mardi 4 novembre 2014

L'allusion, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Je me souviens qu'il était impossible de circuler sur les Champs-Élysées en ce 14 juillet »

L'allusion

Une allusion est une figure de rhétorique par laquelle on évoque une personne ou une chose connue sans la nommer. C'est une figure d'expression qui concerne le changement intervenant dans la signification du mot. L'énoncé, par allusion, est implicite et tacite.

L'allusion suggère plus qu'elle ne figure, elle évoque plus qu'elle ne mentionne, telles la métalepse (qui est une variante de la métonymie et qui consiste à faire entendre une chose en exprimant ce qui l'amène ou la précède, ou bien ce qui la suit ; exemple : « Il a vécu », pour « Il est mort »), l'allégorie (qui est une succession de métaphores interprétées de manière littérale et figurée ; exemple : « les orages du cœur », « les éclairs de colère », « la foudre des décisions » pour décrire « une tempête intérieure »), la comparaison (exemple : « Ta chevelure flamboie comme un soleil couchant ») ou l'ellipse (exemple : « La peur d'être déplacé, d'avoir honte », pour : « J'avais peur de paraître déplacé, j'avais peur d'avoir honte »).

« Je me souviens qu'il était impossible de circuler sur les Champs-Élysées en ce 14 juillet. »La phrase est une allusion au jour de la fête nationale française (le 14 juillet), et au fait
que
ce jour-là, l'avenue des Champs-Élysées (la plus large de la capitale Paris)
est fermée à la circulation à cause des défilés et des parades militaires.

D'abord jeu de mots ou badinage à la Renaissance française, l'allusion a ensuite dérivé vers le sous-entendu à partir du XVIIe siècle. Traversant les siècles à travers les locutions figurées ou les expressions dans le langage populaire, elle est devenue une nuance du concept d'intertexte à la fin du XXe siècle.

DU BADINAGE AU SOUS-ENTENDU

Le nom féminin une allusion est un emprunt à la Renaissance (1558) au bas latin « allusio » (jeu), de ad- (à) et ludus (jeu), notamment « jeu verbal », allusion de mots ou jeu de mots, badinage (employé au sens de « sottise » jusqu'en 1674, parole qui dénote un manque d'intelligence et de jugement, un caractère stupide, il prend ensuite le sens de « propos enjoué »), discours léger, amusement, plaisanterie. Le mot signifie à la fois « jeu de mots plaisant » et « expression qui éveille une idée, sans désigner clairement ».

« Imitons de Marot l'élégant badinage ;
Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf. »
[Allusions à la clarté de la prose épurée de Clément Marot (poète français, 1496-1544), opposée à celle des plaisants du Pont-Neuf : premier pont parisien sans immeubles, achevé en 1607, pourvu de trottoirs et élargi par des demi-lunes, et qui fut longtemps un lieu de promenade, très animé par des comédiens comiques ou des bouffons « sur deux tréteaux montés ».]

Extrait de : L'art poétique (1674), de Nicolas Boileau (Paris, Paul Masgana,
édition de 1840,
p. 6).

Vers le milieu du XVIIe siècle (1671), on passe au sens moderne de « sous-entendu » ; sous-entendu d'un mot (action d'utiliser les différents sens d'un même mot) ou d'une parole (action de faire comprendre une chose sans la dire explicitement).

« À l'abri de ce badinage, je dis des vérités. »

Extrait de : Lettres, 11 janvier 1732, de Voltaire [écrivain français, 1694-1778, auteur de Candide (1759), de Contes philosophiques, etc., élu directeur de l'Académie française en 1746, considéré comme « l'homme universel » et le champion de la tolérance].

LOCUTION OU EXPRESSION FIGURÉE

La locution figurée est une manière de s'exprimer (une expression figurée), notamment au moyen d'une figure de rhétorique (la métaphore, la comparaison, la métonymie, etc.), qui utilise un langage essentiellement allusif (exemples : « La bouteille à la mer », « Changer de disque », « Revenir à la case départ »).

« La bouteille à la mer » est « Un message désespéré, sans destinataire certain ». L'expression est une allusion au message enfermé par un naufragé dans une bouteille, et jeté à la mer avec l'espoir que quelqu'un la recueillera.

« Changer de disque » qui signifie « Parler d'autre chose », « Cesser de répéter quelque chose » est une expression qui associe l'allusion à la machine parlante (évocatrice du caractère mécanique de la répétition, et plus concrètement, de la circularité) et l'allusion à la chanson qui revient inlassablement : « C'est toujours la même chanson », « Chanter la même chanson » (« chanson » est alors synonyme de « histoire », le mot « chanson » signifiant à la fois « les paroles » et « la mélodie »).

L'expression « Revenir à la case départ » ou « Retour à la case départ » signifie « Revenir à une situation que l'on croyait dépassée », et elle est une allusion aux règles du jeu de l'oie où certaines cases du parcours contiennent cette injonction.

La locution (qui suppose l'effacement de la source individuelle) est différente de la citation (dont la source est identifiée voire prestigieuse ; exemple : « La cigale ayant chanté tout l'été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue », extrait de la fable : La cigale et la fourmi, de Jean de La Fontaine) ; elle est aussi différente du proverbe ou du dicton qui expriment une vérité d'expérience ou un conseil de sagesse pratique et populaire commun à tout un groupe social ; exemples : « La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre », « L'habit ne fait pas le moine », « À chaque jour suffit sa peine », etc.

INTERTEXTUALITÉ

Dans le domaine de l'intertextualité (concept de critique littéraire en cours de redéfinition et de refonte depuis les années 1980), l'allusion correspond à un degré dans la relation entre deux ou plusieurs textes, au même titre que la citation (relation la plus explicite et la plus littérale), la référence (relation explicite, mais non littérale), et le plagiat (en tant qu'emprunt non déclaré et non explicite mais encore littéral), selon Michaël Riffaterre (La production du texte, 1979 ; La syllepse intertextuelle, 1979 ; La trace de l'intertexte, 1979), ou encore Gérard Genette (Palimpsestes, 1982).

Ainsi, lorsque Boileau écrit à Louis XIV : « Au récit que pour toi je suis prêt d'entreprendre / Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre (...) », ces rochers mobiles et attentifs paraîtront sans doute absurdes à qui ignore les légendes d'Orphée et d'Amphion
(Gérard Genette,
Palimpsestes, 1982).

L'allusion est la forme la moins explicite et la moins littérale de l'intertexte, de la relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, de la présence « effective » d'un texte dans un autre. L'allusion est à la fois non littérale et non explicite, selon Annick Bouillaguet (Marcel Proust : le jeu intertextuel et les domaines de l'emprunt, 1990). Appliqué à l'univers romanesque du texte proustien par exemple, cette classification des emprunts intertextuels (la citation – la référence – le plagiat – l'allusion) par le croisement des deux notions de « littéral » et « d'explicite », permet l'élucidation raisonnée d'un nombre considérable de phénomènes textuels restés jusque-là inaperçus ou énigmatiques.

L'allusion est un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre un texte et un autre (présent en lui), auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable.

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Consigne :

Transformer les phrases allusives (les allusions) de l'extrait de texte ci-après, en phrases explicites et descriptives. Le texte est extrait de : La soif ricane..., in La dame à la louve : recueil de nouvelles, de Renée Vivien (Paris : A. Lemerre, 1904, pp. 25-26).

« Quel étrange coucher de soleil ! » dis-je à Polly.
Nous cheminions sur nos mulets accablés de lassitude et de chaleur.
« Imbécile ! » grommela ma compagne. « Tu ne vois donc pas que la lueur est à l'est.
- Ce serait l'aurore, dans ce cas-là. Je dois être saoul. Et, pourtant, je n'ai pas bu de la journée. »
La marche somnolente des mulets berçait agréablement mes songes.
Nous étions en pleine prairie... Devant nous, un désert d'herbe pâle. Derrière nous, un océan d'herbe pâle. Autour de nous rôdait la Soif. Je voyais remuer ses lèvres sèches. J'entendais ses grelottements de fièvre. Polly, la garce aux cheveux de paille, ne la voyait point, ce qui, d'ailleurs, n'a rien d'étonnant. Poly n'a jamais pu voir plus loin que le bout de son nez rouge de grand air et de soleil.
Je me retournai sur ma selle, en tirant avec force les rênes.
« Pourquoi t'arrêtes-tu ? » me demanda Polly.
« Je regarde la Soif. Sa robe est grise comme l'herbe sèche là-bas. Elle grimace. Elle ricane. Les contorsions de sa carcasse me font peur. Elle est bien laide, la Soif. »
Polly haussa lourdement ses lourdes épaules.
« Tu es fou, Jim. Il n'y a que les nigauds de ton espèce pour avoir comme ça des cauchemars en plein jour. »

Cela pourrait donner ceci :

« L'air surchauffé tremblote devant l'astre rond et blanc, soleil pâle dont la chaleur embrase l'air environnant. Je ne me souviens pas qu'un soleil couchant soit aussi blanc que celui-ci. Qu'en penses-tu Polly chéri ? » demandai-je à ma compagne.
Nous cheminions sur nos mulets accablés de lassitude et de chaleur. Nous étions partis du ranch à l'aube, lorsque la fraîcheur régnait encore sur le monde.
« Tu n'es qu'un imbécile, Jim ! » grommela Polly. « Tu ne vois donc pas que la lueur est à l'est, et que par conséquent, le soleil que tu vois est en train d'apparaître ? »
- Ce serait l'aurore, dans ce cas-là. C'est atroce, la journée ne fait que commencer et elle me paraît déjà si longue... Je dois être saoul. Et, pourtant, je n'ai pas bu d'alcool depuis le dîner. »
La marche somnolente des mulets berçait agréablement mes songes.
Nous étions en pleine prairie, nos sens étaient engourdis par l'excès de chaleur, l'absence de sons, sinon le bruit étouffé par le sable des sabots de nos mulets. Devant nous, un désert d'herbe pâle. Derrière nous, un océan d'herbe pâle. Etc.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie :

Dictionnaire de proverbes et dictons, choisis et présentés par Florence Montreynaud, Agnès Pierron et François Suzzoni, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2007, pp. 10, 95, 99.

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 26.

Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article intitulé : Théorie de l'intertextualité, de Pierre-Marc de Biasi.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 1, p. 385, t. 6, p. 623.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 172.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain), CHANTREAU (Sophie), Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2009, pp. 102, 133, 146, 285.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 51.

THERON Michel, 99 réponses sur les procédés de style. Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon) du L.-R. Fiches 41, 70 et 71.

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