mardi 24 juin 2014

Atelier d'écriture XII, avec Delphine de Mme de Staël






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L a P U B L i a n c e

atelier d'écriture et publication

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Atelier d'écriture XII



Le romantisme en France avec Delphine de Mme de Staël



Sommaire



> Extrait de Delphine (1802) de Mme de Staël, t. 1, pp. 279-281 et t. 2, pp. 1-4.

> Qui était Mme de Staël ?

> Que raconte Delphine ?

> Un grand courant littéraire : le romantisme en France.

> Extrait de Delphine (1802, t. 1, pp. 279-281 et t. 2, pp. 1-4.) de Mme de Staël, où les mots traduisant la sensibilité du « moi » sont en majuscule.

> Exercices et consignes d'écriture.



***



> Extrait de Delphine (1802) de Mme de Staël, t. 1, pp. 279-281 et t. 2, pp. 1-4.



T. 1, lettre XXXVIII.

Léonce à M. Barton.

Paris, ce 14 juillet [1790].



Je vous ai mandé ma résolution : sachez à présent que je suis marié, oui, depuis hier, à Matilde, je suis marié ; je vous ai épargné tout ce que j'ai souffert ; pourquoi mêler à vos douleurs les inquiétudes de l'amitié ? Mais il faut cependant, si je ne veux pas devenir fou, que je vous confie une seule chose ; et que direz-vous de moi si ce secret impossible à garder, est une apparition, un fantôme, une chimère ? Voilà ce qu'est devenu votre misérable ami, voilà dans quel état elle m'a jeté par sa perfidie.

Je savais hier que madame d'Albémar était à Bellerive, s'occupant de son départ pour Lisbonne ; je le savais, hé bien, au milieu de la cérémonie imposante, qui pour jamais disposait de mon sort ; dans cette église, où la fierté, le devoir, la volonté de ma mère m'ont entraîné, j'ai cru voir, derrière une colonne, madame d'Albémar couverte d'un voile blanc ; mais sa figure s'offrit à mes regards si pâle et si changée, que c'est ainsi que son image devrait m'apparaître après sa mort. Plus je fixais les yeux sur cette colonne, plus mon illusion devenait forte, et je crus que mon nom et le sien avaient été prononcés par sa voix, que j'entends souvent, il est vrai, quand je suis seul.

Madame de Vernon s'approcha de moi, et me rappela doucement à ce que je devais à Matilde ; je me levai pour prononcer le serment irrévocable, à l'instant même je vis cette même ombre s'avancer, étendre la main, et mon trouble fut tel qu'un nuage couvrit mes yeux. Je fis cependant un nouvel effort pour examiner cette colonne, dont j'avais cru voir sortir l'image persécutrice de ma vie ; mais je n'aperçus plus rien, l'effet des lumières dans cette vaste église, et mon imagination agitée avaient sans doute créé cette chimère.

Mon silence et mon trouble, cependant, embarrassaient Matilde ; je me hâtai de dire oui, comme dans l'égarement d'un rêve. Mon âme toute entière était ailleurs, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a regretté : indigne faiblesse ! Delphine m'a trompé, la nature n'a plus rien de vrai.

Vous saurez une fois, si je puis raconter ces derniers jours, sans tomber dans des accès de rage et de douleur, vous saurez une fois tout ce qui s'est passé. Mais ce fantôme blanc, hier, qu'était-il ? Je le vois encore... Ah ! mon ami, quand vous serez guéri, venez, j'ai plus besoin de vous que dans les débiles jours de mon enfance ; ma raison est sans force, et je n'ai plus d'un homme que la violence des passions.

Fin du premier volume.



T. 2, lettre I.

Mademoiselle d'Albémar à Delphine.

Montpellier, 20 juillet 1790.



Après avoir reçu votre lettre, j'ai passé le jour entier dans les larmes, et je peux à peine voir assez pour vous écrire, tant mes yeux sont fatigués de pleurer. Ma chère enfant, à quelles douleurs vous avez été livrée ! ah ! que n'étais-je là pour exprimer ma haine contre les méchants, et pour consoler la bonté malheureuse ! Je m'étais attachée à Léonce, je le regardais déjà comme un époux, comme un ami digne de vous ; il a été capable d'une telle cruauté ; il a volontairement renoncé à la plus aimable femme du monde, parce qu'il avait à lui reprocher une faute, dont toutes les vertus généreuses étaient la cause ; une faute, comme les anges en commettraient, s'ils étaient témoins des faiblesses et des souffrances des hommes.

Sans doute, madame de Vernon n'a point su vous défendre ; je vais plus loin, et je la soupçonne d'avoir empoisonné l'action qu'elle était chargée de justifier ; mais ce n'est point une excuse pour Léonce. Celui que vous aviez daigné préférer, devait-il avoir besoin d'un guide pour vous juger ? Non, il ne vous a jamais aimée, il faut l'oublier et relever votre âme par le sentiment de ce que vous valez ; ma chère Delphine, la vie n'est jamais perdue à vingt ans, la nature dans la jeunesse vient au secours des douleurs, les forces morales s'accroissent encore à cet âge, et ce n'est que dans le déclin que sont les maux irréparables.

J'ose vous le conseiller, quittez pour quelque temps le monde, et venez auprès de moi ; je l'entrevois confusément ce monde, mais il me semble qu'il ne suffit pas de toutes les qualités du cœur et de l'esprit pour y vivre en paix ; il exige une certaine science qui n'est pas précisément condamnable, mais qui vous initie cependant trop avant dans le secret du vice, et dans la défiance que les hommes doivent inspirer. Vous avez l'esprit le plus étendu, mais votre âme est trop jeune, trop prompte à se livrer ; mettez votre sensibilité sous l'abri de la solitude, fortifiez-vous par la retraite, et retournez ensuite dans la société ; si vous y restiez maintenant, vous ne guéririez point des peines que vous avez éprouvées.

Venez goûter le calme, venez vous reposer par l'absence des objets pénibles, et par la suspension momentanée de toute émotion nouvelle ; ce tableau sans couleurs n'a rien d'attirant, mais à la longue, une situation monotone fait du bien ; si les consolations qu'il fait puiser en soi-même ne sont pas rapides, leur effet au moins est durable.

Je ne vous parle point de mon affection, c'est avec timidité que je la rappelle, quand il s'agit des peines de l'amour ; cependant une fois, je l'espère, votre âme tendre y trouvera peut-être encore quelque douceur.



> Qui était Mme de Staël ?



Mme de Staël (Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de), écrivain français (1766-1817), est l'auteure de : Lettres sur le caractère et les écrits de Jean-Jacques Rousseau (1788), Sophie ou les Sentiments secrets : pièce de théâtre (1790), Jane Gray : pièce de théâtre (1790), Zulma : nouvelle (1794), De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), Du caractère de M. Necker et de sa vie privée (1804), Corinne ou l'Italie (1807), De l'Allemagne (1813), De l'esprit des traductions (1816, publié en italien), etc.

La poésie, pour Mme de Staël, se doit d'exprimer les tourments de ces « âmes à la fois exaltées et mélancoliques », prisonnières de cette « belle inconséquence : l'amour de la gloire, le dégoût de l'existence ».

Dans la même année (1802) où paraît Delphine de Mme de Staël, paraît René (modèle du héros romantique) de François René de Chateaubriand (écrivain français, 1768-1848) ; c'est aussi l'année de naissance de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas père.



> Que raconte Delphine ?



Delphine (publié en 1802) fait partie avec Corinne ou l'Italie (publié en 1807) des deux grands romans de Mme de Staël.

C'est un roman dont la forme épistolaire est adoptée pour montrer la « passion réfléchissante ». L'échange permet la confrontation des points de vue, la multiplication des regards, l'affinement de l'analyse. Seul à tenir en main les confessions intimes et à pouvoir juger faux-semblants ou accents de sincérité, le lecteur est à même de lire dans toutes les âmes.



L'amour douloureux qui lie Delphine et Léonce sans qu'ils puissent jamais s'unir permet à l'auteur de défendre les thèses de l'amour naturel tout en faisant l'apologie du divorce, de mettre en scène les mouvements complexes du cœur en rapport avec les situations sociales, intellectuelles ou morales. Delphine finit par se suicider (ou, dans une version ultérieure, par mourir de consomption - consomption : fait d'être consumé, amaigrissement et dépérissement observés dans une maladie grave et prolongée, affaiblissement, langueur), ce qui fit voir dans cette œuvre l'une des premières fictions romantiques de la littérature française.



Élevée par un tuteur qui lui a donné son nom, Delphine d'Albémar a trouvé en lui un modèle. Homme des Lumières [Les Lumières est le nom donné au courant philosophique qui traverse toute la pensée européenne au XVIIIe siècle, courant représenté en France par Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, d'Alembert, Helvétius, d'Holbach, Buffon et tous les encyclopédistes], combattant de la guerre d'Amérique [guerre d'indépendance des États-Unis, 1776-1783], il a su apprendre à sa protégée à réfléchir par elle-même et à s'affranchir des préjugés ou du joug de l'opinion. À sa mort, Delphine a acquis un esprit de libre examen, mais sa liberté et son indépendance n'empêchent pas qu'elle se laisse entraîner par sa bonté à faire ce que les autres et sa propre raison condamnent.



Venu d'Espagne pour épouser une Mathilde de Vernon qu'il ne connaît pas, Léonce rencontre la cousine de cette inconnue : il s'agit de Delphine, jeune, riche et veuve, dont la générosité a rendu possible le mariage de Mathilde. Léonce tombe amoureux de Delphine, et en est aimé. De nombreux obstacles se dressent sur le chemin de leur bonheur. Jalousies, intrigues, événements politiques (nous sommes sous la Révolution entre 1790 et 1792) : tout conspire à opposer les amants. Compromise pour sauver l'honneur d'un ami, Delphine perd son amant. Jaloux et dépité, il épouse Mathilde. Une fois Delphine disculpée, Léonce retrouve pour elle sa passion d'antan, mais ne peut, par principe, se résoudre au divorce. En effet, Léonce est fidèle aux opinions de son milieu, tout en comprenant la nécessité du changement.



Dévorée de chagrin, Delphine entre en religion. Devenu veuf à son tout, Léonce part à sa recherche, et, désespéré, se jette dans la guerre civile. Il est fusillé par les révolutionnaires. Delphine se suicide, vaincue par les forces rétrogrades, alors que Henri de Lebensei, un de ses amis porteur des idées nouvelles et raisonnables, est tourné vers l'avenir.



> Un grand courant littéraire : le romantisme en France.



Du classicisme et du rationalisme au romantisme

Le romantisme est un mouvement culturel et artistique qui, d'abord apparu en Grande-Bretagne et en Allemagne, s'est répandu ensuite dans le reste de l'Europe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, et qui est caractérisé par un changement de sensibilité (profonde mutation du sentiment et de l'émotion, qui se devaient d'être forts, originaux et authentiques, expression personnelle d'un individu) et une rupture par rapport au classicisme (qui privilégie la maîtrise et la clarté de l'expression) et au rationalisme (où toute connaissance certaine vient de la raison), et qui s'est traduit aussi bien en littérature, que dans les beaux-arts, en musique ou dans la danse.

Témoin de la mort de l'ancien monde mais peu satisfait par celui qu'il voit naître, le romantique exprime à la fois ses révoltes et son désarroi.



Le romanticisme

À l'origine, dans les luttes littéraires de la restauration [la Restauration est le nom donné à la période de l'histoire française (avril 1814-août 1830) au cours de laquelle la monarchie fut rétablie], on disait souvent romanticisme au lieu de romantisme. Romanticisme répondait bien, en effet, à classicisme. Henri Beyle [appelé Stendhal, du nom d'une petite ville de Saxe, écrivain français (1783-1842)], disait presque indifféremment l'un pour l'autre : « Sentez bien ce principe du romanticisme : là il n'y a pas d'académie de Turin entre vous et moi » (extrait de : Correspondance inédite, lettre du 21 décembre 1819, 2e série, de Stendhal). Le terme romanticisme fut abandonné par Stendhal en 1924, au profit de romantisme (lettre au baron de Mareste, du 26 avril 1824, et : Racine et Shakespeare, t. 2, 1825).



Roman, romantique

Le terme romantisme est attesté en 1804 chez Senancour [Étienne Pivert de Senancour, écrivain français (1770-1846), auteur entre autre d'un roman épistolaire et autobiographique intitulé : Oberman (1804)] comme synonyme du nom masculin le romantique au sens ancien de « caractère romantique (romanesque) d'un site, d'une chose ». Le mot romantique (adjectif et nom masculin) est un emprunt (1675) à l'anglais romantic, peut-être formé directement sur le latin moderne romanticus (XVe siècle) ou tiré de romant, romaunt, anciennes formes du français roman.

Le mot anglais qualifie ce qui est caractéristique du genre littéraire appelé roman et qui parle à l'imagination (alors appelé en anglais romance par emprunt à l'ancien français romanz, roman), qui en a le caractère merveilleux et chimérique, qui touche la sensibilité.



L'émergence du moi

Le rationalisme classique supposait un esprit et des valeurs. Le romantisme, à l'inverse, réhabilite le « moi ». Comme René, personnage principal du roman éponyme de Chateaubriand publié en 1802, le héros romantique se proclame unique, tirant sa valeur de l'exception même de son destin. Au temps destructeur, il oppose les faces du génie et les trésors du cœur. À l'humanité positive éduquée par les philosophes des Lumières, il préfère les êtres rares, transcendés par leur échec. Rejeté par une société médiocre, il cherche l'harmonie au sein d'une nature infinie et croit qu'une grande souffrance est préférable à un bonheur terne et banal.



Le mélange des genres et le mélange des tons

L'homogénéité des tons est une règle des textes classiques, à l'inverse à l'époque moderne, le mélange des tons (des styles, des niveaux de langue) est de rigueur.

Le romantisme a fait une première cassure dans l'unité de ton en mélangeant les genres et les tons. Le drame hugolien [Victor Hugo, écrivain français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841, apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis exilé de 1851 à 1870, il fut l'auteur d'une œuvre considérable et variée] mélange sans vergogne sujets et tons, comique et tragique, élévation et trivialité.



Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier

(…)

Je nommai le cochon par son nom (…)

Dans l'herbe, à l'ombre du hallier,

Je fis fraterniser la vache et la génisse

(…)

J'ai dit à la narine : Eh mais ! tu n'es qu'un nez !

J'ai dit au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire !

(…)

Extrait de : Les Contemplations, de Victor Hugo [écrivain français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841, il apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis exilé de 1851 à 1870 ; il fut l'auteur d'une œuvre considérable et variée].



Puis la modernité a accentué cette orientation. La prose, par exemple, peut figurer dans une poésie, qui n'en est pas rendue pour autant prosaïque. Dans l'extrait suivant, le premier vers est d'une proximité directe avec les choses, qui en deviennent prosaïques et triviales (la prose est familière), tandis que le second vers est d'une distance maximale (le vent parle une langue morte et très ancienne, le latin) ; l'association des deux créent de la poésie :



Apporte le café, le beurre et les tartines

On dirait que le vent dit des phrases latines...

(Guillaume Apollinaire)



Ou encore dans l'extrait suivant, où l'auteur associe un joli matin rose de printemps (prose familière) au latin Lætare (registre soutenu) et aux poules qui caquettent dans la cour (image triviale), et où cette association, loin de créer un texte prosaïque, fait au contraire entrer le lecteur dans une dimension poétique :



Aubade – chantée à Lætare, un an passé

C'est le printemps viens-t'en Pâquette

Te promener au bois joli

Les poules dans la cour caquettent

L'aube au ciel fait de roses plis

L'amour chemine à ta conquête

etc.

Extrait de : La Chanson du mal-aimé, in Alcools (1913), de Guillaume Apollinaire [poète français, 1880-1918].



Par ailleurs, la distinction entre récit et discours apparaît comme un des principes fondamentaux de la définition des genres. Alors que le récit est la relation (le fait de relater, de rapporter en détails, de narrer) orale ou écrite, l'exposé détaillé d'événements vrais ou imaginaires, qui se caractérise par l'effacement du sujet de l'énonciation (les événements semblent se raconter d'eux-mêmes), le discours, quant à lui, est l'expression de la pensée, l'exercice de la faculté du langage, qui suppose un locuteur et un auditeur, un scripteur et un lecteur, et la volonté du locuteur d'influencer son interlocuteur.



Par cette distinction entre récit et discours, le classicisme a imposé une codification stricte des genres : le roman, la fable, le poème, la pièce de théâtre, etc.

Avant que l'écriture moderne donne à la notion de genre un sens nouveau, que l’œuvre intègre son propre commentaire [qu'il s'agisse d'un poème comme Le Lézard de Francis Ponge (in Pièces, de : Le Grand Recueil III, 1961), d'un roman comme Histoire (1967) de Claude Simon, ou d'une pièce de théâtre comme Les Cenci (1935) d'Antonin Artaud], le romantisme a voulu faire accepter leur mélange, réduisant ainsi les différences entre la notion de récit (énoncé rapporté) et la notion de discours (énonciation directe), faisant ainsi apparaître la sensibilité du « moi », la subjectivité de l'auteur.



> Extrait de Delphine (1802, t. 1, pp. 279-281 et t. 2, pp. 1-4.) de Mme de Staël, où les mots traduisant la sensibilité du « moi » sont en majuscule.



T. 1, lettre XXXVIII.

Léonce à M. Barton.

Paris, ce 14 juillet [1790].



Je vous ai mandé ma résolution : sachez à présent que je suis marié, oui, depuis hier, à Matilde, je suis marié ; je vous ai épargné tout ce que J'AI SOUFFERT ; pourquoi mêler à vos douleurs les inquiétudes de l'amitié ? Mais il faut cependant, si je ne veux pas DEVENIR FOU, que JE VOUS CONFIE une seule chose ; et que direz-vous de moi si ce secret impossible à garder, est une apparition, un fantôme, une chimère ? Voilà ce qu'est devenu VOTRE MISÉRABLE AMI, voilà dans quel état elle m'a jeté par sa perfidie.

Je savais hier que madame d'Albémar était à Bellerive, s'occupant de son départ pour Lisbonne ; je le savais, hé bien, au milieu de la cérémonie imposante, qui pour jamais disposait de mon sort ; dans cette église, où la fierté, le devoir, la volonté de ma mère m'ont entraîné, j'ai cru voir, derrière une colonne, madame d'Albémar couverte d'un voile blanc ; mais sa figure s'offrit à mes regards si pâle et si changée, que c'est ainsi que son image devrait m'apparaître après sa mort. Plus je fixais les yeux sur cette colonne, plus MON ILLUSION DEVENAIT FORTE, et je crus que mon nom et le sien avaient été prononcés par SA VOIX, QUE J'ENTENDS SOUVENT, IL EST VRAI, QUAND JE SUIS SEUL.

Madame de Vernon s'approcha de moi, et me rappela doucement à ce que je devais à Matilde ; je me levai pour prononcer le serment irrévocable, à l'instant même je vis cette même ombre s'avancer, étendre la main, et MON TROUBLE FUT TEL QU'UN NUAGE COUVRIT MES YEUX. Je fis cependant UN NOUVEL EFFORT pour examiner cette colonne, dont J'AVAIS CRU VOIR SORTIR L'IMAGE persécutrice de ma vie ; mais je n'aperçus plus rien, l'effet des lumières dans cette vaste église, et MON IMAGINATION AGITÉE avaient sans doute créé cette chimère.

MON SILENCE ET MON TROUBLE, cependant, embarrassaient Matilde ; je me hâtai de dire oui, comme dans L'ÉGAREMENT D'UN RÊVE. MON ÂME TOUTE ENTIÈRE ÉTAIT AILLEURS, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a REGRETTÉ : INDIGNE FAIBLESSE ! Delphine m'a trompé, la nature n'a plus rien de vrai.

Vous saurez une fois, si je puis raconter ces derniers jours, sans tomber dans des accès de RAGE et de DOULEUR, vous saurez une fois tout ce qui s'est passé. Mais ce fantôme blanc, hier, qu'était-il ? Je le VOIS encore... Ah ! mon ami, quand vous serez guéri, venez, j'ai plus besoin de vous que dans les débiles jours de mon enfance ; ma raison est sans force, et je n'ai plus d'un homme que LA VIOLENCE DES PASSIONS.

Fin du premier volume.



T. 2, lettre I.

Mademoiselle d'Albémar à Delphine.

Montpellier, 20 juillet 1790.



Après avoir reçu votre lettre, j'ai passé le jour entier dans les LARMES, et je peux à peine voir assez pour vous écrire, tant MES YEUX SONT FATIGUÉS DE PLEURER. Ma chère enfant, à quelles douleurs vous avez été livrée ! ah ! que n'étais-je là pour EXPRIMER MA HAINE CONTRE LES MÉCHANTS, et pour CONSOLER LA BONTÉ MALHEUREUSE ! Je m'étais ATTACHÉE à Léonce, je le regardais déjà comme un époux, comme un ami digne de vous ; il a été capable d'une telle cruauté ; il a volontairement renoncé à la plus aimable femme du monde, parce qu'il avait à lui reprocher une faute, dont toutes les vertus généreuses étaient la cause ; une faute, comme les anges en commettraient, s'ils étaient témoins DES FAIBLESSES ET DES SOUFFRANCES DES HOMMES.

Sans doute, madame de Vernon n'a point su vous défendre ; je vais plus loin, et je la soupçonne d'avoir empoisonné l'action qu'elle était chargée de justifier ; mais ce n'est point une excuse pour Léonce. Celui que vous aviez daigné préférer, devait-il avoir besoin d'un guide pour vous juger ? Non, il ne vous a jamais aimée, il faut L'OUBLIER et relever votre âme par LE SENTIMENT DE CE QUE VOUS VALEZ ; ma chère Delphine, la vie n'est jamais perdue à vingt ans, la nature dans la jeunesse vient au secours des douleurs, les forces morales s'accroissent encore à cet âge, et ce n'est que dans le déclin que sont les maux irréparables.

J'ose vous le conseiller, quittez pour quelque temps le monde, et venez auprès de moi ; je l'entrevois confusément ce monde, mais il me semble qu'il ne suffit pas de toutes les qualités du cœur et de l'esprit pour y vivre en paix ; il exige une certaine science qui n'est pas précisément condamnable, mais qui vous initie cependant trop avant dans le secret du vice, et dans la défiance que les hommes doivent inspirer. Vous avez l'esprit le plus étendu, mais votre âme est trop jeune, trop prompte à se livrer ; METTEZ VOTRE SENSIBILITÉ SOUS L'ABRI DE LA SOLITUDE, FORTIFIEZ-VOUS PAR LA RETRAITE, et retournez ensuite dans la société ; si vous y restiez maintenant, VOUS NE GUÉRIRIEZ POINT DES PEINES que vous avez éprouvées.

Venez goûter le calme, venez vous reposer par L'ABSENCE DES OBJETS PÉNIBLES, et par LA SUSPENSION MOMENTANÉE DE TOUTE ÉMOTION NOUVELLE ; ce tableau sans couleurs n'a rien d'attirant, mais à la longue, une situation monotone fait du bien ; si les consolations qu'il fait puiser en soi-même ne sont pas rapides, leur effet au moins est durable.

Je ne vous parle point de mon AFFECTION, c'est avec TIMIDITÉ que je la rappelle, quand il s'agit des peines de l'amour ; cependant une fois, je l'espère, votre âme tendre y trouvera peut-être encore quelque DOUCEUR.



> Exercices et consignes d'écriture.



Choisir un passage de l'extrait proposé ci-avant, puis introduire des changements de registre (par exemple, en passant du registre sentimental au registre guerrier ou au registre familier), et/ou de ton (par exemple, en intercalant une ou deux remarques sarcastiques, impertinentes ou ironiques), et/ou de style (par exemple, transformer une longue phrase en plusieurs petites phrases courtes et sèches), et/ou de niveau de langue (par exemple : remplacer un mot par son synonyme argotique ou populaire), et/ou de genre (par exemple : transformer en alexandrin(s) ou en poème ou en dialogue une phrase en prose).



Avec le passage suivant :

« Mon silence et mon trouble, cependant, embarrassaient Matilde ; je me hâtai de dire oui, comme dans l'égarement d'un rêve. Mon âme toute entière était ailleurs, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a regretté : indigne faiblesse ! Delphine m'a trompé, la nature n'a plus rien de vrai. »

Cela pourrait donner ceci :

L'absence de tout bruit de ma part, le fait de ne pas émettre de son par la voix, de ne pas parler, de ne pas crier, de ne pas même chuchoter, mon silence, quoi ?, et mon trouble, l'état en moi de ce qui cesse d'être en ordre ou en équilibre et cette agitation confuse qui en résulte, cependant, embarrassaient Matilde (Matilde, ma bergère, ma bobonne, ma gonzesse, ma souris, ah ! Matilde ! celle qui, dans quelques secondes, allait devenir ma légitime, ma moitié, ma régulière, mon égérie, qui sait ? ma muse ? ; je me hâtai de dire oui, comme dans l'égarement d'un rêve. Et pourtant je ne rêvais pas : j'étais épousé, marié, maqué, acliqué.

Mon âme toute entière était ailleurs (quelque part au milieu d'un champ de bataille jonché de soldats implorants et gémissants), n'importe, le lien est serré, trop serré mon nœud de cravate dans lequel je passe un doigt mon cou est en train de gonfler j'étouffe, je suis l'époux de Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas M. de Serbellane ; me viennent quelques octosyllabes :

Juin tes rayons m'assourdissent et

Douloureux brûlent mes tympans

Amer aérien delirium

J'erre à travers mon beau pays

Après avoir marié mon cœur.

(merci Guillaume) mais si je savais au moins qu'elle m'a regretté : indigne faiblesse ! Delphine m'a trompé, la nature n'a plus rien de vrai.



Et maintenant...

À vous de jouer - et d'écrire,

À vos claviers, plumes et stylos !



Bibliographie :



> BEAUMARCHAIS Jean-Pierre de, COUTY Daniel, REY Alain, 1994. Dictionnaire des littératures de langue française. Paris, Bordas, nouv. éd. mise à jour et enrichie, 4 vol., t. 4, pp. 2360-2368.



> BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis de français : langue et littérature. Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 106.



> Encyclopædia Universalis 2009, édition numérique. Articles intitulé : Staël (madame de) 1766-1817, Le Romantisme.



> Le Grand Robert de la langue française, 2001, 2e éd. 6 vol.



> LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire de la langue française. Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t. 6, p. 5623.



> Le Petit Robert des noms propres, 2007.



> REY Alain (dir.), 1994. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Le Robert. 2 vol., t. 2, p. 1828.



> STAËL-HOLSTEIN Mme de. Delphine. Édition de 1809 (à Paris : chez H. Nicolle) en 2 vol. (281 et 303 p.) librement consultable sur internet à l'adresse suivante : Gallica.bnf.fr



> THERON Michel, [199-?]. 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R., fiche 24.



Contact : numencegalerielitteraire@gmail.com



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