vendredi 12 décembre 2014

L'apostrophe, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Je l'aurais volontiers giflé, mademoiselle, gifle qu'il n'aurait pas volé »

L'apostrophe

Outre sa signification courante dans la langue française d'interpellation verbale brusque et/ou volontairement désagréable, le terme a trois sens possibles : en orthographe, une apostrophe est une marque orthographique (exemple : « ' » dans l'été) ; en grammaire, l'apostrophe est une apposition (un nom mis en apostrophe, par exemple : J'ai murmuré, Richard..., j'ai mal aux pieds) ; et en rhétorique, l'apostrophe est une figure de style.

En orthographe, l'apostrophe notant l'élision (exemple : l'enfant, pour le enfant, l'homme, pour le homme, etc.) se met en place dans le premier tiers du XVIe siècle. Jacques Peletier1, dans son Dialogue sur l'orthographe (Lyon, Jean de Tournes, 1555), dit qu'elle a été inventée de son temps, en tant que marque orthographique qui détourne et remplace la lettre élidée.

En grammaire, on dit qu'un mot est mis en apostrophe quand il sert à désigner par son nom ou son titre la personne (ou ce qui est assimilé à une personne) à qui on s'adresse au cours de la conversation (exemples : Pardon Monsieur ! ; Jacques, tais-toi!).

APOSTROPHE, APOSTROPHER ET APPOSITION

Le nom et le verbe ont eu en français classique (à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle) le sens de « soufflet, coup du plat ou du revers de la main appliqué sur la joue, claque, gifle » (1661), « souffleter, frapper d'un soufflet, gifler, battre » (1740). Ces emplois ont disparu vers la fin du XVIIIe siècle.

On ne confondra pas l'apostrophe avec des phrases exclamatives comme l'injure : Imbécile ! regarde un peu où tu marches !

On ne confondra pas non plus l'apostrophe avec l'apposition. L'apposition peut être conservée dans le discours indirect, tandis que l'apostrophe ne le peut pas. Dans l'exemple : J'ai dit : « Thérèse, vous vous trompez. », le nom propre Thérèse est une apostrophe, car on ne peut pas dire : J'ai dit à Thérèse que vous vous trompiez, sans changer le sens de la phrase ; dans cet exemple, quoique Thérèse représente la même réalité que vous, les deux mots ne sont pas en rapport grammatical l'un avec l'autre. Dans la phrase : J'ai dit : « Jean, je suis fatiguée. » Jean est une apposition et non une apostrophe. En effet, on peut passer du discours direct au discours indirect sans changer le sens de la phrase : J'ai dit à Jean que j'étais fatiguée.

Bonjour, tous !
Bonjour, vous !

Ami, je t'aime pour ton caractère sérieux.

Bonsoir, fils.

Le mot mis en apostrophe peut être un nom ou un pronom (ou un syntagme nominal ou pronominal) désignant l'être animé ou la chose personnifiée à qui on s'adresse. Exemples : Ton espérance, ma colombe, est un roseau ; Lune, quel esprit sombre / Promène au bout d'un fil, / Dans l'ombre, / Ta face et ton profil, extrait de : Premières poésies (1829-1835), Ballade à la lune, d'Alfred de Musset. Le mot en apostrophe appartient à la deuxième personne grammaticale.

LA MITRAILLE DE L'ÉLOQUENCE

(…) l'apostrophe, une des plus puissantes machines de la rhétorique (…) l'apostrophe, c'est la mitraille de l'éloquence (…) C'est, comme vous savez, une figure au moyen de laquelle on a trouvé le secret de parler aux gens qui ne sont pas là, de lier conversation avec toute la nature, interroger au loin les morts et les vivants.

Extrait de : Pamphlets politiques (1816-1824), X, de Paul-Louis Courier2.

En rhétorique, l'apostrophe est une figure par laquelle on s'adresse à des personnes absentes ou à des êtres abstraits (exemples : Ô Rage, ô Désespoir, ô Vieillesse ennemie). C'est une figure par laquelle l'orateur, s'interrompant tout à coup, adresse la parole à quelqu'un ou à quelque chose.

Les mots mis en apostrophe ne sont pas d'ordinaire suivis d'un point d'exclamation, quoique cela se trouve parfois, les mots mis en apostrophe étant considérés comme une sous-phrase ou même comme une phrase interpellative (exemple : Mais ce que j'ai, mon Dieu, je vous le donne). Lorsque le mot en apostrophe est précédé de ô, qui introduit surtout des invocations religieuses ou poétiques, le point d'exclamation est fréquent, sans être obligatoire. Exemples : « Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? » extrait de : Poésies nouvelles (1836-1852), Nuit d'août, d'Alfred de Musset ; « Ô véritable ami, votre nom est comme un parfum répandu », extrait de : Corona benignitatis anni Dei (Couronne de bénignité de l'an de Dieu, 1915, p. 54), de Paul Claudel, ou, « Ô mon maître ! donnez-moi de ce pain à manger », (ibid, p. 61).

Les mots mis en apostrophe sont généralement encadrés de virgules, sauf s'il y a une autre ponctuation (exemple : Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille, extrait de : Les fleurs du mal (1857), Recueillement, de Charles Baudelaire).

APO ET STROPHÊ

Comme beaucoup d'autres mots de rhétorique, le nom féminin « une apostrophe » est un emprunt au grec « apostrophê » (action de (se) détourner, vers celui qu'on interpelle). Mot indo-européen sans origine connue, passé par le latin « apostropha », puis un hellénisme de la Renaissance (1516), il est composé de « apo- » (éloigner, écarter) et de « strophê » (évolution, tour dans le sens de tourner). Dans l'usage général, le mot désigne (1738) une attaque verbale brusque. En rhétorique, c'est la figure par laquelle on se « détourne » du développement principal, pour s'adresser à quelqu'un et l'interpeller. Exemple : Je lui aurais volontiers envoyé, mademoiselle !, pardonnez-moi l'expression, cinq ou six coups de pieds au derrière.

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Note

1. Jacques Peletier du Mans est un humaniste français (1517-1582) traducteur d'Horace (poète épicurien latin qui vécu entre 65 et 8 avant J.-C.) et auteur de Oeuvres poétiques (1547) puis de Art poétique français (1555) qui tentent de concilier les poètes anciens et ceux de la Pléiade. D'abord nommée la Brigade, la Pléiade est un groupe de sept poètes considérés comme une constellation poétique, et constitué de : Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay, Pontus de Tyard, Jean Antoine de Baïf, Étienne Jodelle, Rémi Belleau (qui remplaça en 1554 Jean Bastier de La Péruse) et Jacques Peletier du Mans (qui remplaça en 1555 Guillaume Des Autels).

2. Paul-Louis Courier est un pamphlétaire et un épistolier français (1772-1825) imprégné de culture humaniste et traducteur des auteurs grecs (Hérodote, Longus, Lucius de Patras et Xénophon) dont il voulut imiter l'élégante clarté.

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Consigne : introduire des apostrophes dans l'extrait de texte suivant, de manière à en dynamiser ou à en diversifier le rythme. Extrait de : Œuvres, Les pastorales de Longus, ou Daphnis et Chloé, livre premier (pp. 348-349) de Paul-Louis Courier (Paris, Firmin-Didot, 1877). À noter : un hallier est un groupe de buissons serrés et touffus.

En cette terre, un chevrier nommé Lamon, gardant son troupeau, trouva un petit enfant qu'une de ses chèvres allaitait, et voici la manière comment. Il y avait un hallier fort épais de ronces et d'épines, tout couvert par-dessus de lierre, et au-dessous la terre feutrée d'herbe menue et délicate, sur laquelle était le petit enfant gisant. Là s'en courait, cette chèvre, de sorte que bien souvent on ne savait ce qu'elle devenait, et abandonnant son chevreau, se tenait auprès de l'enfant. Pitié vint à Lamon du chevreau délaissé. Un jour il prend garde par où elle allait, sur le chaud du midi ; la suivant à la trace, il voit comme elle entrait sous le hallier doucement, et passait ses pattes tout beau par-dessus l'enfant, peur de lui faire mal, et l'enfant prenait à belles mains son pis comme si c'eût été mamelle de nourrice. Surpris, ainsi qu'on peut penser, il approche, et trouve que c'était un petit garçon beau, bien fait, et en plus riche maillot que convenir ne semblait à tel abandon ; car il était enveloppé d'un mantelet de pourpre avec une agrafe d'or ; près de lui était un petit couteau à manche d'ivoire.

Cela pourrait donner ceci :

En cette terre, O bonheur naissant ! un chevrier nommé Lamon, gardant son troupeau, trouva un petit enfant qu'une de ses chèvres allaitait, et voici la manière comment. Il y avait un hallier, mon Dieu, fort épais de ronces et d'épines, tout couvert par-dessus de lierre, et au-dessous la terre feutrée d'herbe menue et délicate, sur laquelle était le petit enfant gisant, oui monsieur ! Là s'en courait, cette chèvre, etc.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie :

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 44.

Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article intitulé : Orthographe, de Liselotte Biedermann-Pasques et Fabrice Jejcic.

Gallica.bnf.fr (site internet), bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 1, p. 634.

GREVISSE (Maurice), GOOSSE (André), Le bon usage : grammaire française, 13ème édition, Paris, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1993, pp. 155, 162, 369, 877.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 246.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 91.

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