Quel est le cadeau de Noël idéal ?
Celui qui plaît à coup sûr... celui que l'on offre, comme celui
que l'on reçoit. Comment peut-on être certain(e) qu'un cadeau va
plaire à coup sûr ?... Est-ce celui qui est rare et cher ?
Celui qui est beau ? Ou celui qui vient du cœur ? Un peu
de tout cela probablement...
[Tableau 4/4]
Quatre
années ont passé
Je
remets le couvert. Je remets ça. Je fais semblant d'être heureuse.
Je garde le sourire. Je suis ailleurs (où suis-je ?).
Je déterre les vieux secrets de la famille, secrets de famille
enfouis depuis des générations devenus le terreau de la cohésion
présente. Cohésion de façade. J'étouffe.
Crise
d'asthme. Je vais prendre mes médicaments. J'appelle au secours, je
n'appelle plus au secours. Je cherche dans ma mémoire un souvenir
heureux et je cours m'y réfugier. Je garde le sourire pendant le
repas, cela fait maintenant quatre ans que nous sommes mariés, nous
nous sommes mariés le 25 décembre, quatre années ont passé, je
garde le sourire.
Tu
vas aller mieux maintenant que tu as pris tes médicaments pour
l'asthme. Tu es frappée d'amnésie. Tu te crois ailleurs (dans
quel souvenir ?). Tu es convaincue de ne pas arriver
à être toi-même. Tu es toi-même. Tu es toi. Toi être toi. Tu
crains une psychose, une névrose, une mycose du cerveau (vilain
jeu de mots).
Tu
essuies des reproches de tes proches qui te reprochent de ne pas
assez t'amuser, profiter de la vie, mordre dans la vie à pleine
dent. Tu réponds que c'est bien ce que tu essayes de faire, profiter
de la vie, y mordre dedans à pleines dents... c'est bien ce que tu
essayes de faire de toutes tes forces, de toute ta volonté.
Il
en a assez. Il boit pour oublier qu'il en a assez. Il ne sait pas de
quoi. Ça reste un sentiment diffus, coincé bloqué fixé sur toute
la surface de sa peau. Il a enterré plusieurs fois sa vie de garçon
au cours de ces quatre dernières années (il est marié depuis
quatre ans, il fait donc les choses à l'envers). Ou alors, ils
se trompe, il la trompe, sa vie est une tromperie, il se trompe de
vie lorsqu'il trompe sa femme (se serait-il trompé de vie en
épousant quatre ans plus tôt celle qu'il avait rencontré trois
jours auparavant ?).
Il
insiste pour aller au fond des choses. Celles-ci se dérobent.
La
robe de sa femme est magnifique ce soir, sa femme est magnifique. Il
fait très froid dehors.
Elle
est parée habillée coiffée maquillée pour plusieurs fêtes
simultanées : le réveillon de Noël, le jour de son
anniversaire (à lui), leur anniversaire de mariage, la
naissance de leur fils (un 26 décembre), ce fils qui va
fêter son premier anniversaire cette année.
Elle
se mouche discrètement, elle toussote dans son mouchoir, une crise
d'asthme se profile. Qu'est ce qui ne va pas chez elle ? Elle a
tout pour être heureuse, pourtant... elle ne l'est pas. Elle demande
à ce qu'on lui passe le sel.
Le
repas du 24 décembre dure jusqu'à minuit, c'est comme ça.
Elle
n'est pas heureuse, bien qu'elle ait tout pour l'être. C'est comme
ça.
Elle
dépouille un arbre de ses fleurs, de ses fruits et enfin de son
écorce, dans ses cauchemars. Elle croasse comme la corneille, tandis
qu'elle voudrait chanter comme le rossignol. Elle passe les plats.
On
a tout le temps faim. On sort de table en ayant encore faim. On
reprend de chaque plat. On écrit les menus que l'on remplit de tous
ces bons petits plats que nous adorons. On est des gourmands, des
fins gourmets aussi. On se dit que notre gourmandise va passer. On se
tourne vers la médecine la science la raison. On donne raison à
tous ceux qui nous conseillent nous encouragent nous poussent à
lutter contre notre plus grand défaut notre péché notre vice :
manger.
On
représente notre gourmandise comme un défaut alors qu'elle est
notre principale qualité. On dit aux autres d'aller se faire voir.
On leur sourit. On s'écrie bêtement qu'on va réussir. On est
convaincu d'y voir juste, on est juste dans le vrai.
Nous
élevons les conversations qui jusqu'ici tournaient autour de la
nourriture qui se trouve dans nos assiettes. Nous poursuivons un but,
de réveillon en réveillon, de réunion de famille en assemblée
d'actionnaires. Car nous sommes une entreprise une société
industrielle un regroupement d'intérêts. Nous signifions à nos
actionnaires notre prédominance, nous sommes leurs supérieurs de
fait, nous leur révélons par là notre insignifiance, nous avons
cependant malgré eux raison. Nous associons notre nombre à leur
travail, nous sommes les plus forts.
Vous
correspondez à ces insectes nuisibles qui creusent des trous dans la
terre dans les arbres quelquefois dans les rochers. Vous avez beau
jeu de défendre vos intérêts au détriment de ceux des autres.
Votre rôle est de creuser des trous dans la terre. Ainsi l'eau
s'écoule plus facilement vers les racines des arbres. Votre fonction
rappelle celle du ver de terre, nuisible mais utile. Vous agissez
comme le mal pour un bien. Vous pouvez vous regarder dans la glace
chaque matin, mais vous n'êtes pas obligés de le faire. Vous pouvez
très bien vous en passer. Après tout, personne ne vous demande de
vous respecter ni d'éprouver de la dignité. Vous êtes fidèles à
vous-mêmes.
Ils
doivent faire attention. Ils doivent effacer toutes leurs traces. Les
traces de leurs malversations. Ils doivent être capable de voir plus
loin que le bout de leur nez. Ils satisfont à tous les usages à
toutes les mœurs en cours à tous les us et à toutes les coutumes.
Sans se faire prendre. La loi ne dit pas ce qui est légal. Le bien
comme le mal fluctuent comme le cours de la bourse. Ils ont beau jeu
d'observer une morale, c'est juste pour garder le moral, et faire
profil bas. Ils disent la messe et tout est dit. D'ailleurs ils
lèvent leurs verres et ils portent un toast. Cette année aura été
une très bonne année.
Elles
apparaissent toujours à leurs côtés. Elles sont leur
porte-bonheur, leur porte-chance, leur porte-flingue aussi, leur
garde-corps, leur parapet, leur balustrade, leur garde-fou. Elles
sont bien plus encore, mais on ne peut pas tout énumérer. Elles
scrutent l'assemblée avec soin. Elles tapotent des bras, elles
passent entre les convives, elles font des messes basses, elles
interrogent du regard, elles disent des choses sans importance, elles
gravent ces moments dans leurs mémoires.
-
Je ne te distingue plus dans l'obscurité de la voiture.
-
Tu peux poser ta tête sur mon épaule.
Elle
s'approche de lui. Il pose une main sur sa cuisse. On les poursuit
comme on peut (c'est qu'ils vont vite !).
-
Nous regardons dans le rétroviseur.
Ils
tournent à gauche.
-
Vous montrez trop d'inquiétude, disent-ils doucement et à voix
basse.
Elles
les regardent avec tendresse.
-
Je m'approche de toi.
Il
lui fait un signe. Ses yeux brillent de colère.
Elle
n'est pas celle qu'il attendait, celle qu'il désirait.
Il
s'est trompé. Elle n'est pas la femme de ses rêves. Leur mariage
est une erreur. En ce 24 décembre, quatre ans après. Leur mariage
s'avère être une belle et une monumentale erreur.
Dans
une semaine, à nouveau tous réunis pour l'occasion, famille et
belle-famille, tous actionnaires de la même entreprise, ils fêteront
tous ensemble, unis pour le meilleur et pour le pire, la nouvelle
année.
Il
regarde fixement la route qui file devant lui, les deux mains
agrippées au volant.
Elle
regarde fixement devant elle, à essayer de retrouver son souffle.
Elle se contraint à respirer de plus en plus lentement, de plus en
plus posément, de plus en plus amplement.
*
[Fin.]
*
Née
dans les années soixante à Paris, Claude Gontren-Fée est
retraitée. Elle écrit des nouvelles pour le plaisir d'écrire. Elle
aime la poésie de la Renaissance française (Louise Labé, Pernette
du Guillet, etc.), ainsi que les romans policiers contemporains et
scandinaves. De son propre aveu, elle est très gourmande, elle aime
la plupart des pâtisseries,
surtout le Paris-Brest, un
gâteau rond en pâte à chou saupoudré d'amandes.
Elle n'aime pas le
temps
gris et les nuages, sauf les nuages blancs.
Numence
–Galerie–Littéraire
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