lundi 2 février 2015

Allégorie, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
. . . . . . . . e n – l i g n e . . . . . . . .

« Capitaine d'un navire en pleine tempête intérieure, je naviguais, secouée par des orages de cœur, aveuglée par des éclairs de colère, et je prenais mes décisions avec la précision et la rapidité de la foudre. »

Allégorie

Dans la rhétorique antique1, l'allégorie fait partie des 13 figures ou tropes2, qui rassemblaient 13 figures de style : l'onomatopée, la catachrèse, l'épithète, la métaphore, la périphrase, la métalepse, la métonymie, l'antonomase, l'hyperbate, la fable, l'hyperbole et la synecdoque.

Cette jeune plante, ainsi arrosée des eaux du ciel, ne fut pas longtemps sans porter des fruits.

Bossuet3 cité par Antoine Albalat, dans : L'art d'écrire enseigné en vingt leçons (1924, p. 277).

Au XIXe siècle, une allégorie est une sorte de métaphore4 continuée, une espèce de discours qui est d'abord présenté sous un sens propre, et qui ne sert que de comparaison pour donner l'intelligence d'un autre sens qu'on n'exprime point. Quand Pythagore5 disait : N'attisez point le feu avec l'épée, il voulait dire : Ne donnez pas des armes à des gens en colère ; il n'interdisait pas d'employer une épée pour attiser un feu. C'est une figure de style qui procède par analogie, par laquelle on représente un objet pour donner l'idée d'un autre

Au XXe siècle et en linguistique, une allégorie est une description ou un récit consistant en la personnification d'un être abstrait (la justice, la guerre, etc.) dans une suite de métaphores (par l'emploi de mots concrets pour exprimer des notions abstraites), en général à valeur didactique (en vue d'un apprentissage par la parabole, le proverbe ou la fable).

D'une manière plus générale et en littérature, une allégorie est une narration mettant en œuvre des éléments concrets, de manière cohérente (selon une isotopie6), chaque élément correspondant métaphoriquement ou symboliquement7 à un contenu de nature différente, en général abstrait.

AGORA ET DISCOURS MÉTAPHORIQUE

Étymologiquement, le nom féminin allégorie vient (1119) par le latin allegoria, du grec tardif allêgoria, dérivé du verbe allêgorein (parler par figures), composé de allos (autre) et de agoreuein (parler, parler en public), dérivé de agora (place publique et assemblée du peuple). L'allégorie est donc une « parole différente ».

Employé en français aux sens grec et latin de « discours métaphorique », le mot se spécialise dans l'usage classique (XVIIe siècle) pour désigner une narration dont tous les éléments concrets organisent un contenu différent, souvent abstrait.

Par ailleurs, allégorie désigne aussi une œuvre littéraire utilisant ce mode d'expression, ce type de narration, on parle alors de narration allégorique.

L'ALLÉGORIE MÉDIÉVALE

Le Roman de la Rose (roman en octosyllabes commencé vers 1220 par Guillaume de Lorris, et continué par Jean de Meung vers 1275) est une belle et longue allégorie de l'amour. Bien des œuvres médiévales rebutent le lecteur moderne par leur forme allégorique, étrangère à ses habitudes intellectuelles. Au moyen âge, l'allégorie n'est pas un « genre », mais une forme d'écriture et une structure sémantique qui pénètre tous les genres. L'allégorie médiévale se distingue par son extrême degré de codification et par sa complexité, car elle n'est pas uniquement procédé littéraire de représentation, mais aussi moyen d'explication et de connaissance du monde, expression d'une « mentalité » soucieuse de trouver partout les correspondances entre la matière et l'esprit, entre le cœur et la raison, entre le concret et l'abstrait, entre l'amour (courtois et raffiné) et la nature (la raison, le rationnel).

Ci est le Rommant de la Rose,
Où tout l'art d'Amours est enclose.
Maintes gens disent que les songes
Ne sont que fables et mensonges ;
Mais on peut tels songes rêver,
Qui ne sont pas mensongers ;
Extrait de : Le roman de la rose (1220-1275), par Guillaume de Lorris et Jean de Meung (Paris, Fournier et Didot, 1799, p. 73).

L'allégorie est issue d'une très ancienne tradition : née en Grèce chez les commentateurs d'Homère (poète ionien qui vécut au IXe siècle av. J.-C., à qui l'on attribue l'Iliade et l'Odyssée, et auteur de très populaires Épopées), elle est adoptée par la théologie chrétienne comme lecture privilégiée du texte sacré. Elle relève de deux courants de réflexion qui se rejoignent au XIIe siècle : l'héritage de la rhétorique antique perpétuée dans les écoles, et le travail d'exégèse biblique (interprétation d'un texte religieux dont le sens et la portée sont obscurs ou sujets à discussion).

Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.

Extrait d'un rondeau : Le temps a laissé son manteau, de Charles d'Orléans [1391-1465], dans : Dictionnaire anthologique des classiques de la poésie française,
éd. Pierre Ripert (Maxi-Livres-Profrance, 2001, p. 49).

La finalité de l'allégorie est la création d'un double sens, qui passe par l'affirmation explicite de la nécessité de lire au-delà du sens immédiat (à cause d'invraisemblance ou d'insuffisance du sens premier, ou à cause d'oppositions lexicales : lettre-vérité, matière-sentence), afin de révéler ou de désigner une signification cachée. L'allégorie se construit par une juxtaposition d'images (métaphores narratives ou métaphores descriptives) et leur commentaire.

Elle peut procéder par personnification, avec laquelle elle est souvent et sommairement confondue : la notion prend l'apparence concrète d'un être animé dont les actions ou l'aspect engendrent un sens métaphorique. L'allégorie par la personnification d'une notion offre simultanément la signification, l'idée et la représentation de cette notion. Exemple avec l'hypocrisie personnifiée par le renard, dont la ruse (la ruse supposée du renard) est le comportement de tous les hypocrites, et la chasse (la chasse au renard) celui des hommes victimes de la satire (hommes chassés de la société humaine par la satire des hypocrites, mais aussi hommes qui partent en chasse contre la satire et contre l'hypocrisie humaine).

Du XIIIe siècle au XVe siècle, l'allégorie est l'un des procédés littéraires les plus conscients, les plus sophistiqués et les plus originaux. Répondant à un désir de rationalisation de l'univers, elle cherche à créer des liens entre la représentation de la réalité et l'abstraction. Elle est la solution du moyen âge à un problème important du langage et de la littérature : faire voir par l'intermédiaire des mots, donner au signifié une existence palpable, combler le fossé entre le texte et l'image. Aux siècles suivants, l'allégorie ne mourra pas, certes, mais elle deviendra un jeu et elle perdra cette référence à l'harmonie de l'univers qui faisait sa grandeur.

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Notes

1. Rhétorique antique : la rhétorique est l'art de bien dire ou l'art de parler de manière à persuader. On appelle rhétorique l'ensemble des procédés constituant l'art oratoire, l'art du bien dire. La rhétorique comporte trois composantes essentielles : l'invention (thèmes et arguments), la disposition (arrangement des parties), et surtout l'élocution (choix et disposition des mots ; étude des figures ou tropes) ; on y ajoute parfois la prononciation (ou mode d'énonciation) et la mémoire (ou mémorisation). Dans l'antiquité gréco-romaine, Quintilien (rhéteur latin, vers 30 – vers 100), Aristote (philosophe grec, -324 - -322), Cicéron (homme politique et orateur latin, -106 - -43), Longin (philosophe et rhéteur grec, vers 213 - 273), Gorgias (sophiste grec, - 487 - -380), etc. furent des rhéteurs célèbres.

2. Un trope est une figure de rhétorique par laquelle un mot ou une expression sont détournés de leur sens propre.

3. Jacques Bénigne Bossuet est un prélat, un théologien et un écrivain français (1627-1704), entré à l'Académie française en 1671. Auteur de Sermons, d'Oraisons funèbres (1656-1687), d'un Discours sur l'histoire universelle (1681), d'une Déclaration du clergé de France (1682), etc. Dans ses œuvres parlées, une période (une période est une phrase complexe dont les membres composants sont groupés de telle façon que, si variés qu'ils soient dans leur structure, leur assemblage donne une impression d'équilibre et d'unité) une période puissamment rythmée, aux accents expressifs, un vocabulaire riche et adapté à l'auditoire et le lyrisme des images donnent au discours un pouvoir poétique indiscutable.

4. Une métaphore est une figure de rhétorique qui consiste à désigner un objet du nom d'un autre objet présentant avec le premier des rapports d'analogie. Dans l'exemple suivant : « La mort de sa tante fut pour la jeune fille une source de chagrins », « une source de chagrins » est la métaphore par analogie de « la mort de sa tante ».

5. Pythagore est un philosophe et un mathématicien grec (-VIe siècle) dont la vie et l’œuvre sont mal connues. Les découvertes qu'on lui attribue sont certainement dues à l'ensemble de l'école pythagoricienne : les théorèmes (mis en ordre par Euclide au -IIIe siècle), la découverte de la relation qui existe entre la longueur d'une corde vibrante et la hauteur du son qu'elle émet (acoustique), la théorie des proportions, la table de multiplication, les nombres irrationnels, etc.

6. Une isotopie est le fondement d'un raisonnement, le sujet ou la matière d'un discours. Ce mot a été créé et employé par Algirdas Julien Greimas (sémanticien et sémioticien français, 1917-1992) et ses disciples (l'École de Paris) pour désigner un ensemble de catégories sémantiques (de groupes de significations), repérables en plusieurs points de l'énoncé du discours, qui permettent d'assigner une valeur unique et cohérente aux unités ambiguës dans le discours. Par exemple, l'isotopie « concret » permet de comprendre l'énoncé : « Les Californiens craignent les avocats véreux, qui craignent les fruits nommés avocats lorsqu'ils ont des vers ».

7. Un symbole est un objet ou un fait naturel perceptible et identifiable, qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d'idées « naturelle » (dans un groupe social donné) avec quelque chose d'abstrait ou absent. En littérature et spécialement en poésie, c'est un élément ou un énoncé descriptif ou narratif qui est susceptible d'une double interprétation, sur le plan réaliste et sur le plan des idées. Dans le poème d'Edgar Poe par exemple, le corbeau est le symbole du souvenir. L'allégorie est le développement logique, systématique et détaillé du symbole. Dans la poésie lyrique par exemple, l'image allégorique de la rose apparaît souvent comme le symbole de la beauté, de la pureté ou de l'amour.

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Consigne : choisir une notion parmi les notions proposées. Puis, jeter (écrire) sur le papier (ou sur l'écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son mobile) les mots, les phrases ou les lambeaux de phrases, les images ou les idées (empruntées - ou non, à des écrivains), qui viennent à la suite de ce choix (laisser parler son imaginaire, sa raison, son inconscient et son cœur). Ensuite, construire des allégories à partir de ce réservoir de mots et de groupes de mots. Pour s'aider, on peut avoir dans l'idée de créer (de recréer ?) un univers, en concrétisant la notion par l'image, en la personnifiant, en l'animant d'un corps, d'un esprit, d'une parole, d'un caractère... Enfin, composer un texte de quelques phrases, un texte allégorique.

Notions proposées : le bonheur, la joie, la mort, la nuit, le temps, la colère, etc.

Avec « la nuit », cela pourrait donner cela :

Allégories : une nuit blanche, une nuit calme et sereine, la nuit vient brusquement, se laisser surprendre par la nuit, nuit d'encre, profonde, une nuit chaude et étouffante qui monte de la terre, le chant de la terre, la nuit allume ses premières étoiles, la nuit guidant son cortège d'étoiles étincelantes, la nuit pensive, la chevelure sombre d'une nuit sans lune, la pâle nuit lève son front dans les nuées (Victor Hugo), les étoiles et la mort filles feux de la nuit, le sommeil fils de la nuit, la grande robe obscure de la nuit (Clément Marot), la douce nuit qui marche (Charles Baudelaire), noir pirate débarquant (Arthur Rimbaud), la nuit qui voile toute beauté toute vérité, la nuit est la paupière du monde et de la lumière, la nuit s'avance lentement, l'immobilité et le silence de la nuit, la nuit consolatrice du jour (Alfred de Vigny), les yeux de la nuit, que les chevaux de la nuit à petits pas réduits en fassent la plus longue des nuits (Molière), cette nuit cruelle qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle (Jean Racine), la beauté brune de la nuit (Bernard de Fontenelle), une silhouette recouverte d'un voile semé d'étoiles portée sur un char traîné par des chevaux noirs, les ailes de la nuit qui n'a point de honte recouvrent moult imperfections et maintes poltronneries (Pierre de Brantôme), etc.

Texte allégorique sur la nuit :

Je te fixe dans les yeux, nuit sombre et pensive dont l'ample chevelure balaye mes doutes comme la queue du chat agacé qui fouette l'air. Je n'y vois plus rien, je ne distingue plus la route devant moi. Une nuit africaine profonde calme et sereine s'est brusquement élevée de la terre, accompagnée des chants de la multitude, guidant son cortège d'étoiles étincelantes et gaies. J'arrête la voiture et je coupe le moteur. Ma nuit est blanche. Toi, l'enfant que je ramène de là-bas, d'un lointain village de brousse, tu dors paisiblement abandonné sur la banquette. Pays en guerre, journaliste de guerre, enfant de roi, enfant de la nuit, nous nous sommes tous laissés surprendre, enfants, rois, journalistes, pays, par une nuit sans fin, noir pirate débarquant et pillant et tuant. Une nuit qui n'a point de honte et dont les ailes recouvrent moult imperfections et maintes poltronneries, moult cris et maintes abominations. Quelle nuit consolatrice verra le jour ? En quel jour reviendront ces beautés brunes ? Dans combien de temps réapparaîtront ces douces nuits dont les fronts pâles s'élèvent dans les nuées ? En attendant cette nuit est cruelle et pour tout un peuple restera une nuit éternelle.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie :

BEAUMARCHAIS (Jean-Pierre de), COUTY (Daniel), REY (Alain), Dictionnaire des littératures de langue française, nouvelle édition mise à jour et enrichie, Paris, Bordas, 1994, 4 vol., t. 1, pp. 30-33.

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 24.

Gallica.bnf.fr (site internet), bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 1, p. 364.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 1, p. 162.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 46.

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