vendredi 27 février 2015

La synchyse, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Je tâcherai faire en moi ce bien croître,
Qui seul en toi
me pourra transmuer. »

La synchyse

La synchyse est un terme (vieilli) de grammaire, dont la notion est longuement examinée par Dumarsais1 dans son ouvrage Des tropes (1730) ; étymologiquement, le mot est issu du grec sugkhusis, qui signifie confusion, bouleversement.

Vos grands noms dans le sien revivent aujourd'hui,
Toutes les fois qu'il vainc, vous triomphez en lui ;
Et les hautes vertus que de vous il hérite,
Vous donnent votre part aux encens qu'il mérite.

Extrait de : Poèmes sur les victoires du roi (1667), de Corneille2, cité par Dumarsais dans : Des tropes, chapitre VI : des variations de la construction française en prose (1730), nouvelle édition (Paris, A. Delalain, 1823, p. 348).

Une synchyse est une construction grammaticale inhabituelle de la phrase, dont l'ordre habituel des mots est bouleversé. Une des valeurs de la notion d'ordre s'applique à l'enchaînement des idées ou des faits, enchaînement qui obéit à des exigences logiques ou rationnelles, spécialement en grammaire avec l'apparition (1746) de la notion d'« ordre des mots ».

Le capitaine n'est pas accompli, s'il ne renferme en soi l'homme de bien.
Au lieu de : Si le capitaine ne renferme en soi l'homme de bien, il n'est pas accompli.

Extrait de : Oraisons funèbres, suivies de l'oraison funèbre de Turenne (1672), de Fléchier3, cité par Dumarsais (ibid, p. 345).

(…) Quand je considère, dis-je, que celle dont nous regrettons la mort est vivante en Dieu, puis-je croire que nous l'ayons perdue ?
Au lieu de : Puis-je croire que nous ayons perdu celle dont nous regrettons la mort, quand je considère, dis-je, qu'elle est vivante en Dieu ?

Extrait de : Oraison funèbre de Madame la Dauphine (1672), de Fléchier, cité par Dumarsais (ibid, p. 347).

Les vers de Pernette du Guillet4, poétesse lyonnaise du XVIe siècle, sont parsemés de nombreuses synchyses : « Je tâcherai faire en moi ce bien croître, qui seul en toi me pourra transmuer », au lieu de « Je tâcherai [de] faire croître ce bien en moi, qui seul en toi pourra me transmuer », extrait de : Rymes (V, p. 36) de gentille et vertueuse Dame D. Pernette du Guillet, lyonnaise, dans : Oeuvres poétiques, de Louise Labé ; précédées des Rymes de Pernette du Guillet (édition de 1983 revue par Françoise Charpentier, Paris, Gallimard, 2007, collection Poésie).

VICE DE STYLE OU VIVACITÉ DU DISCOURS

La synchyse est considéré par Émile Littré dans son Dictionnaire de la langue française (1863-1873) comme « une figure de construction ou plutôt un vice de style par lequel, en détruisant l'ordre naturel des mots, on rend la phrase difficile à comprendre ». Hors la maladresse grammaticale, la synchyse est une figure de rhétorique construite dans le but d'obtenir un effet : placer une rime, mettre en valeur un mot, nuancer le sens général de la phrase, attirer l'attention sur un mot ou un groupe de mots, etc. Selon Dumarsais, « on ne doit employer l'inversion que pour la clarté, ou l'énergie, ou l'harmonie du style » (ibid, p. 354), car : « Que deviendrait l'éloquence sans ces inversions ? Ne sont-ce pas elles qui donnent de la vie, de l'âme, du nerf au discours ; qui le rendent piquant, en offrant d'abord à l'attention ce qui peut attirer l'esprit avec plus de force ? » (ibid, p. 345).

L'ORDRE DES MOTS

Il existe un ordre logique de la phrase, un ordre direct : la langue française commence la phrase en nommant le sujet du discours, vient ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action. Exemple : « L'ordre est l'ami de la raison, et son propre objet » (Bossuet). L'ordre des mots dans la phrase peut être ascendant (le mot qui régit est placé après celui qui est régi), ou descendant (le mot qui régit est placé au début de la phrase). Exemples : « L'ordre est l'ami de la raison » (ordre ascendant de la phrase car le groupe de mots « l'ami de la raison » (qui régit le mot « ordre ») est placé après celui-ci) ; « L'ami de la raison l'ordre l'est » (ordre descendant de la phrase car le groupe de mots « l'ami de la raison » qui régit le mot « ordre » est placé au début de la phrase).

Pour contenter celui qui me tourmente,
Chercher ne veux remède à mon tourment :
Car, en mon mal voyant qu'il se contente,

Contente suis de son contentement.

Extrait de : Rymes (XV, p. 40), de gentille et vertueuse Dame D. Pernette du Guillet, lyonnaise, dans : Oeuvres poétiques, de Louise Labé ; précédées des Rymes de Pernette du Guillet (édition de 1983 revue par Françoise Charpentier, Paris, Gallimard, 2007, collection Poésie).

Dans la chaîne parlée et sa représentation linéaire écrite, les mots apparaissent dans la phrase les uns après les autres : ils se présentent dans un certain ordre. Dès que cet ordre tend à être habituel, tout changement, tout déplacement se présente comme une inversion pouvant avoir une valeur expressive.

Dans une langue donnée, quand il existe une certaine liberté dans l'ordre des mots, on parle d'ordre grammatical ou d'ordre canonique pour celui qui est le plus conforme aux règles générales de la langue ; d'ordre logique pour celui qui paraît conforme à la démarche supposée de la pensée ; et d'ordre psychologique pour celui qui résulte de l'état d'esprit de celui qui parle.

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Notes

1. César Chesneau Dumarsais est un grammairien français (1676-1756), auteur du Traité des tropes, ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue (1730), chargé par Diderot et d'Alembert de la partie grammaticale de l'Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772), dont il en écrit environ 150 articles.

2. Pierre Corneille est un poète dramatique français (1606-1684), entré à l'Académie française en 1647, et auteur de comédies : Mélite (1629), La Place royale (1634), etc., de tragi-comédies : Clitandre (1630), Le Cid (1636), d'une féérie : L'Illusion comique (1636), et de nombreuses tragédies : Médée (1635), Horace (1640), Cinna ou la Clémence d'Auguste (1642), Polyeucte (1643), Rodogune, princesse des Parthes (1644), Suréna (1674), etc. La puissance et la rigueur de son style, au rythme parfois insistant ou au lyrisme retenu, et la magnificence de sa métrique en font un des tout premiers poètes et hommes de théâtre classiques de son temps.

3. Esprit Fléchier est un prédicateur et un narrateur français (1632-1710) entré à l'Académie française en 1673. Il est l'auteur de Lettres, Portraits, Mémoires, Sermons et Oraisons funèbres, d'une éloquence ingénieuse (goût des antithèses) et nuancée.

4. Pernette du Guillet est une poétesse française (1518 ou 1520-1545) du XVIe siècle. En 1536, elle rencontre Maurice Scève (érudit et poète français, 1501-vers 1564), qui se fait son initiateur en poésie et en amour. Les deux poètes resteront de fidèles, et probablement chastes amants jusqu'à la mort de Pernette. Elle épouse en 1538 M. du Guillet, qui n'est pas autrement connu. Elle est l'auteur de Rymes, qui paraissent à titre posthume en 1545 chez Jean de Tournes à Lyon. Ce recueil de poésies (60 épigrammes, 10 chansons, 5 élégies et 2 épîtres) est édité à Paris et à Lyon jusqu'en 1554, ensuite il faut attendre le XIXe siècle pour que l'œuvre soit exhumée et plusieurs fois rééditée.

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Consigne : relever les synchyses de l'extrait de texte ci-après, puis en placer quelques autres de manière à en dynamiser le rythme ou à mettre en valeur certains mots ou groupes de mots. Le texte ci-après est extrait de : Lettres, de mademoiselle de Scudéry à M. Godeau, évêque de Vence : lettre deuxième, Paris, 8 septembre 1650 (Paris, A. Levavasseur, 1835, p. 22). L'exercice ne vise pas à améliorer un texte déjà très littéraire et très travaillé, mais plutôt à jongler avec les mots ou les groupes de mots, à les changer de place afin de constater l'effet produit, quel que soit cet effet (heureux ou malheureux, allègement ou alourdissement de la prose, dynamisation du rythme, effet de surprise, etc.).

Vous me reprochez si flatteusement mon mauvais caractère, que ce n'est pas un trop bon moyen de m'en corriger ; car, puisqu'en écrivant mal je vous oblige enfin de m'en reprendre plus doucement qu'à me dire que j'écris bien, je ne sais si je ne ferais pas mieux de continuer de faillir que de m'amender...

Souffrez, s'il vous plaît, que je prenne toute la part que je dois aux maux de votre esprit et de votre corps. Pour les premiers, je ne pense pas que vous ayez besoin d'autre médecin que de vous-même ; mais, pour les autres, je pense que vous auriez besoin de venir trouver à Paris quelque remède à vos maux ; car, de la façon dont je connais ceux de la province où vous êtes, je ne pense pas qu'ils vous puissent guérir d'un grand mal : c'est pourquoi il me semble que vous y devez songer sérieusement.

Cela pourrait donner ceci :

Si flatteusement vous me reprochez mon mauvais caractère, que ce n'est pas de m'en corriger un trop bon moyen ; car, puisqu'en mal écrivant je vous oblige enfin de plus doucement m'en reprendre qu'à me dire que j'écris bien, je ne sais si je ne ferais pas mieux que de m'amender de continuer de faillir...

Souffrez, s'il vous plaît, que des maux de votre esprit et de votre corps, j'en prenne toute la part que je dois. Etc.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie :

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), pp. 160, 337.

Gallica.bnf.fr (site internet), bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 4, p. 2213, t. 6, p. 932.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 6, p. 6154.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 1379.

Wikipédia, l'encyclopédie libre, page intitulée : Pernette du Guillet (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pernette_du_Guillet, modifiée le 16 janvier 2014).

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