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L
a – P U B L i
a n c e
atelier d'écriture et publication
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atelier d'écriture et publication
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« N'y
tenant plus, la
vague
l'emmena non loin de là, sans mot dire, et
comme par la main. »
L'hyperbate
Le
nom féminin « une hyperbate » est emprunté au latin
(1545) « hyperbaton », mot issu du grec « huperbaton »
qui signifie « renversé ». C'est une figure de
rhétorique, ou plus précisément une figure de grammaire, qui
consiste à intervertir l'ordre naturel des mots, à inverser ou à
disjoindre deux termes habituellement réunis. Par exemple :
« Là coule un clair ruisseau »
(au lieu de : « Un clair ruisseau coule là »), ou
encore : « À tous les
cœurs bien nés que la patrie est chère ! »,
extrait de : Tancrède (1760, acte III, scène 1)
de Voltaire (au lieu de : « Que la patrie est chère à
tous les cœurs bien nés ! »).
L'hyperbate
fait partie des 13 figures ou tropes1
dans la tradition
antique, avec
l'allégorie,
la métaphore,
l'épithète, la
périphrase, la
métalepse, la métonymie, l'antonomase, l'onomatopée, la
catachrèse, la fable,
l'hyperbole et
la synecdoque. La
rhétorique
antique est
principalement représentée par
Aristote
(384-322 avant J.-C.,
philosophe grec, auteur de La
poétique et de La
rhétorique),
Quintilien
(vers 30 - vers 100,
maître latin de rhétorique considéré comme le représentant
officiel de l'éloquence),
et
Donat
(grammairien latin du
IVe
siècle et précepteur de saint Jérôme, qui traduisit la Bible en
latin).
Pyrrhus :
(…) Mais
que ma cruauté survive à ma colère,
Que, malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir ?Non, seigneur : que les Grecs cherchent quelque autre proie ;
Que, malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir ?Non, seigneur : que les Grecs cherchent quelque autre proie ;
Au
lieu de : Que je me
baigne à loisir dans le sang d'un enfant,
malgré la pitié dont je me sens saisir ?
malgré la pitié dont je me sens saisir ?
Inversion
de « je me baigne à
loisir » et de
« malgré la pitié
dont je me sens saisir »,
et inversion de : « je
me baigne à loisir »
et de « dans le sang
d'un enfant ».
Extrait
de : Andromaque
(1667, acte
I, scène 2), de Jean Racine (Paris,
Delalain, 1847, p. 10).
L'hyperbate
est un tour particulier qu'on donne à une période2, et
qui consiste principalement à faire précéder une proposition par
une autre, qui dans l'ordre naturel aurait dû la suivre. Par le
renversement de l'ordre naturel de la phrase, par l'interversion de
certains groupes de mots, l'usage de l'hyperbate convient
particulièrement « pour exprimer une violente
affection de l'âme » (Littré), une forte émotion.
INTERVERSION,
ADJONCTION OU PROJECTION ?
Après
avoir été une interversion, l'hyperbate est devenue cette
figure par laquelle on ajoute à la phrase qui paraissait
terminée, un complément, une épithète ou une proposition,
expression qui surprend l'interlocuteur et qui se trouve par là-même
mise fortement en évidence (Dictionnaire de poétique et de
rhétorique, de Henri Morier, Paris, PUF, 1961). L'accent
affectif tombe sur ce rajout qui, par sa position même, se trouve
souligné.
Il
y avait longtemps que cette vague aurait voulu faire quelque chose
pour l'enfant, mais elle ne savait quoi. (…) N'y tenant plus, elle
l'emmena non loin de là, sans mot dire, et
comme par la main.
Extrait
de : L'enfant de
la haute mer (1931),
de Jules Supervielle (Paris,
Gallimard, Folio, 1997, p. 21).
L'hyperbate
garde quelque chose de la spontanéité du style oral, où
l'hésitation et l'autocorrection sont de mise.
Il
avait trop longtemps aliéné le bonheur d'aller droit devant soi
dans l'actualité du moment, laissant le fortuit redevenir son lot,
ne sachant pas où il coucherait ce soir, ni comment dans
huit jours
il gagnerait son pain.
Extrait
de : L’œuvre
au Noir
(1968), de Marguerite Yourcenar (Paris, Gallimard, Folio, 1979,
p. 316).
Selon
le groupe Mu3,
on n'a pas affaire à une adjonction, mais à la projection de l'un
des constituants fixes de la phrase en dehors de son cadre normal.
Les linguistes de Liège rejoignent par là l'avis des grammairiens
antiques pour lesquels d'autres figures procédant par permutation
(telles que l'anastrophe4,
l'épiphrase5
ou la tmèse6)
relèvent aussi de l'hyperbate.
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Notes
1.
Un trope
est un mot d'origine
grecque utilisé par César
Chesneau du Marsais
au XVIIIe
siècle, à propos des changements de sens des mots (Traité
des tropes, ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un
même mot dans une même langue, 1730).
Les tropes sont des
figures de rhétorique, plus spécialement des figures sémantiques,
et ce sont les seules
figures où le sens s'écarte d'une valeur de référence et qui
fondent ce que l'on nomme le sens
figuré.
Par
ailleurs, il est
intéressant de noter que l'on
trouve la
notice de César
Chesneau du Marsais à
la lettre D comme Dumarsais
dans le Dictionnaire de
linguistique et des sciences du langage
(Larousse,
1999, p. 160) ;
et à la lettre M comme Marsais
dans Le petit Robert
des noms propres
(2007,
p. 1382).
2.
Une période
est une phrase complexe
d'une certaine ampleur formant une unité rythmique (extrait de :
Rhétorique,
d'Aristote, 4e
siècle av. J.-C.). C'est
une phrase complexe dont les membres composants sont groupés de
telle façon que, si variés qu'ils soient dans leur structure, leur
assemblage donne une impression d'équilibre et d'unité (extrait
de : Lexique de la
terminologie linguistique
(1931), de Jules Marouzeau).
Exemple
avec la première phrase du roman À
l'ombre des jeunes filles en fleur (1919),
de Marcel Proust : « Ma
mère, quand il fut question d'avoir pour la première fois M. de
Norpois à dîner, ayant exprimé le regret que le professeur Cottard
fût en voyage et qu'elle-même eût entièrement cessé de
fréquenter Swann, car l'un et l'autre eussent sans doute intéressé
l'ancien Ambassadeur, mon père répondit qu'un convive éminent, un
savant illustre, comme Cottard, ne pouvait jamais mal faire dans un
dîner, mais que Swann, avec son ostentation, avec sa manière de
crier sur les toits ses moindres relations, était un vulgaire
esbroufeur que le marquis de Norpois eût sans doute trouvé, selon
son expression, puant. »
3.
Le Groupe μ
(Mu)
a fourni dans les années 1970, une typologie raisonnée de toutes
les figures de rhétorique
(Rhétorique générale,
Paris, Larousse, 1970). Le groupe de « l'école de Liège »
(Belgique) est composé des linguistes Jacques Dubois, Francis
Édeline, Jean-Marie Klinkenberg, Philippe Minguet, F. Pire, et
Hadelin Trinon ; et
vise une approche transdisciplinaire : ils sont ainsi les
premiers à théoriser les figures de style comme des procédés
traduisibles dans tous les arts, avec la notion de « sémiotique
visuelle ». Leur typologie est fondée sur la base de quatre
opérations fondamentales : suppression, adjonction,
substitution, permutation.
4.
L'anastrophe
(du grec anastrophê qui
signifie retournement), est un renversement de l'ordre habituel des
mots, de la construction habituelle d'une phrase.
5.
L'épiphrase
est l'addition à une
période qui semble finie d'une ou plusieurs circonstances
accessoires, sorte de parenthèse (par exemple : que
dis-je !...).
6.
La tmèse
est la séparation de deux
éléments d'un mot, habituellement reliés (puis...que,
lors... que). Exemple : Lors
bien des jours passeront
que nous pourrons à nouveau canoter sur la rivière
(au lieu de : Bien
des jours passeront,
lorsque nous pourrons à
nouveau canoter sur la rivière).
Jusqu'au XVIIe
siècle, on disait : Puis
donc que vous trouvez la mienne inconcevable
(extrait de : Médée
(1632), de Pierre Corneille, p. 653), ou encore : Puis
donc qu'on nous permet de prendre haleine
(Racine).
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Consigne :
composer un texte dont la longueur n'excédera pas une centaine de
mots, en veillant à y introduire quelques hyperbates (interversion
ou adjonction de mots ou de groupes de mots). Ou bien, s'inspirer
d'un auteur ou d'un texte connu, comme cet extrait de : Rani
(dans : L'enfant
de la haute mer,
1931),
de Jules Supervielle (Paris,
Gallimard, Folio, 1997, pp. 110-111).
Des
semaines durant, il se cacha dans la forêt. Il s'intéressait aux
plumes, aux œufs des oiseaux, aux mousses et aux fougères, à
toutes ces choses délicates qui ne s'effrayaient pas de sa présence
et ne changeaient pas de visage devant lui. Œufs imitant la couleur
de l'aurore, plumes du nuage pommelé qui parcourt le ciel comme un
cheval, fougères de la nuit noire et fraîche où il aurait voulu un
instant reposer son visage de ses malheurs.
L'oiseau
mort, les plumes continuent à vivre de leur seul éclat, sans se
laisser entamer par la pourriture. Et, Rani les aimait de ce qu'elles
prenaient la défense de l'orgueil et de l'espoir. Dans leurs minces
tuyaux cornés, dans leur duvet il cherchait des paroles. Sûr de ne
pas être vu, il plaçait devant lui toute cette légèreté, et des
feuilles d'arbres rares, et des pierres brillantes comme s'il eût
fait des réussites. Il se disait parfois : « Oh !
comme c'est ça, comme c'est justement ce que je cherchais. »
Ou
bien, fatigué par cette misère qui croyait encore à la couleur et
à la forme des choses, dans la grande forêt sans portes ni
fenêtres, il considérait le ciel. Comme un document très ancien et
très fragile et presque impossible à déchiffrer. « Mais j'ai
tout le temps ; qui me presse ? » pensait-il.
Cela
pourrait donner ceci :
Dans
la forêt des semaines durant, il se cacha. Il s'intéressait aux
plumes, aux œufs des oiseaux, aux mousses et aux fougères, à
toutes ces choses délicates qui devant lui ne s'effrayaient
pas de sa présence et ne changeaient pas de visage. Etc.
Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
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Bibliographie
DUBOIS
(Jean),
GIACOMO (Mathée),
[et al.], Dictionnaire
de linguistique et des sciences du langage,
Paris, Larousse, 1999
(collection Expression), p.
235.
Encyclopædia
Universalis,
2008-2009,
édition numérique, 1
CD-ROM, article
de
Véronique KLAUBER (Hyperbate,
rhétorique).
Le
Grand Robert de la langue française,
2ème édition,
Paris :
Dictionnaires Le Robert, 2001,
6 vol., t.
3, p. 1984.
LITTRÉ
(Paul-Émile),
Dictionnaire
de la langue française,
nouvelle
édition, Chicago,
Encyclopædia
Britannica Inc., 1991
(réimpression
de l'édition de 1880),
6 vol. + 1 supplément, t.
3, p. 3065.
Le
Petit Robert des noms propres,
nouvelle
édition refondue et augmentée, 2007.
Wikipédia,
l'encyclopédie libre,
page intitulée «Figure
de style»,
modifiée
en mai
2010,
consultée
à
partir de : http://wikipedia.fr.
L
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