¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
L
a P U B L i
a n c e
atelier
d'écriture et publication
.
. . . . . .
. .
e n l i g n e . . .
. . . . . .
Atelier d'écriture
XII
Le
romantisme
en France avec Delphine
de
Mme
de Staël
Sommaire
>
Extrait de Delphine
(1802) de Mme de Staël,
t.
1, pp.
279-281
et t. 2, pp. 1-4.
>
Qui était Mme de Staël ?
>
Que raconte Delphine
?
>
Un grand courant littéraire : le romantisme en France.
>
Extrait de Delphine
(1802, t.
1, pp.
279-281
et t. 2, pp. 1-4.)
de Mme de Staël, où les
mots traduisant la sensibilité du « moi »
sont en majuscule.
>
Exercices et consignes d'écriture.
***
>
Extrait de Delphine
(1802) de Mme de Staël, t.
1, pp.
279-281
et t. 2, pp. 1-4.
T.
1, lettre XXXVIII.
Léonce
à M. Barton.
Paris,
ce 14 juillet [1790].
Je
vous ai mandé ma résolution : sachez à présent que je suis
marié, oui, depuis hier, à Matilde, je suis marié ; je vous
ai épargné tout ce que j'ai souffert ; pourquoi mêler à vos
douleurs les inquiétudes de l'amitié ? Mais il faut cependant,
si je ne veux pas devenir fou, que je vous confie une seule chose ;
et que direz-vous de moi si ce secret impossible à garder, est une
apparition, un fantôme, une chimère ? Voilà ce qu'est devenu
votre misérable ami, voilà dans quel état elle m'a jeté par sa
perfidie.
Je
savais hier que madame d'Albémar était à Bellerive, s'occupant de
son départ pour Lisbonne ; je le savais, hé bien, au milieu de
la cérémonie imposante, qui pour jamais disposait de mon sort ;
dans cette église, où la fierté, le devoir, la volonté de ma mère
m'ont entraîné, j'ai cru voir, derrière une colonne, madame
d'Albémar couverte d'un voile blanc ; mais sa figure s'offrit à
mes regards si pâle et si changée, que c'est ainsi que son image
devrait m'apparaître après sa mort. Plus je fixais les yeux sur
cette colonne, plus mon illusion devenait forte, et je crus que mon
nom et le sien avaient été prononcés par sa voix, que j'entends
souvent, il est vrai, quand je suis seul.
Madame
de Vernon s'approcha de moi, et me rappela doucement à ce que je
devais à Matilde ; je me levai pour prononcer le serment
irrévocable, à l'instant même je vis cette même ombre s'avancer,
étendre la main, et mon trouble fut tel qu'un nuage couvrit mes
yeux. Je fis cependant un nouvel effort pour examiner cette colonne,
dont j'avais cru voir sortir l'image persécutrice de ma vie ;
mais je n'aperçus plus rien, l'effet des lumières dans cette vaste
église, et mon imagination agitée avaient sans doute créé cette
chimère.
Mon
silence et mon trouble, cependant, embarrassaient Matilde ; je
me hâtai de dire oui,
comme dans l'égarement d'un rêve. Mon âme toute entière était
ailleurs, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de
Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé
quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après
l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas
M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a
regretté : indigne faiblesse ! Delphine m'a trompé, la
nature n'a plus rien de vrai.
Vous
saurez une fois, si je puis raconter ces derniers jours, sans tomber
dans des accès de rage et de douleur, vous saurez une fois tout ce
qui s'est passé. Mais ce fantôme blanc, hier, qu'était-il ?
Je le vois encore... Ah ! mon ami, quand vous serez guéri,
venez, j'ai plus besoin de vous que dans les débiles jours de mon
enfance ; ma raison est sans force, et je n'ai plus d'un homme
que la violence des passions.
Fin
du premier volume.
T.
2, lettre I.
Mademoiselle
d'Albémar à Delphine.
Montpellier,
20 juillet 1790.
Après
avoir reçu votre lettre, j'ai passé le jour entier dans les larmes,
et je peux à peine voir assez pour vous écrire, tant mes yeux sont
fatigués de pleurer. Ma chère enfant, à quelles douleurs vous avez
été livrée ! ah ! que n'étais-je là pour exprimer ma
haine contre les méchants, et pour consoler la bonté malheureuse !
Je m'étais attachée à Léonce, je le regardais déjà comme un
époux, comme un ami digne de vous ; il a été capable d'une
telle cruauté ; il a volontairement renoncé à la plus
aimable femme du monde, parce qu'il avait à lui reprocher une faute,
dont toutes les vertus généreuses étaient la cause ; une
faute, comme les anges en commettraient, s'ils étaient témoins des
faiblesses et des souffrances des hommes.
Sans
doute, madame de Vernon n'a point su vous défendre ; je vais
plus loin, et je la soupçonne d'avoir empoisonné l'action qu'elle
était chargée de justifier ; mais ce n'est point une excuse
pour Léonce. Celui que vous aviez daigné préférer, devait-il
avoir besoin d'un guide pour vous juger ? Non, il ne vous a
jamais aimée, il faut l'oublier et relever votre âme par le
sentiment de ce que vous valez ; ma chère Delphine, la vie
n'est jamais perdue à vingt ans, la nature dans la jeunesse vient au
secours des douleurs, les forces morales s'accroissent encore à cet
âge, et ce n'est que dans le déclin que sont les maux irréparables.
J'ose
vous le conseiller, quittez pour quelque temps le monde, et venez
auprès de moi ; je l'entrevois confusément ce monde, mais il
me semble qu'il ne suffit pas de toutes les qualités du cœur et de
l'esprit pour y vivre en paix ; il exige une certaine science
qui n'est pas précisément condamnable, mais qui vous initie
cependant trop avant dans le secret du vice, et dans la défiance que
les hommes doivent inspirer. Vous avez l'esprit le plus étendu, mais
votre âme est trop jeune, trop prompte à se livrer ; mettez
votre sensibilité sous l'abri de la solitude, fortifiez-vous par la
retraite, et retournez ensuite dans la société ; si vous y
restiez maintenant, vous ne guéririez point des peines que vous avez
éprouvées.
Venez
goûter le calme, venez vous reposer par l'absence des objets
pénibles, et par la suspension momentanée de toute émotion
nouvelle ; ce tableau sans couleurs n'a rien d'attirant, mais à
la longue, une situation monotone fait du bien ; si les
consolations qu'il fait puiser en soi-même ne sont pas rapides, leur
effet au moins est durable.
Je
ne vous parle point de mon affection, c'est avec timidité que je la
rappelle, quand il s'agit des peines de l'amour ; cependant une
fois, je l'espère, votre âme tendre y trouvera peut-être encore
quelque douceur.
>
Qui était Mme de Staël ?
Mme
de Staël (Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de),
écrivain français (1766-1817), est l'auteure de : Lettres
sur le caractère et les écrits de Jean-Jacques Rousseau
(1788), Sophie ou les
Sentiments secrets : pièce de théâtre
(1790), Jane Gray : pièce
de théâtre (1790),
Zulma : nouvelle
(1794), De l'influence
des passions sur le bonheur des individus et des nations
(1796), De la littérature
considérée dans ses rapports avec les institutions sociales
(1800), Du caractère de
M. Necker et de sa vie privée
(1804), Corinne ou
l'Italie (1807), De
l'Allemagne (1813), De
l'esprit des traductions
(1816, publié en italien), etc.
La
poésie, pour Mme de Staël, se doit d'exprimer les tourments de ces
« âmes à la fois exaltées et mélancoliques »,
prisonnières de cette « belle inconséquence : l'amour de la
gloire, le dégoût de l'existence ».
Dans
la même année (1802) où paraît Delphine
de Mme de Staël, paraît René
(modèle du héros romantique) de François René de Chateaubriand
(écrivain français, 1768-1848) ; c'est aussi l'année de naissance
de Victor Hugo et d'Alexandre Dumas père.
>
Que raconte Delphine
?
Delphine
(publié en 1802) fait partie avec Corinne
ou l'Italie (publié en
1807) des deux grands romans de Mme de Staël.
C'est
un roman dont la forme épistolaire est adoptée pour montrer la
« passion réfléchissante ». L'échange permet la
confrontation des points de vue, la multiplication des regards,
l'affinement de l'analyse. Seul à tenir en main les confessions
intimes et à pouvoir juger faux-semblants ou accents de sincérité,
le lecteur est à même de lire dans toutes les âmes.
L'amour
douloureux qui lie Delphine et Léonce sans qu'ils puissent jamais
s'unir permet à l'auteur de défendre les thèses de l'amour naturel
tout en faisant l'apologie du divorce, de mettre en scène les
mouvements complexes du cœur en rapport avec les situations
sociales, intellectuelles ou morales. Delphine finit par se suicider
(ou, dans une version ultérieure, par mourir de consomption -
consomption : fait d'être consumé, amaigrissement et dépérissement
observés dans une maladie grave et prolongée, affaiblissement,
langueur), ce qui fit voir dans cette œuvre l'une des premières
fictions romantiques de la littérature française.
Élevée
par un tuteur qui lui a donné son nom, Delphine d'Albémar a trouvé
en lui un modèle. Homme des Lumières [Les
Lumières
est le nom donné au courant philosophique qui traverse toute la
pensée européenne au XVIIIe
siècle, courant représenté en France par Montesquieu, Voltaire,
Diderot, Rousseau, d'Alembert, Helvétius, d'Holbach, Buffon et tous
les encyclopédistes],
combattant de la guerre d'Amérique [guerre
d'indépendance des États-Unis, 1776-1783],
il a su apprendre à sa protégée à réfléchir par elle-même et à
s'affranchir des préjugés ou du joug de l'opinion. À sa mort,
Delphine a acquis un esprit de libre examen, mais sa liberté et son
indépendance n'empêchent pas qu'elle se laisse entraîner par sa
bonté à faire ce que les autres et sa propre raison condamnent.
Venu
d'Espagne pour épouser une Mathilde de Vernon qu'il ne connaît pas,
Léonce rencontre la cousine de cette inconnue : il s'agit de
Delphine, jeune, riche et veuve, dont la générosité a rendu
possible le mariage de Mathilde. Léonce tombe amoureux de Delphine,
et en est aimé. De nombreux obstacles se dressent sur le chemin de
leur bonheur. Jalousies, intrigues, événements politiques (nous
sommes sous la Révolution entre 1790 et 1792) : tout conspire à
opposer les amants. Compromise pour sauver l'honneur d'un ami,
Delphine perd son amant. Jaloux et dépité, il épouse Mathilde. Une
fois Delphine disculpée, Léonce retrouve pour elle sa passion
d'antan, mais ne peut, par principe, se résoudre au divorce. En
effet, Léonce est fidèle aux opinions de son milieu, tout en
comprenant la nécessité du changement.
Dévorée
de chagrin, Delphine entre en religion. Devenu veuf à son tout,
Léonce part à sa recherche, et, désespéré, se jette dans la
guerre civile. Il est fusillé par les révolutionnaires. Delphine se
suicide, vaincue par les forces rétrogrades, alors que Henri de
Lebensei, un de ses amis porteur des idées nouvelles et
raisonnables, est tourné vers l'avenir.
>
Un grand courant littéraire : le romantisme en France.
Du
classicisme et du rationalisme au romantisme
Le
romantisme est un mouvement culturel et artistique qui, d'abord
apparu en Grande-Bretagne et en Allemagne, s'est répandu ensuite
dans le reste de l'Europe à la fin du XVIIIe
siècle et au début du XIXe
siècle, et qui est caractérisé par un changement de sensibilité
(profonde mutation du sentiment et de l'émotion, qui se devaient
d'être forts, originaux et authentiques, expression personnelle d'un
individu) et une rupture par rapport au classicisme (qui privilégie
la maîtrise et la clarté de l'expression) et au rationalisme (où
toute connaissance certaine vient de la raison), et qui s'est traduit
aussi bien en littérature, que dans les beaux-arts, en musique ou
dans la danse.
Témoin
de la mort de l'ancien monde mais peu satisfait par celui qu'il voit
naître, le romantique exprime à la fois ses révoltes et son
désarroi.
Le
romanticisme
À
l'origine, dans les luttes littéraires de la restauration [la
Restauration est le nom donné à la période de l'histoire française
(avril 1814-août 1830) au cours de laquelle la monarchie fut
rétablie], on disait
souvent romanticisme
au lieu de romantisme.
Romanticisme
répondait bien, en effet, à classicisme.
Henri Beyle [appelé
Stendhal, du nom d'une petite ville de Saxe, écrivain français
(1783-1842)], disait
presque indifféremment l'un pour l'autre : « Sentez
bien ce principe du romanticisme : là il n'y a pas d'académie de
Turin entre vous et moi »
(extrait de : Correspondance
inédite, lettre du 21 décembre 1819,
2e série, de Stendhal). Le terme romanticisme
fut abandonné par Stendhal en 1924, au profit de romantisme
(lettre au baron de
Mareste, du 26 avril 1824,
et : Racine et
Shakespeare, t. 2,
1825).
Roman,
romantique
Le
terme romantisme
est attesté en 1804 chez Senancour [Étienne
Pivert de Senancour, écrivain français (1770-1846), auteur entre
autre d'un roman épistolaire et autobiographique intitulé : Oberman
(1804)] comme
synonyme du nom masculin le romantique
au sens ancien de « caractère
romantique (romanesque) d'un site, d'une chose ».
Le mot romantique
(adjectif et nom masculin) est un emprunt (1675) à l'anglais
romantic,
peut-être formé directement sur le latin moderne romanticus
(XVe
siècle) ou tiré de romant,
romaunt,
anciennes formes du français roman.
Le
mot anglais qualifie ce qui est caractéristique du genre littéraire
appelé roman
et qui parle à l'imagination (alors appelé en anglais romance
par emprunt à l'ancien français romanz,
roman),
qui en a le caractère merveilleux et chimérique, qui touche la
sensibilité.
L'émergence
du moi
Le
rationalisme classique supposait un esprit et des valeurs. Le
romantisme, à l'inverse, réhabilite le « moi ». Comme
René, personnage principal du roman éponyme de Chateaubriand publié
en 1802, le héros romantique se proclame unique, tirant sa valeur de
l'exception même de son destin. Au temps destructeur, il oppose les
faces du génie et les trésors du cœur. À l'humanité positive
éduquée par les philosophes des Lumières, il préfère les êtres
rares, transcendés par leur échec. Rejeté par une société
médiocre, il cherche l'harmonie au sein d'une nature infinie et
croit qu'une grande souffrance est préférable à un bonheur terne
et banal.
Le
mélange des genres et le mélange des tons
L'homogénéité
des tons est une règle des textes classiques, à l'inverse à
l'époque moderne, le mélange des tons (des styles, des niveaux de
langue) est de rigueur.
Le
romantisme a fait une première cassure dans l'unité de ton en
mélangeant les genres et les tons. Le drame hugolien [Victor
Hugo, écrivain
français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841,
apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école
romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis
exilé de 1851 à 1870, il fut l'auteur d'une œuvre considérable et
variée]
mélange sans vergogne sujets et tons, comique et tragique, élévation
et trivialité.
Plus
de mot sénateur ! plus de mot roturier
(…)
Je
nommai le cochon par son nom (…)
Dans
l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je
fis fraterniser la vache et la génisse
(…)
J'ai
dit à la narine : Eh mais ! tu n'es qu'un nez !
J'ai
dit au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire !
(…)
Extrait
de : Les
Contemplations,
de Victor Hugo
[écrivain
français, 1802-1885, entré à l'Académie française en 1841, il
apparut dès 1827 comme le théoricien et le chef de l'école
romantique, et l'animateur du Cénacle ; député en 1848, puis
exilé de 1851 à 1870 ; il fut l'auteur d'une œuvre
considérable et variée].
Puis
la modernité a accentué cette orientation. La prose, par exemple,
peut figurer dans une poésie, qui n'en est pas rendue pour autant
prosaïque. Dans l'extrait
suivant, le premier vers est d'une proximité directe avec
les choses, qui en
deviennent prosaïques et triviales (la prose est familière), tandis
que le second vers est d'une distance maximale (le vent parle une
langue morte et très ancienne, le latin) ; l'association des
deux créent de la poésie :
Apporte
le café, le beurre et les tartines
On
dirait que le vent dit des phrases latines...
(Guillaume
Apollinaire)
Ou
encore dans l'extrait
suivant, où l'auteur associe un joli matin rose de printemps (prose
familière) au latin Lætare
(registre soutenu) et aux
poules qui caquettent dans la cour (image triviale), et
où cette association, loin de créer un texte prosaïque, fait au
contraire entrer le lecteur dans une dimension poétique :
Aubade
– chantée à Lætare, un an passé
C'est
le printemps viens-t'en Pâquette
Te
promener au bois joli
Les
poules dans la cour caquettent
L'aube
au ciel fait de roses plis
L'amour
chemine à ta conquête
etc.
Extrait
de : La Chanson du
mal-aimé,
in Alcools
(1913), de Guillaume
Apollinaire [poète
français, 1880-1918].
Par
ailleurs, la distinction
entre récit et discours
apparaît comme un des principes fondamentaux de la définition des
genres. Alors que le
récit est la
relation (le fait de relater, de rapporter en détails, de
narrer) orale ou écrite, l'exposé détaillé d'événements vrais
ou imaginaires, qui se caractérise par l'effacement du sujet de
l'énonciation (les événements semblent se raconter d'eux-mêmes),
le
discours, quant à
lui, est l'expression de la pensée, l'exercice de la faculté du
langage, qui suppose un locuteur et un auditeur, un scripteur et un
lecteur, et la volonté du locuteur d'influencer son interlocuteur.
Par
cette distinction entre récit et discours, le classicisme
a imposé une codification
stricte des genres : le roman, la fable, le poème, la pièce de
théâtre, etc.
Avant
que l'écriture
moderne donne à la
notion de genre un sens
nouveau,
que l’œuvre
intègre son propre commentaire [qu'il
s'agisse d'un poème comme Le
Lézard
de Francis Ponge (in Pièces,
de : Le
Grand Recueil III,
1961), d'un roman comme Histoire
(1967) de Claude Simon, ou d'une pièce de théâtre comme Les
Cenci
(1935) d'Antonin Artaud],
le romantisme
a voulu faire accepter leur mélange, réduisant ainsi les
différences entre la notion de récit (énoncé rapporté) et la
notion de discours (énonciation directe), faisant ainsi
apparaître la sensibilité
du « moi », la subjectivité de l'auteur.
>
Extrait de Delphine
(1802, t. 1, pp.
279-281 et t. 2, pp. 1-4.)
de Mme de Staël, où les
mots traduisant la sensibilité du « moi »
sont en majuscule.
T.
1, lettre XXXVIII.
Léonce
à M. Barton.
Paris,
ce 14 juillet [1790].
Je
vous ai mandé ma résolution : sachez à présent que je suis
marié, oui, depuis hier, à Matilde, je suis marié ; je vous
ai épargné tout ce que J'AI SOUFFERT ; pourquoi mêler à vos
douleurs les inquiétudes de l'amitié ? Mais il faut cependant,
si je ne veux pas DEVENIR FOU, que JE VOUS CONFIE une seule chose ;
et que direz-vous de moi si ce secret impossible à garder, est une
apparition, un fantôme, une chimère ? Voilà ce qu'est devenu
VOTRE MISÉRABLE AMI, voilà dans quel état elle m'a jeté par sa
perfidie.
Je
savais hier que madame d'Albémar était à Bellerive, s'occupant de
son départ pour Lisbonne ; je le savais, hé bien, au milieu de
la cérémonie imposante, qui pour jamais disposait de mon sort ;
dans cette église, où la fierté, le devoir, la volonté de ma mère
m'ont entraîné, j'ai cru voir, derrière une colonne, madame
d'Albémar couverte d'un voile blanc ; mais sa figure s'offrit à
mes regards si pâle et si changée, que c'est ainsi que son image
devrait m'apparaître après sa mort. Plus je fixais les yeux sur
cette colonne, plus MON ILLUSION DEVENAIT FORTE, et je crus que mon
nom et le sien avaient été prononcés par SA VOIX, QUE J'ENTENDS
SOUVENT, IL EST VRAI, QUAND JE SUIS SEUL.
Madame
de Vernon s'approcha de moi, et me rappela doucement à ce que je
devais à Matilde ; je me levai pour prononcer le serment
irrévocable, à l'instant même je vis cette même ombre s'avancer,
étendre la main, et MON TROUBLE FUT TEL QU'UN NUAGE COUVRIT MES
YEUX. Je fis cependant UN NOUVEL EFFORT pour examiner cette colonne,
dont J'AVAIS CRU VOIR SORTIR L'IMAGE persécutrice de ma vie ;
mais je n'aperçus plus rien, l'effet des lumières dans cette vaste
église, et MON IMAGINATION AGITÉE avaient sans doute créé cette
chimère.
MON
SILENCE ET MON TROUBLE, cependant, embarrassaient Matilde ; je
me hâtai de dire oui,
comme dans L'ÉGAREMENT D'UN RÊVE. MON ÂME TOUTE ENTIÈRE ÉTAIT
AILLEURS, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de
Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé
quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après
l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas
M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a
REGRETTÉ : INDIGNE FAIBLESSE ! Delphine m'a trompé, la
nature n'a plus rien de vrai.
Vous
saurez une fois, si je puis raconter ces derniers jours, sans tomber
dans des accès de RAGE et de DOULEUR, vous saurez une fois tout ce
qui s'est passé. Mais ce fantôme blanc, hier, qu'était-il ?
Je le VOIS encore... Ah ! mon ami, quand vous serez guéri,
venez, j'ai plus besoin de vous que dans les débiles jours de mon
enfance ; ma raison est sans force, et je n'ai plus d'un homme
que LA VIOLENCE DES PASSIONS.
Fin
du premier volume.
T.
2, lettre I.
Mademoiselle
d'Albémar à Delphine.
Montpellier,
20 juillet 1790.
Après
avoir reçu votre lettre, j'ai passé le jour entier dans les LARMES,
et je peux à peine voir assez pour vous écrire, tant MES YEUX SONT
FATIGUÉS DE PLEURER. Ma chère enfant, à quelles douleurs vous avez
été livrée ! ah ! que n'étais-je là pour EXPRIMER MA
HAINE CONTRE LES MÉCHANTS, et pour CONSOLER LA BONTÉ MALHEUREUSE !
Je m'étais ATTACHÉE à Léonce, je le regardais déjà comme un
époux, comme un ami digne de vous ; il a été capable d'une
telle cruauté ; il a volontairement renoncé à la plus
aimable femme du monde, parce qu'il avait à lui reprocher une faute,
dont toutes les vertus généreuses étaient la cause ; une
faute, comme les anges en commettraient, s'ils étaient témoins DES
FAIBLESSES ET DES SOUFFRANCES DES HOMMES.
Sans
doute, madame de Vernon n'a point su vous défendre ; je vais
plus loin, et je la soupçonne d'avoir empoisonné l'action qu'elle
était chargée de justifier ; mais ce n'est point une excuse
pour Léonce. Celui que vous aviez daigné préférer, devait-il
avoir besoin d'un guide pour vous juger ? Non, il ne vous a
jamais aimée, il faut L'OUBLIER et relever votre âme par LE
SENTIMENT DE CE QUE VOUS VALEZ ; ma chère Delphine, la vie
n'est jamais perdue à vingt ans, la nature dans la jeunesse vient au
secours des douleurs, les forces morales s'accroissent encore à cet
âge, et ce n'est que dans le déclin que sont les maux irréparables.
J'ose
vous le conseiller, quittez pour quelque temps le monde, et venez
auprès de moi ; je l'entrevois confusément ce monde, mais il
me semble qu'il ne suffit pas de toutes les qualités du cœur et de
l'esprit pour y vivre en paix ; il exige une certaine science
qui n'est pas précisément condamnable, mais qui vous initie
cependant trop avant dans le secret du vice, et dans la défiance que
les hommes doivent inspirer. Vous avez l'esprit le plus étendu, mais
votre âme est trop jeune, trop prompte à se livrer ; METTEZ
VOTRE SENSIBILITÉ SOUS L'ABRI DE LA SOLITUDE, FORTIFIEZ-VOUS PAR LA
RETRAITE, et retournez ensuite dans la société ; si vous y
restiez maintenant, VOUS NE GUÉRIRIEZ POINT DES PEINES que vous avez
éprouvées.
Venez
goûter le calme, venez vous reposer par L'ABSENCE DES OBJETS
PÉNIBLES, et par LA SUSPENSION MOMENTANÉE DE TOUTE ÉMOTION
NOUVELLE ; ce tableau sans couleurs n'a rien d'attirant, mais à
la longue, une situation monotone fait du bien ; si les
consolations qu'il fait puiser en soi-même ne sont pas rapides, leur
effet au moins est durable.
Je
ne vous parle point de mon AFFECTION, c'est avec TIMIDITÉ que je la
rappelle, quand il s'agit des peines de l'amour ; cependant une
fois, je l'espère, votre âme tendre y trouvera peut-être encore
quelque DOUCEUR.
>
Exercices et consignes d'écriture.
Choisir
un passage de l'extrait proposé ci-avant, puis introduire des
changements de registre (par exemple, en passant du registre
sentimental au registre guerrier ou au registre familier), et/ou de
ton (par exemple, en intercalant une ou deux remarques sarcastiques,
impertinentes ou ironiques), et/ou de style (par exemple, transformer
une longue phrase en plusieurs petites phrases courtes et sèches),
et/ou de niveau de langue (par exemple : remplacer un mot par son
synonyme argotique ou populaire), et/ou de genre (par exemple :
transformer
en alexandrin(s) ou en poème ou en dialogue une phrase en prose).
Avec
le passage suivant :
« Mon
silence et mon trouble, cependant, embarrassaient Matilde ; je
me hâtai de dire oui,
comme dans l'égarement d'un rêve. Mon âme toute entière était
ailleurs, n'importe, le lien est serré, je suis l'époux de
Matilde ! quand il serait vrai que Delphine m'aurait aimé
quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter, qu'après
l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle n'épousait pas
M. de Serbellane ; mais si je savais au moins qu'elle m'a
regretté : indigne faiblesse ! Delphine m'a trompé, la
nature n'a plus rien de vrai. »
Cela
pourrait donner ceci :
L'absence
de tout bruit de ma part, le fait de ne pas émettre de son par la
voix, de ne pas parler, de ne pas crier, de ne pas même chuchoter,
mon
silence, quoi ?, et
mon trouble, l'état en
moi de ce qui cesse d'être en ordre ou en équilibre et cette
agitation confuse qui en résulte,
cependant, embarrassaient Matilde (Matilde,
ma bergère, ma bobonne, ma gonzesse, ma souris, ah ! Matilde !
celle qui, dans quelques secondes,
allait devenir ma légitime, ma moitié, ma régulière, mon égérie,
qui sait ? ma muse ? ;
je me hâtai de dire oui,
comme dans l'égarement d'un rêve. Et
pourtant je ne rêvais pas : j'étais épousé, marié, maqué,
acliqué.
Mon
âme toute entière était ailleurs (quelque
part au milieu d'un champ de bataille jonché de soldats implorants
et gémissants),
n'importe, le lien est serré, trop
serré mon nœud de cravate dans lequel je passe un doigt mon cou est
en train de gonfler j'étouffe,
je suis l'époux de Matilde ! quand il serait vrai que Delphine
m'aurait aimé quelques instants, elle a senti, je n'en puis douter,
qu'après l'éclat de son aventure, elle serait perdue si elle
n'épousait pas M. de Serbellane ; me
viennent quelques octosyllabes :
Juin
tes rayons m'assourdissent et
Douloureux
brûlent mes tympans
Amer
aérien delirium
J'erre
à travers mon beau pays
Après
avoir marié mon cœur.
(merci
Guillaume) mais si je
savais au moins qu'elle m'a regretté : indigne faiblesse !
Delphine m'a trompé, la nature n'a plus rien de vrai.
Et maintenant...
À vous de jouer - et
d'écrire,
À vos claviers, plumes
et stylos !
Bibliographie
:
>
BEAUMARCHAIS Jean-Pierre de, COUTY Daniel, REY Alain, 1994.
Dictionnaire
des littératures de langue française.
Paris, Bordas, nouv. éd. mise à jour et enrichie, 4 vol., t. 4, pp.
2360-2368.
>
BOURDEREAU Frédéric, FOZZA Jean-Claude, [et al.], 1996. Précis
de français : langue et littérature.
Paris, Nathan (coll. Repères pratiques Nathan), p. 106.
>
Encyclopædia
Universalis 2009, édition numérique. Articles intitulé : Staël
(madame de) 1766-1817, Le
Romantisme.
> Le
Grand Robert de la langue française,
2001, 2e éd.
6 vol.
>
LITTRÉ Paul-Émile, 1991 (1866-1877). Dictionnaire
de la langue française.
Chicago,
Encyclopaedia Britannica Inc. Nouv. éd. 6 vol. + 1 supplément, t.
6, p. 5623.
> Le
Petit Robert des noms propres,
2007.
> REY
Alain (dir.), 1994. Dictionnaire
historique de la langue française.
Paris, Le Robert. 2 vol., t.
2, p. 1828.
>
STAËL-HOLSTEIN Mme de. Delphine. Édition de 1809 (à Paris :
chez H. Nicolle) en 2 vol. (281 et 303 p.) librement consultable sur
internet à l'adresse suivante : Gallica.bnf.fr
>
THERON Michel, [199-?]. 99
réponses sur les procédés de style.
Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation
Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du
Languedoc-Roussillon) du L.-R., fiche 24.
Contact
: numencegalerielitteraire@gmail.com
L
a P U B L i
a n c e
atelier
d'écriture et publication
.
. . . . . .
. .
e n l i g n e . . .
. . . . . .
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire