mardi 7 avril 2015

Le rhétorique et le style, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Savoir son style, c'est connaître son affaire » disait-on souvent dans la deuxième moitié du XVe siècle. « Avoir du style, c'est toute une affaire », dira-t-on plus tard, à partir de 1845.

Le rhétorique et le style

Dans le langage, le style est l'aspect de l'expression chez un écrivain, dû à la mise en œuvre de moyens d'expression dont le choix, raisonné ou spontané, résulte dans la conception classique des conditions du sujet et du genre (« Le style n'est que l'ordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées » Buffon1), et, dans la conception moderne, de la réaction personnelle de l'auteur en situation (« Le style n'est que le mouvement de l'âme » Michelet2).

« En linguistique, le style est l'aspect de l'énoncé qui résulte du choix des moyens d'expression déterminé par la nature et les intentions du sujet parlant ou écrivant » (extrait de : La stylistique, de Paul Guiraud, Paris, Presses universitaires de France, 1954, Collection Que sais-je ?, p. 109).

Parmi les moyens d'expressions de la pensée, on compte les figures de style et les figures de rhétorique. Une langue utilise un nombre relativement réduit de figures, mais elle construit, en les combinant, un nombre infini, ou du moins indéfini, de signes linguistiques ou phonèmes3 (un phonème est un signe linguistique qui unit un concept et une image acoustique).

On distingue les figures de style de celles de la rhétorique. Les figures de rhétorique (que l'on peut classer en procédés fonctionnels) visent la persuasion et l'argumentation, tandis que les figures de style visent la bonne expression ainsi que l'ornement du discours (elles peuvent être poétiques, humoristiques et lexicales). La notion de figure de rhétorique est incluse dans la catégorie plus vaste des figures de style.

LA MARQUE DE L'INDIVIDUALITÉ

Le style est la marque de l'individualité du sujet dans le discours, et il réside dans l'écart entre la parole individuelle et la langue. Les figures sont l'expression de cet écart et le résultat en est le style. Cependant, l'analyse plus poussée des fonctions du langage, la théorie de l'information, les développements du structuralisme4 approfondissent la notion de style. Le style ne réside plus dans une opposition paradigmatique (ce qui aurait pu être dit), mais syntagmatique (rapport effet de style et contexte).

Tout discours a comme corollaire sa rhétorique, en tant qu'art de dire quelque chose à quelqu'un. Le rhétorique de toute rhétorique, c'est l'art d'agir par la parole sur les opinions, les émotions, les décisions, du moins dans la limite des institutions et des normes qui, dans une société donnée, règlent l'influence mutuelle des sujets parlants.

Il est bien vrai que je suis un mauvais citoyen. La rhétorique sociale n'a jamais pris sur moi. Ni aucune rhétorique. Je n'aime pas les phrases. Je n'aime que les faits.

Extrait de : Propos d'un jour, de Paul Léautaud5 (Paris, Mercure de France, 1947, p. 83).

Le rhétorique (au masculin) dépend de la rhétorique (au féminin) en tant que technique de l'expression ou en tant que champ d'étude. C'est l'ensemble des procédés (les figures de rhétorique) et des effets que la rhétorique (au féminin) utilise et produit.

Le rhétorique a plusieurs fois réinventé la rhétorique, depuis la rhétorique antique gréco-latine (Platon, Aristophane de Byzance, Aristote, Cicéron, Quintilien, Tacite), jusqu'à nos jours avec la rhétorique restreinte (Gérard Genette), la rhétorique générale (Groupe μ de « l'école de Liège »), et la nouvelle rhétorique (Traité de l'argumentation, la nouvelle rhétorique, de C. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Bruxelles, 1958 et 1970), en passant par le groupe des Grands rhétoriqueurs de la fin du moyen-âge français : Jean Meschinot (vers 1422-vers 1491), Jean Molinet (1435-1507), Octavien de Saint-Gelais (1468-1502), Guillaume Crétin (vers 1460-1525), Jean Lemaire de Belges (1473-vers 1525) et Jean Marot (1450-vers 1526).

PERSPECTIVES

Si, avec la démocratisation de la parole publique, la tradition rhétorique paraît trop lettrée pour survivre, avec la montée de l'esprit scientifique, elle paraît en revanche trop pathétique (qui émeut vivement, qui excite les passions et les émotions vives) pour satisfaire aux nouvelles exigences de la raison. Un renouveau rhétorique paraît renouveler la rhétorique contemporaine, puisque dans trois autres disciplines au moins, la philosophie du langage, l'anthropologie culturelle et la linguistique générale, resurgissent des concepts comme discours, genres, circonstances, moment, dialogue, interaction, émotion, polyphonie, ajustement, convenance, etc.

On commence à voir aboutir les recherches d'une génération pionnière (en linguistique générale) qui connaît les deux traditions (celle de la rhétorique classique et celle de la rhétorique antique gréco-latine). C'est le cas avec Michel Le Guern (Quatre études sur la variation lexicale, dans : Principes de grammaire polylectale, de Berrendonner, le Guern et Puech, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1983), qui redéfinit le concept même de langue en admettant que la variation lui est constitutive : deux interlocuteurs peuvent se parler et se comprendre sans employer exactement les mêmes formes, syntaxiques, lexicales ou phoniques (la plupart des gens dit / la plupart des gens disent ; mettre la table / mettre le couvert ; il fait froid avec è ouvert ou é fermé) et sans qu'aucune des deux variantes ne soit considérée comme une « faute » ni un « écart à la norme ».

Les locuteurs cessent donc d'être interchangeables : souvent A, qui dit a, ne pourrait pas dire b, et B, qui dit b, ne pourrait pas dire a ; et pourtant, s'ils se comprennent, c'est que chacun d'eux sait – ou sent – que a dit par A est l'équivalent de b dit par B ; ils peuvent d'ailleurs à l'occasion s'en assurer par un réglage explicite, le malentendu, au moins partiel, étant l'un des moteurs les plus puissants de la conversation. Avec le même refus du « locuteur-auditeur idéal » unique, la théorie de l'énonciation d'Antoine Culioli (Pour une linguistique de l'énonciation, opérations et représentations, Paris, Ophrys, 1992-1995) insiste sur quelques propriétés rhétoriques primordiales : cette équivalence entre formes qui permet l'ajustement entre interlocuteurs par-delà leurs singularités, la plasticité du langage humain, son intersubjectivité, chacun se réglant sur l'image qu'il a de l'image que l'autre a de ce qui est en question, intégrant donc en soi-même de l'altérité, enfin, cet engagement dans la parole qui d'un simple locuteur fait un véritable énonciateur.

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Notes

1. Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) est un naturaliste et un écrivain français, entré en 1733 à l'Académie des sciences, et en 1753 à l'Académie française. Il est intendant du Jardin des Plantes de 1739 à 1788, transformé en juin 1793 en Muséum national d'histoire naturelle et devenu quelques années plus tard le point focal des sciences de la nature en Europe et dans le monde. Il est l'auteur d'une monumentale Histoire naturelle, générale et particulière, publiée en 36 volumes entre 1749 et 1788. « Le style n'est que l'ordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées » est une citation extraite de son Discours sur le style, ou Discours prononcé par Buffon à l'Académie française (1753, supplément IV à l'Histoire naturelle, générale et particulière). Convaincu que « les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité », et soucieux avant tout de l'ordre et de l'enchaînement des idées, il prône une parfaite adaptation de l'expression au sujet.

2. Jules Michelet est un historien et un écrivain français (1798-1874), chargé du cours d'histoire ancienne à l'École normale supérieure, enseignant au Collège de France, et qui se passionna pour la philosophie de l'histoire (il empruntera à l'historien, juriste, professeur de rhétorique et philosophe italien Giambattista Vico le principe de « l'humanité qui se crée », dont il traduit en 1835 ses Principes de la philosophie de l'histoire). Il est l'auteur d'une Histoire de France, des origines à la mort de Louis XI (6 vol., 1833‑1844), d'une Histoire de la Révolution française (7 vol., 1847-1853), d'une Histoire de France, de Louis XI à Louis XVI (1855-1867), et d'une Histoire du XIXe siècle (inachevée, 3 vol., 1872‑1875) ; d'études de nature : L'oiseau (1856), La mer (1861), etc. ; et d'un Journal intime.

3. Le phonème est la plus petite unité distinctive de la chaîne parlée. C'est l'unité distinctive de la parole dégagée par la mise en contraste d'éléments plus complexes (morphèmes, monèmes).

4. Le structuralisme est une théorie selon laquelle l'étude d'une catégorie de faits doit envisager principalement les structures. En linguistique, le structuralisme est la théorie descriptive et structurale des faits de langue. Selon les tenants de la linguistique générative qui s'y opposent, le structuralisme en linguistique ne tient pas compte de la créativité, du dynamisme du langage. On entend par linguistique générative la description systématique de la génération, de l'engendrement, de la production du discours, des phrases d'une langue, de la formation des phrases possibles (et seulement de ces phrases).

5. Paul Léautaud est un écrivain français (1872-1956), auteur de : Le petit ami (1903), In memoriam (1905), Passe-temps (t. 1, 1929 et t. 2, 1964), Poètes d'aujourd'hui (1900, 1908, 1929), Journal littéraire (1954-1966) ; c'est par ses dialogues radiophoniques (Entretiens avec Robert Mallet, 1951) qu'il accéde à la notoriété.

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Consigne : choisir un des deux extraits de texte proposés ci-après, celui de Victor Hugo (1802-1885) ou celui de Claude Simon (1913-2005), puis composer un court récit en une seule longue phrase (extrait 1) ou un court poème (extrait 2), en imitant le style et en utilisant les figures de rhétorique de l'auteur choisi. Pour s'aider, on peut reprendre les figures de style recensées à la suite de l'extrait (la liste n'est pas exhaustive), et reprendre la construction et l'articulation des rimes et des phrases ainsi que des sous-phrases ou des groupes de mots.

Extrait 1 : L'acacia, de Claude Simon (Paris : Les Éditions de minuit, 1989, p. 205) :

Tout le long de la route il avait conduit, s'arrêtant même à un moment, garant la voiture sur le bas-côté, coupant le contact, allumant un de ses petits cigares et se tenant là, les mains posées sur le volant, regardant disparaître peu à peu derrière la chaîne des sommets glacés déjà couverts par les premières neiges les derniers feux du soleil, jusqu'à ce que dans une échancrure il ne restât plus comme dans un creuset qu'un minuscule bouillonnement d'or en fusion se rétrécissant ou plutôt se rétractant, redoublant d'éclat aurait-on dit, puis plus rien, l’œil encore un moment aveuglé continuant à fixer les crêtes s'enténébrant, d'un bleu violent maintenant sur le ciel couleur d'absinthe, déjà gris du côté de la mer, tandis que les uns après les autres (comme dans un théâtre les machinistes auraient allumé, modulé des rampes successives de projecteurs, comme si tout le ciel s'embrasait peu à peu) les nuages éparpillés à présent frappés d'en dessous par les ultimes rayons se coloraient de blond, puis de bronze, puis de cuivre, puis, dans un ciel pervenche allant s'assombrissant, s'étiraient en longues traînées obliques, laissant pendre comme des gazes leurs franges roses au-dessus de la plaine les vignes achevaient de perdre leurs feuilles, laissant à nu la terre d'hiver, comme dépouillée, exténuée, abandonnée à la nuit, au silence et au sommeil.

On peut commencer la composition d'une très longue phrase en partant d'une phrase plus courte, comme la phrase source ci-après d'où découle la longue période de Claude Simon :

Tout le long de la route il avait conduit, s'arrêtant même à un moment et se tenant là, les mains posées sur le volant, regardant disparaître peu à peu derrière la chaîne des sommets glacés les derniers feux du soleil tandis que les uns après les autres les nuages éparpillés s'étiraient en longues traînées obliques laissant à nu la terre d'hiver abandonnée à la nuit, au silence et au sommeil.

Figures de style : la métaphore (les feux du soleil, un minuscule bouillonnement d'or en fusion, le ciel couleur d'absinthe, etc.), la personnification (laissant à nu la terre d'hiver, comme dépouillée, exténuée, abandonnée à la nuit, au silence et au sommeil).

Les groupes de mots qui composent l'unique phrase de l'extrait sont reliés par : des verbes au participe présent (s'arrêter, garer, couper, allumer, se tenir, regarder, se rétrécir, redoubler, continuer, etc.), des prépositions (jusqu'à, puis, dans, au-dessus), la ponctuation (virgules, parenthèses), des conjonctions de subordination (tandis que, comme), des locutions (à présent), des pronoms relatifs (), et des adverbes (déjà).

Extrait 2 : Les contemplations : À ma fille, poème (octobre 1842), de Victor Hugo (Paris, Le Livre de poche, 1985, p. 19) :

(…)

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !

Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.

(...)

L'extrait du poème comporte deux quatrains (2 strophes de 4 vers), chaque quatrain comportant 3 vers décasyllabes suivis d'un vers de trois syllabes, aux rimés croisées (abab).

Les figures de style sont : l'assonance (sois-toi, pieux-cieux-yeux, front-mon-ombre-incomplète, met-tes-mets, heureux-heure), l'épanalepse (nul-nul, reprise d'un mot à l'intérieur d'un groupe de mots), et l'anaphore (l'heure-l'heure, reprise d'un mot dans le vers suivant).

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 412.

École de rhétorique (site internet, http://www.ecolederhetorique.com).

Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article intitulé : Rhétorique, de Françoise DOUAY-SOUBLIN.

Gallica.bnf.fr (site internet), bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 5, pp. 2141-2143, t. 6, pp. 753-756.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 6, p. 5577.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 1802.

Wikipédia, l'encyclopédie libre, page intitulée «Figure de style», modifiée en mai 2010, consultée à partir de : http://wikipedia.fr.

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