mercredi 10 juin 2015

L'interrogation fictive, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Que me dites-vous, Madame ? Vous m'accusez d'avoir conté ce qui s'est passé entre vous et moi, et vous m'apprenez que la chose est sue ? »1

L'interrogation fictive

Le principe de base de l'interrogation fictive, ou de la question rhétorique, est celui de l'interpellation feinte. C'est une fausse question destinée à garder ou à susciter l'intérêt du lecteur interpellé. Exemple :

« Hé quoi ? charger ainsi cette pauvre bourrique ! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ? Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. », extrait de : Fables (1668-1694) : Le meunier, son fils et l'âne (livre III, fable 1), de Jean de La Fontaine (Paris, Pocket, 2006, p. 55).

La question rhétorique, ou encore question oratoire, est une figure de style qui consiste à poser une question n'attendant pas de réponse, cette dernière étant connue par celui ou celle qui la pose.

« L'interrogation est l'un des procédés du style oratoire. Les prédicateurs, par exemple, s'en servent pour communiquer avec leur public, l'associer à leurs mouvements de pensée et de sentiments. », extrait de : La pensée et la langue (1922), de Ferdinand Brunot2 (Paris, Masson, 1926, p. 488).

INFORMATION ET EXPLICATION

Le nom féminin la question est emprunté (vers 1119) au latin quaestio. Le mot, qui désigne la recherche en général, s'est spécialisé en philosophie au sens d'interrogation, de discussion. Le mot, sans reprendre le sens général du latin, réservé en français à quête et à recherche, a été emprunté pour désigner une demande faite en vue d'une information, d'un éclaircissement (par exemple : « À quelle heure dînez-vous ? », « Qui vient ? Qui m'appelle ? »).

Le nom féminin une interrogation reprend les emplois du latin classique interrogatio en droit (questionner, poursuivre en justice) et dans l'usage général (1283), puis en grammaire, notamment pour désigner le signe graphique dit point d'interrogation (1550), et en rhétorique (dans : Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, de Pierre Richelet3, 1680). Le mot se dit d'une chose obscure qui demande une explication (dans : Corinne ou l'Italie, de Mme de Staël4, 1807).

En grammaire, la question, comme l'interrogation, est un type de phrase logiquement incomplète, qui sert à demander une information ou une explication à l'interlocuteur ; elle peut être exprimée indirectement (« Je te demande s'il va pleuvoir. ») ou directement (« Va-t-il pleuvoir ?, lui demande-t-il. »), et elle peut être marquée par l'ordre des mots (inversion), par un mot interrogatif (pourquoi, quel, qui, de quoi, etc.), ou simplement par le ton montant de l'énoncé marqué par le point d'interrogation.

UNE QUESTION QUI N'ATTEND PAS DE RÉPONSE

Devenue procédé stylistique en rhétorique, l'interrogation fictive, ou la question oratoire (ou encore question rhétorique), consiste en une interrogation apparente, destinée à suggérer une réponse évidente (exemple : « Est-ce là une façon d'agir ? » Marouzeau5). Elle consiste aussi à adresser des questions à l'auditoire ou à l'adversaire, questions qui n'appellent pas de réponses et qui sont utilisées comme un mode de présentation plus frappant.

« Qu'est ceci ? s'écria le mangeur de moutons : Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite les gens faits comme moi ? me prend-on pour un sot ? », extrait de : Fables (1668-1694) : Le loup, la mère et l'enfant (livre IV, fable 16), de Jean de La Fontaine (Paris, Pocket, 2006, p. 81).

Plus précisément, on distingue l'interrogation fictive de l'interrogation oratoire, ou de la question rhétorique.

La première, l'interrogation fictive, n'appelle aucune réponse, et elle équivaut, quant au contenu du message, à une exclamation ou à une injonction : « Que ne m'a-t-il pas écoutée ? » (= Il aurait dû m'écouter !), « Allez-vous bientôt vous taire ? » (= Taisez-vous !).

La deuxième, l'interrogation ou la question oratoire ou rhétorique, est une interrogation fictive qui donne à entendre qu'il faut admettre comme évidente la réponse contredisant la question (l'interlocuteur ou le lecteur n'ayant généralement pas l'occasion de répondre) : « Est-il possible qu'il ait fait une telle faute ? » (= Il n'est pas possible qu'il ait fait une telle faute), « Ne vous avais-je pas averti ? » (= Je vous avais averti...), « Quel grammairien d'aujourd'hui oserait recommander à son public de pratiquer la syntaxe de racine ? » (= Aujourd'hui, aucun grammairien n'oserait recommander...).

Un autre type d'interrogation fictive sert à exprimer une hypothèse, par exemple : « Avez-vous faim ? Je vous ai préparé une omelette ».

Remarque : on ne considérera pas comme des interrogations vraiment fictives les questions qu'un locuteur ou un auteur posent pour donner de la vivacité à l'exposé et auxquelles ils répondent eux-mêmes, par exemple : « Que va-t-on faire de moi à présent ? On va probablement m'envoyer chez cousine Berthe ou chez tante Aglaé ; ou bien, on va m'envoyer en cure à Aix-les-Bains ».

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Notes

1. Extrait de : La Princesse de Clèves (1678), de Mme de La Fayette (Paris, Librairie des bibliophiles, 1881, p. 162).

2. Ferdinand Brunot est un grammairien français et un historien de la langue française (1860-1938) ; il est l'auteur d'une Histoire de la langue française (1916-1938, inachevée et continuée dans un tout autre esprit, et du point de vue exclusif des usages littéraires, par Charles Bruneau) et d'un essai, La pensée et la langue (1922), dont la méthode intuitive va à l'encontre de l'évolution de la grammaire moderne.

3. César Pierre Richelet est un lexicographe français (vers 1626-1698), auteur d'un Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise (1680), témoignage précieux sur la langue du XVIIe siècle, notamment sur la langue familière, et d'une Versification française (1671).

4. Mme de Staël (Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein) est un écrivain français (1766-1817), auteure d'essais et de deux romans : Delphine (1802), et Corinne ou l'Italie (1807), dont le genre, rénové, est désormais chargé d'exalter la sensibilité et l'individualisme, prémisses d'un nouveau courant littéraire : le romantisme.

5. Jules Marouzeau est un latiniste français (1878-1964), auteur de : Aspects du français (1950), La linguistique ou science du langage (1950), Notre langue : enquêtes et récréations philologiques (1955), Lexique de la terminologie linguistique (1933), Précis de stylistique française (1941), etc.

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Consigne : introduire des interrogations fictives (questions qui n'appellent pas de réponses et qui servent à présenter les choses d'une manière plus frappante, à exprimer une hypothèse ou une exclamation ou encore un ordre), ou des questions rhétoriques (questions qui appellent une réponse contradictoire mais évidente), dans l'extrait de texte ci-après : La vie privée ou Alexis Slavsky, artiste peintre, dans Le premier accroc coûte deux cents francs : recueil de nouvelles (1944), d'Elsa Triolet (Genève, Éditions Édito-Services, 1967, p. 94).

Alexis peignait depuis sa plus tendre enfance, et plus il peignait, plus la peinture le possédait. Tout le temps que lui laissait le lycée, il l'employait à travailler dans un coin du local qui ressemblait à un garage, parmi les grands et les petits anges de bronze, de marbre, de plâtre. Une fois son bachot passé, quand il put ne rien faire d'autre que peindre, il alla aussi à l'atelier de la Grande-Chaumière, où il y avait des modèles vivants. Ses parents respectaient l'art de peindre et étaient heureux de donner à Alexis la possibilité d'accomplir ce que son père n'avait pu faire : se vouer à l'art.

Cela pourrait donner ceci :

Comment peut-on aimer passer sa vie dans les vapeurs de térébenthine et la poussière, dans le froid et la solitude, face à une toile blanche ? Alexis peignait depuis sa plus tendre enfance, et plus il peignait, plus la peinture le possédait. Tout le temps que lui laissait le lycée, il l'employait à travailler dans un coin du local qui ressemblait à un garage, parmi les grands et les petits anges de bronze, de marbre, de plâtre. Ses parents ne lui avaient-ils pas répété, à maintes reprises, qu'il fallait se méfier de la vie aventureuse qui l'attendait s'il persévérait dans cette voie ? Une fois son bachot passé, quand il put ne rien faire d'autre que peindre, il alla aussi à l'atelier de la Grande-Chaumière, où il y avait des modèles vivants. Etc.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 255.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 1, p. 883, t. 5, p. 1470.

GREVISSE (Maurice), GOOSSE (André), Le bon usage : grammaire française, 13ème édition, Paris, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1993, p. 584.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., pp. 1043, 1688.

Wikipédia, l'encyclopédie libre, pages intitulées « Question rhétorique » (juin 2014), et « Figure de style » (mai 2010), consultées à partir de : http://wikipedia.fr.

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