lundi 6 juillet 2015

Traductions, un exercice oulipien, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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D'une langue à l'autre, ou bien à l'intérieur d'une même langue

Traductions, un exercice oulipien

La traduction consiste à « faire passer » un message d'une langue de départ (langue source) dans une langue d'arrivée (langue cible). Le terme désigne à la fois l'activité et son produit : le message cible comme « traduction » d'un message source, ou « original ».

« La Traduction est une pesée de mots. Dans l'un des plateaux nous déposons l'un après l'autre les mots de l'auteur, et dans l'autre, et dans l'autre nous essayons tour à tour un nombre indéterminé de mots appartenant à la langue dans laquelle nous traduisons… et nous attendons l'instant où les deux plateaux sont en équilibre. » extrait de : Sous l'invocation de saint Jérôme (1945), de Valery Larbaud1 (Paris, Gallimard, 1946, collection Blanche, II, partie IV). Le travail du traducteur littéraire susciterait ainsi un double de l’œuvre originale, sans en perdre un instant les données formelles et sémantiques.

En tant qu'exercice oulipien2, il s'agira ici surtout de traduire des textes à l'intérieur d'une même langue.

En effet, on peut considérer que, dans son acception courante, la traduction n'est qu'un cas particulier du procédé qui consiste à remplacer un énoncé par un autre en opérant une substitution essentiellement lexicale affectant le moins possible les autres composantes. Mais il n'est nul besoin de s'en tenir là. Rien n'interdit d'opérer des substitutions qui portent sur les éléments habituellement modifiés.

Ainsi on peut mettre en jeu des éléments tels que le son (la traduction homophonique reprend l'ensemble des sons d'un texte ; quand on ne conserve que les voyelles, on parle d'homovocalisme ; d'homoconsonantisme quand on ne conserve que les consonnes), le sens (traduction homosémantique lorsque l'on reprend le même sens que le texte-source ; traduction antonymique, lorsque l'on prend les antonymes3 des mots du texte-source), la syntaxe (homosyntaxisme), et même le genre littéraire (passage du vers à la prose, de la prose à la poésie, de la nouvelle à la poésie, etc.), éléments que l'on peut combiner entre eux (exemple avec la traduction antonymique et la poésie, etc.).

La traduction homophonique. Exemple avec cet extrait en latin de De rerum natura, de Lucrèce : Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, e terra magnum alterius spectare laborem, dont la traduction homophonique (en français) de Marcel Bénabou est la suivante : Suave Emma, ris, ma Guéhenne au turban, tes buts s’écœurent au vent d'ici. Éther à magnum allaite et ris, où se pique, tarée, la bohême.

La traduction antonymique et la poésie : on remplace chacun des mots d'un poème donné par son antonyme. Avec le poème intitulé L'azur, de Stéphane Mallarmé, cela donne le poème intitulé La gueule, de Marcel Bénabou :

L'azur
De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.

La gueule
De la gueule éphémèr(e) la gravité soucieuse
Allège, laide insolemment comme l'épine
Le prosateur fécond qui bénit sa torpeur
Au sein d'une oasis fertile de Bonheurs.

La traduction homosyntaxique : on reprend la syntaxe d'un texte-source pour produire un nouveau texte. Exemple avec la phrase suivante : À ces mots l'Amour s'apaise, et d'un air soumis et tendre, il se rapproche de Vénus, qui déjà lui tend les bras, phrase-source dont la syntaxe est la suivante : SSVSAAVSVS, avec S pour substantif, V pour verbe, et A pour adjectif. La traduction homosyntaxique de cette phrase pourrait donner celle-ci : À ce jour le problème se dilue dans des lieux communs et connus et ne se pose plus en observateur qui mécontente les juges.

La traduction d'un genre littéraire à un autre. Exemple avec le poème intitulé La gueule de Marcel Bénabou traduit en prose : Le prosateur fécond est allégé par la gravité soucieuse de sa gueule (expression éphémère) laide insolemment comme l'épine. Il bénit sa torpeur au sein d'une oasis fertile de Bonheurs.

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Notes

1. Valery Larbaud est un écrivain français (1881-1957) qui traduisit (1915-1919) Samuel Butler, et qui contribua à la traduction (1929) de l'Ulysse de James Joyce, auquel il avait emprunté la forme du « monologue intérieur ». Il est l'auteur de romans : Barnabooth (1908, 1913), Fermina Márquez (1911), de nouvelles : Enfantines (1918), Amants, heureux amants (1920-1924), d'essais et de notes de voyages : Jaune, bleu, blanc (1928), Aux couleurs de Rome (1938), et d'essais critiques : Ce vice impuni, la lecture : Domaine anglais (1925), et Domaine français (1941), Sous l'invocation de saint Jérôme (1945).

2. Oulipien est l'adjectif dérivé du nom propre OuLiPo, acronyme de « Ouvroir de Littérature Potentielle ».

La complicité intellectuelle de Raymond Queneau (1903-1976), écrivain frotté de mathématiques et de François Le Lionnais (1901-1984), homme de sciences passionné de littérature, marque la véritable origine de l'OuLiPo. Autour d'eux, en novembre 1960, se rassemblent écrivains et mathématiciens (certains ont les deux compétences). Jacques Bens, Claude Berge, Jean Lescure, Jean Queval, Albert-Marie Schmidt, Latis et Noël Arnaud font partie des fondateurs [quelques-uns d'entre eux étant également membres du Collège de pataphysique fondé en 1948. Alfred Jarry (1873-1907) définit la pataphysique dans Gestes et opinions du docteur Faustroll (1911), comme étant « la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité »].

L'objectif de l'OuLiPo est d'explorer le terrain des « créations créantes ». Ce n'est pas l'œuvre finie d'un auteur donné qui intéresse le groupe, mais son mode de fabrication, ses procédures, ce qu'on appellera finalement ses contraintes.

Stricto sensu, le travail de l'OuLiPo consiste donc à exhumer, classer, illustrer les contraintes qui sont présentes dans l'écriture littéraire : contraintes formelles le plus souvent, liées à la langue, à la versification, à la construction narrative, contraintes sémantiques éventuellement. C'est la première tâche.

La seconde est d'inventer de nouvelles contraintes, notamment par le recours aux mathématiques, terrain insuffisamment exploré jusqu'alors, et notamment par la méthode axiomatique [théorie où tous les concepts mathématiques ainsi que les démonstrations seraient définis sous forme d'axiomes et de règles de déduction, d'hypothèses dont on pourrait tirer des conséquences logiques en vue de l'élaboration d'un système] après David Hilbert [mathématicien allemand (1862-1943) qui élabora en 1899 une construction axiomatique complète de la géométrie] et le groupe Bourbaki [pseudonyme collectif pris par de jeunes mathématiciens de l'École normale supérieure (Paris) en 1933, auteurs de Éléments de mathématique (1939-) et de Éléments d'histoire des mathématiques (1969)].

3. Un antonyme est un terme contraire à un autre terme de même nature : large/étroit, grand/petit, noirceur/blancheur, propre/sale, santé/maladie, ou défini par une relation de réciprocité (vendre/acheter, demander/répondre), ou de complémentarité (la négation de l'un des deux termes entraîne l'autre : masculin/féminin, marié/célibataire). Il est souvent difficile de distinguer les mots contraires des mots complémentaires et des mots réciproques, c'est pourquoi l'usage courant les réunit sous le nom générique d'antonymes.

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Consigne : appliquer la traduction homosyntaxique (en gardant la même syntaxe) ou la traduction antonymique (on remplace chaque nom par son antonyme) à l'extrait de texte proposé ci-après. Il s'agit d'un extrait de : Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques : Daphnis et Pandrose, ou les oréades, par Madame de Genlis (Paris, Crapelet, 1802, 2 vol., t. 1, pp. 246-247). Dans la mythologie grecque, une oréade est une divinité, une nymphe des montagnes et des bois.

Je voulais prouver que l'amour n'est qu'une illusion, qu'il promet le bonheur, et ne peut que le troubler ou le détruire.

(…) on distingue l'étoile brillante de Vénus : tout parle de l'Amour ; aux cieux et sur la terre, tout retrace et peint sa puissance. La fière Diane en soupire ; mais jetant ses regards sur la délicieuse île de Paphos, ce qu'elle y découvre la console pour quelques instants : c'est son ennemi, c'est l'Amour baigné de pleurs sur les genoux de sa mère ; il fait retentir les bocages d'alentour de ses gémissements et de ses cris ; sa colère est celle d'un enfant capricieux : en cherchant à l'adoucir, on la rend plus impétueuse et plus obstinée.

Vénus en vain pour apaiser l'Amour, le caresse et le presse dans ses bras ; il se débat et s'agite, sa douleur paraît s'accroître encore, et son dépit devient de la fureur. Vénus, irritée à son tour, le repousse, et lui reproche ses emportements : Enfant indomptable et cruel, dit la Déesse, la douce et facile indulgence te rendra-t-elle toujours plus terrible et plus intraitable ?... Mais je ne pénètre que trop la cause d'une douleur si vive : tu n'auras pu sans doute causer tout le désordre, tout le trouble que tu te plais à répandre... Diviser les dieux et les hommes, voilà tes jeux et tes plaisirs ; tes larmes perfides ne coulent jamais que par le regret inhumain de n'avoir pu faire tout le mal que tu méditais !

À ces mots l'Amour s'apaise, et d'un air soumis et tendre, il se rapproche de Vénus, qui déjà lui tend les bras ; la Déesse essuie doucement les pleurs de l'Amour avec le voile divin qui flotte sur ses beaux cheveux : ingrat, lui dit-elle, je devrais ne vous plus aimer ; mais quel ressentiment peut tenir contre les larmes de l'Amour ? Tu te plains, tu gémis ; et j'oublie ma colère. Ah ! sans doute, le bonheur de te pardonner dédommage assez de ton ingratitude. Parle, confie-moi tes peines : mon cœur va les partager.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie

BEAUMARCHAIS (Jean-Pierre de), COUTY (Daniel), REY (Alain), Dictionnaire des littératures de langue française, nouvelle édition mise à jour et enrichie, Paris, Bordas, 1994, 4 vol., t. 4, p. 2487.

DUBOIS (Jean), GIACOMO (Mathée), [et al.], Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1999 (collection Expression), p. 486.

Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article de Jacques JOUET (Oulipo).

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 6, p. 1365.

OULIPO, La Littérature potentielle, Paris, Gallimard, 2007 (Folio Essais), pp172, 200, 299.

OULIPO, Atlas de littérature potentielle, Paris, Gallimard, 2007 (Folio Essais), pp143-158.

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

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