calembours ont comme effets : la rupture isotopique (par le passage d'un univers à un autre, d'un secteur du réel à un autre) ; et la rupture comique, car très souvent, la rupture isotopique entraîne le rire et l'humour.



Le zeugme

Le mot a une racine indo-européenne « yug », comme le latin « jugum », qui signifie « joug », et il est le dérivé de « zeugnunai » (unir, joindre, mettre sous le joug). Il est emprunté au bas-latin des grammairiens qui reprend le grec « zeugma » (lien, joug, au figuré : jonction). Il est d'abord adapté en « zeume » sans « g » (vers 1380), puis refait en « zeugme » (1765), « zeugma » (1808).



Le zeugme, ou le zeugma, est un terme de rhétorique, ou une figure d'élocution. Le zeugme a lieu quand un mot, déjà exprimé dans une proposition, est sous-entendu dans une autre proposition analogue à la première et attachée à celle-ci.

Le zeugme est simple quand le mot sous-entendu est exactement celui qui a été exprimé ; dans l'exemple : « J'embrasse mon père, ma mère, mes frères et mon pays », « j'embrasse » est sous-entendu avant « ma mère », avant « mes frères » et avant « mon pays ».

Le zeugme est composé si le mot sous-entendu n'est pas absolument celui qu'on a déjà vu ; dans l'exemple : « Le boulanger va se coucher et les pains au chocolat et les croissants aux gourmands », « va » fait sous-entendre « vont » après « croissants ».



Il existe, par ailleurs, deux types de zeugme : le zeugme grammatical, que nous venons de voir (le simple et le composé, qui tous deux juxtaposent deux constructions hétérogènes), et le zeugme sémantique, qui juxtapose deux réalités hétérogènes.

Un zeugme sémantique, c'est par exemple : « Il a attrapé le sucre et un rhume ». C'est un zeugme très facile à réaliser car il joue sur les deux sens du mot « attraper », le sens figuré et le sens propre. Ou encore : « Un crumble, c'est quoi ? C'est bon », ou bien : « Soldats de Fontenoy, vous n'êtes pas tombés dans l'oreille d'un sourd » (Jacques Prévert), l'auteur joue sur la polysémie du verbe « tomber » : on peut tomber à la guerre, c'est-à-dire mourir, ou tomber dans l'oreille d'un sourd, qui se dit des paroles dites à une personne qui n'en tient pas compte.



> Extrait de Le Savon (1967, pp. 28-32) de Francis Ponge, où certains mots polysémiques sont mis en majuscule.



*

En RAISON (entendement, bon sens, argument, honnête, logique, naturel, cause, réparation)

des QUALITÉS (attribut, caractère, choix, richesse, spécificité, avantage, talent, valeur, fonction, métier, perfection)

de cet objet, il me faut DÉVELOPPER (allonger, approfondir, démontrer, exposer, former)

cela quelque peu, le FAIRE MOUSSER (produire de la mousse, avoir l'aspect de la mousse, vanter, faire valoir, mettre en colère quelqu'un, le faire écumer de rage)

à vos yeux.

*

Coligny, juin 1943.

Thème abstrait (notion de TOILETTE INTELLECTUELLE).

Si je voulais montrer que la pureté ne s'obtient pas par le silence, mais par n'importe quel exercice de la parole (dans certaines conditions, un certain petit objet dérisoire tenu en mains), suivi d'une catastrophe subite d'eau pure,

Quel objet conviendrait-il mieux que le savon ?



*



Violente envie de faire TOILETTE (nettoiement, blanchiment, lavage, ménage, éclaircir, vêtement, garde-robe, accoutrement, enveloppe).

Cher lecteur, je suppose que tu as parfois envie de faire toilette ?

Pour ta toilette intellectuelle, lecteur, voici un texte sur le savon.



*

Coligny, juin 1943.

Voici donc, cher lecteur, pour ta toilette intellectuelle (si tu es de mes amis, tu en sens parfois impérieusement le besoin), voici un petit morceau de vrai savon.

C'est que l'homme, en effet, ne peut se décrasser à l'eau simple, serait-ce sous des torrents à s'y noyer, ni au vent frais, si parfumé soit-il, ni par le silence, ni par la prière (serait-ce, dans le Jourdain, immergé jusqu'à la ceinture), ni par le suicide en la plus noire source (malgré toutes sortes de préjugés courant là-dessus).

Il y faut – et il y suffit, mais il y faut – dans la main (dans la bouche) quelque chose de plus matériel et peut-être de moins naturel, quelque chose d'artificiel et de volubile, quelque chose à la fois qui se déploie, se développe et qui se perde, s'exténue dans le même temps. Quelque chose qui ressemble beaucoup à la PAROLE (assurance, compliment, discours, engagement, expression, mot, langage, outrage, promesse, propos, sentence, voix, foi, conviction, confiance, injure, outrage)

employée dans certaines conditions...

En un mot : un petit morceau de savon.



*



Il y faut ce NOYAU (centre, cœur, milieu, point, base, capitale, pivot, origine, cause, début, germe, motif, racine, principe, source, commencement, naissance, groupe, cellule, équipe, attroupement, bande, amas, essaim, fournée, grappe, famille, orchestre, parti, cercle)

de BROUILLARD (brume, embrun, nuage, obscurité, brouillon)

azuré. Ce tourbillon de très fragiles sphères.

Cette prestigieuse (prestidigiticieuse) mise en scène derrière laquelle disparaît la MÉMOIRE (empreinte, réminiscence, savoir, souvenir, trace, rappel, évocation, mention, mobilisation, commémoration, anniversaire, célébration, fête, réputation, considération, estime, notoriété, popularité, renommée).

La mémoire de toute saleté se dissout et certainement la plus mauvaise solution en cette matière, consiste à ce que votre idée fixe ou celle de vos parents vous mène en laisse à vous tremper, les bras en croix, dans quelque fade affluent de la Mer Morte.

Peau neuve ! Place nette !

*

Coligny, juillet 1943.

Cet œuf, cette plate

limande,- cette petite

amande, qui se

développe si rapidement

(presque instantanément)

en poisson chinois

Avec ses voiles, ses kimonos

à manches larges

Elle fête ainsi son mariage

avec l'eau. Telle est sa robe de mariée avec l'eau.



*

On n'en finirait plus,

avec le savon !

...Il faut pourtant le rendre à sa soucoupe, à sa stricte apparence, à son ovale austère, à sa patience sèche et à son pouvoir de resservir.



*

Coligny, le 6 juillet 1943.

Thème (sec et modeste dans sa soucoupe) et variations (volumineuses et nacrées) sur

LE SAVON (suivi d'un paragraphe de rinçage à l'eau simple).

Pour la toilette intellectuelle, un petit morceau de savon, bien manié, suffit. Où des torrents d'eau simple ne décrasseraient rien.



> Exercices et consignes d'écriture.



Choisir plusieurs mots polysémiques mis en majuscule dans l'extrait de texte précédent, puis composer un court récit en utilisant (dans le même texte) les différents sens des mots polysémiques choisis.



Avec : QUALITÉS (attribut, caractère, choix, richesse, spécificité, avantage, talent, valeur, fonction, métier, perfection), FAIRE MOUSSER (produire de la mousse, avoir l'aspect de la mousse, vanter, faire valoir, mettre en colère quelqu'un, le faire écumer de rage), TOILETTE (nettoiement, blanchiment, lavage, ménage, éclaircir, vêtement, garde-robe, accoutrement, enveloppe), NOYAU (centre, cœur, milieu, point, base, capitale, pivot, origine, cause, début, germe, motif, racine, principe, source, commencement, naissance, groupe, cellule, équipe, attroupement, bande, amas, essaim, fournée, grappe, famille, orchestre, parti, cercle), et MÉMOIRE (empreinte, réminiscence, savoir, souvenir, trace, rappel, évocation, mention, mobilisation, commémoration, anniversaire, célébration, fête, réputation, considération, estime, notoriété, popularité, renommée)



cela pourrait donner ceci :

Vert de rage, il s'est fait moussé pendant de longues minutes par le gérant. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il ne se serait pas laissé faire. D'habitude il réagit immédiatement à la provocation. Avec ses poings, avec sa force, avec violence. Avec sa petite amie, pas question de réagir avec agressivité. Sans se vanter, mettre en colère quelqu'un, c'est sa spécialité. Question de mémoire. Sa garde-robe, sa toilette sont ses racines. Ni très propres, ni trop sales, tout est une question d'orchestration.

Dans son métier, il valait mieux faire écumer de rage l'autre que se faire mousser. Au centre des affaires, au cœur à la base à l'origine de son talent, il y avait la discrétion. La discrétion et la réputation. La discrétion qui amena la réputation, la réputation qui le conduisit au seuil de la considération, la considération qu'il fait fructifier en réminiscence et en commémoration.

Il change de toilette chaque matin. Il fait sa toilette chaque soir avant de se coucher aux côtés de sa petite amie. Il bazarde l'accessoire, il ne garde que l'essentiel : la mémoire.

Etc.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :

=> Remarque : la bibliographie qui suit donne les références des ouvrages consultés pour rédiger le contenu des ateliers hebdomadaires et mensuels.

Pour connaître plus précisément le numéro de la page qui traite de la notion recherchée, consulter la bibliographie qui se trouve à la fin de chaque atelier hebdomadaire.



> BERTAUD DU CHAZAUD Henri, 1999. Dictionnaire de synonymes et contraires. Paris, Le Robert (Collection Les usuels).



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée, [et al.], 1999. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris, Larousse.



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément.



> NIOBEY Georges (dir.), 1997. Dictionnaire analogique, Paris, Larousse (Références Larousse).



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> PEYROUTET Claude, 1994. Style et rhétorique. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan).



> PONGE Francis. Le Savon. Paris : Gallimard, 1992. 128 p.



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol.



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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atelier d'écriture et publication

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