mardi 23 juin 2015

Accords contradictoires et sylleptiques, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Moins de deux minutes a suffi », ou : « Moins de deux mois ont suffi » ?

Accords contradictoires et sylleptiques

La rhétorique distingue deux sortes de syllepses : l'une grammaticale, l'autre oratoire. Il s'agit dans l'un et dans l'autre cas, selon l'étymologie, de « prendre ensemble » différentes catégories grammaticales ou sémantiques.

Le nom féminin syllepse est un emprunt au bas latin (1660) des rhétoriciens syllepsis, qui reprend le grec sullêpsis (action de prendre ensemble), d'où compréhension et spécialement accord grammatical selon le sens. Sullêpsis dérive de sullambanein (prendre ensemble, réunir, qui donna le mot syllabe).

Attention à ne pas confondre la syllepse avec la synchyse (qui est le bouleversement de l'ordre des mots dans la phrase : « D'amour me font, Belle Marquise, vos beaux yeux mourir » Molière, pour : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour »), ou avec l'anacoluthe (qui est une rupture dans la construction de la phrase : « Celui qui n'est pas encore convaincu, c'est à lui que je m'adresse », pour : « Je m'adresse à celui qui n'est pas encore convaincu ») ou encore avec le jeu de mots.

SYLLEPSE GRAMMATICALE

La syllepse grammaticale procède à partir d'un défaut d'accord grammatical entre deux termes dont l'un s'accorde avec l'idée qui sous-tend la proposition. Exemple : « Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre » (extrait de : Don Juan (1665), de Molière), au lieu de : « Jamais je n'ai vu deux personnes être si contentes l'une de l'autre ». L'accord des mots en genre et en nombre se fait non d'après la grammaire, mais d'après le sens.

On parle de syllepse grammaticale lorsque dans une phrase, l'accord d'un mot contredit le genre et/ou le nombre normaux du mot auquel il se rapporte. Exemple avec le pronom « nous » (ou « vous »), lorsque celui-ci est employé pour un seul être : « C'est la musique qui vous met dans cet état-là ? murmurait-elle. Nous sommes donc si sensible ? » au lieu de : « ...nous sommes donc si sensibles ? » (extrait de : Minuit (1936), de Julien Green).

Lorsqu'il s'agit d'un sujet collectif, par exemple avec les mots « un groupe », « une foule », « une troupe », « une assemblée », « une bande », lorsqu'il s'agit d'un ensemble de personnes ou d'objets, l'accord se fait au au singulier si l'on veut souligner qu'il s'agit d'un seul et même ensemble, ou au pluriel si l'on insiste sur tous les éléments qui constituent cet ensemble. Exemples : « Une foule de visiteurs se précipitèrent (se précipita) » dès l'ouverture des portes » ; « L'assemblée exclusivement composée de très jeunes femmes se mirent (se mit) à frissonner dans la fraîcheur matinale ».

SYLLEPSE ORATOIRE

Une syllepse oratoire, appelée aussi syllepse de sens, consiste à prendre dans la même phrase un mot dans son sens propre et dans son sens figuré.

Exemple : « Je percerai le cœur que je n'ai pu toucher » (extrait de : Andromaque (1667), de Jean Racine), où le mot « cœur » est ici à la fois l'organe vital et la métaphore du lieu de la sensibilité affective ; Ou encore : « Un père, en punissant, madame, est toujours père ; un supplice léger suffit à sa colère. » (extrait de : Phèdre (1677), de Jean Racine), où « le père » est à la fois un titre et une qualité (sens propre du mot), et une personne qui, même dans ses rigueurs, éprouve les sentiments et possède le cœur bon et tendre d'un père (sens figuré).

Fontanier1 précise que le mot pris au sens propre et au sens figuré, peut l'être par métonymie2, par synecdoque3 ou par métaphore4.

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Notes

1. Pierre Fontanier (1768-1844) est l'éditeur en 1818 du « Commentaire des tropes » de Du Marsais et l'auteur de deux ouvrages sur les figures du discours, « Manuel classique pour l'étude des tropes » (1821) et « Des figures autres que tropes » (1827). Pierre Fontanier est considéré parfois comme le fondateur de la rhétorique moderne, notamment parce que son « Traité général et complet des figures du discours » (2 vol.) fut adopté comme manuel dans l'enseignement public, mais aussi parce que, poussant plus loin et avec plus de rigueur l'entreprise de Du Marsais, il réduit les tropes à trois figures exemplaires : la métonymie, la synecdoque et la métaphore. Comme son illustre devancier avait déjà reconnu le lien entre les deux premières, on peut tenir cette double offensive comme l'acte de naissance en deux temps de la rhétorique actuelle qui appuie ses analyses sur la bipolarisation métaphore/métonymie. On a pu dire que, plusieurs générations avant le structuralisme de Jakobson, Fontanier établit un « modèle perceptif spatialisé » fait de contiguïté (métonymie), d'intersection (synecdoque) et de superposition (métaphore). Mais cette lecture un peu partisane et soucieuse de fonder l'hégémonie de la métaphore a été récusée par Gérard Genette, qui a réédité les deux ouvrages de Fontanier sous le titre « Les Figures du discours » (1968), qui maintient l'égalité des trois types de figures, effectivement autonomes pour l'auteur.

2. La métonymie est une figure qui consiste à désigner un objet par le nom d'un autre objet, existant séparément mais lié au premier par une relation privilégiée, la cause pour l'effet, l'instrument pour la cause, le contenant pour le contenu, le lieu pour ce qui s'y tient ; par exemple : « Un premier violon » (dans un orchestre) renvoie au violoniste et non à l'instrument. C'est un procédé rhétorique qui consiste en un transfert de dénomination d'un mot (ou d'une locution) à un autre, par un rapport de contiguïté (la cause pour l'effet, rapport de matière à objet, le contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée, etc.). Exemples : « Il a levé le coude toute la journée » pour « Il a bu toute la journée », « Boire un verre » pour « Boire le contenu d'un verre ».

3. La synecdoque est une figure de style qui consiste à désigner un objet par le nom d'un autre objet avec lequel il forme un ensemble, l'existence de l'un se trouvant comprise dans l'existence de l'autre. Par exemple : « Croiser le fer » (pour : « Se battre à l'épée »), « Le seuil » (pour : « la maison » ou « le foyer »). Certains linguistes ont unifié les deux notions de métonymie et de synecdoque, en faisant de la synecdoque une métonymie par extension, tant la distinction entre ces deux figures est souvent ténue.

4. La métaphore est une figure de rhétorique, un procédé de langage qui consiste dans un transfert de sens (terme concret dans un contexte abstrait) par substitution analogique.

Exemple avec la locution « Prendre racine » qui signifie au sens propre « commencer à se nourrir par les racines, après plantation ou transplantation, s'enraciner, devenir fort et vivace, s'implanter », en parlant d'un organisme végétal, et au sens figuré en parlant d'une personne « rester debout et immobile », dans « Les soupçons avaient trop fortement pris racine dans l'esprit de quelques entêtés ou de quelques philosophes pour être entièrement dissipés », extrait de : Le réquisitionnaire (1831), d'Honoré de Balzac (Paris, Gallimard, Collection La Pléiade, 1950, IX, p. 858).

La métaphore est une comparaison implicite (qui n'admet pas de troisième élément introducteur entre les deux éléments métaphoriques).

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Consigne : construire des syllepses (ou réutiliser les syllepses des exemples) et les insérer dans un court récit, ou bien à l'inverse, composer un court récit en n'oubliant pas d'y introduire quelques syllepses.

Avec les syllepses suivantes :

- Toute la nuit, j'ai écouté sur mon MP3 « Le dernier jour » ; elle est vraiment très belle, où « Le dernier jour » est le titre d'une chanson (mot féminin) auquel se réfère belle.

- Se constituer une garde-robe et une conduite personnelle et originale, construite sur le double sens (au propre et au figuré) du verbe se constituer.

- Le cosmonaute était au septième ciel, car il avait réussi à placer sans encombre la navette spatiale en orbite autour de la terre ; il regrettait seulement de ne pas y être en compagnie de sa femme, construite sur le sens propre et le sens figuré du mot ciel (espace infini qui s'étend au-dessus de nous et dans lequel se meuvent les astres, et, séjour de Dieu et des bienheureux).

- Une bande d'enfants s'éparpillèrent au milieu du public bien avant la fin du concert, où le verbe s'éparpiller se conjugue avec le nom au pluriel enfants, et non avec le nom au singulier bande, afin de souligner le fait que la bande est constituée de nombreux enfants.

Cela pourrait donner ceci :

Notre plaisir se troubla lorsqu'une bande d'enfants s'éparpillèrent au milieu du public bien avant la fin du concert. Pour nous remettre de ce désagréable sentiment, nous écoutâmes durant le reste de la nuit et sur mon MP3 « Le dernier jour » ; elle est vraiment très belle... cette chanson... Mon amie, qui n'était pas encore ma petite amie, s'était constitué pour l'occasion une garde-robe et une conduite personnelle et originale : elle n'avait pas arrêté de sourire durant toute la soirée. Etc.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 460.

Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, articles de Robert SCTRICK (Fontanier Pierre), de Véronique KLAUBER (Syllepse), de Jean-Yves POUILLOUX (Métaphore).

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 6, p. 916.

GREVISSE (Maurice), GOOSSE (André), Le bon usage : grammaire française, 13ème édition, Paris, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1993, pp. 658-670.

LITTRÉ (Paul-Émile), Dictionnaire de la langue française, nouvelle édition, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1991 (réimpression de l'édition de 1880), 6 vol. + 1 supplément, t. 6, p. 6148.

PEYROUTET (Claude), Style et rhétorique, Paris, Nathan, 1994 (collection Repères pratiques Nathan), p. 102.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., p. 2061.

THERON (Michel), 99 réponses sur les procédés de style, Montpellier, Réseau CRDP/CDDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique/Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Languedoc-Roussillon), [199-?], fiche 78.

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