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L
a – P U B L i
a n c e
atelier d'écriture et publication
. . . . . . . . e n – l i g n e . . . . . . . .
atelier d'écriture et publication
. . . . . . . . e n – l i g n e . . . . . . . .
« Je
croyais traverser dans sa profonde horreur, d'un bois
silencieux l'obscurité perfide. »
Anastrophes
Le
nom féminin une anastrophe est un emprunt (1718) au grec
anastrophê (retournement), composé de ana- (de
bas en haut, en arrière, en sens inverse, de
nouveau) et de strophê (tour). Ana- est un
mot grec dont l'origine indo-européenne est apparentée au gotique
ana (contre) et au vieux perse anā
(le long de). Le mot grec strophê (tour),
employé spécialement pour parler des évolutions du chœur lyrique
sur la scène et de l'air chanté par le chœur, et par figure au
sens de ruse, dérive de strephein (tourner),
verbe d'origine inconnue.
Une
anastrophe est un terme de grammaire et une figure de
construction qui se caractérisent par un renversement de
l'ordre habituel des mots dans la phrase. Exemples : « Je
croyais traverser dans sa profonde
horreur, d'un bois silencieux
l'obscurité perfide »1, pour : « Je
croyais traverser dans son horreur profonde,
l'obscurité perfide d'un bois silencieux » ; « Sans
lien aucun », pour : « Sans aucun
lien ».
PERMUTATIONS
Selon
les grammairiens antiques et nos contemporains les linguistes de
Liège2, les figures procédant par permutation (ou
inversion) telles que l'anastrophe, relèvent aussi de l'hyperbate3.
« Là,
ses yeux, errants sur les flots,
d'Ulysse
fugitif semblaient suivre la trace.
(…)
c'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare... »4
L'inversion,
le déplacement d'un mot ou d'un groupe de mots par rapport à
l'ordre normal ou habituel de la construction d'une phrase, était
fréquent en grec ancien et en latin. Exemple :
« Me
voici »
est l'anastrophe de : « Voici
moi »
(en latin : « Mecum »
au lieu de « Cum
me »).
« (…)
Le bras fatal, sur
sa tête
étendu,
Prêt
à frapper, tient le fer suspendu.
(…)
Le couple affreux, d'une ardeur unanime,
Suit
son objet, va droit à sa victime,
L'atteint,
recule, et, de terre élancé,
Forme
cent nœuds, autour d'elle enlacé. »5
L'inversion
du complément déterminatif était très fréquente dans la
poésie classique.
Un
complément déterminatif est un complément de nom
(d'adjectif ou d'adverbe) qui se subordonne au nom (à l'adjectif ou
à l'adverbe), le plus souvent par une préposition, pour en limiter
l'extension. Exemples de compléments déterminatifs :
Un manteau d'hiver, pour : Un
manteau que l'on ne porte qu'en hiver, ou : Il est
incapable de cela,
pour : Il
est incapable de faire une telle chose.
Les
poètes du XVIIIe
siècle ont usé et abusé de l'anastrophe, qui obéissait souvent à
des raisons de rimes. On la trouve parfois encore chez les
romantiques.
Exemples :
« Ses
petits bras lassés / Avaient dans
son panier
glissé, les mains ouvertes ;/ D'herbes
et d'églantines
elles étaient couvertes./
De
quel rêve enfantin
ses sens étaient bercés ?/ Je l'ignore... »6 ;
« Vous qui songez aux morts sous
la terre étendus. »7.
EFFETS
MULTIPLES
Les
effets de
l'anastrophe sont multiples : esthétique
(la phrase « À
vivre nous aide le langage »
est moins banale et nous transporte plus facilement dans un autre
univers que : « Le langage nous
aide à vivre »), sémantique
(les expressions « Un homme grand »
et « Un grand homme »
n'ont pas le même sens en français : on parle de la taille du
physique d'un homme dans la première, et dans la deuxième
expression, on parle de la notoriété et du prestige de ce même
homme ; en résumé et sans ironie : « Un homme
petit peut devenir un grand homme », ou
inversement : « Ce grand homme n'est au final qu'un
homme petit »), rythmique, poétique
(certaines inversions de mots à l'intérieur d'un vers obéissent au
besoin de la rime : « Aux
jardins à l'anglaise, il
préfère l'ordonnance à la française »), etc.
Extraits :
-
« … on l'utilisait dans la
médication des maladies nerveuses contre lesquelles était
invoqué ce saint. Il me
narrait, à ce propos, qu'un jour, entre
chez lui une dame qu'il ne
connaissait point. » (En ménage,
de Georges Charles Huysmans,
écrivain français (1848-1907),
entré à l'Académie Goncourt en 1897).
-
« Il ne sent que les odeurs
habituelles et tout particulièrement celles qui de
la cave émanent. »
(Zazie dans le métro, de
Raymond Queneau, écrivain français (1903-1976),
entré à l'Académie Goncourt en 1951 ; a créé en 1960
l'OuLiPo avec François Le Lionnais ; acronyme de : Ouvroir de
Littérature potentielle, l'OuLiPo est un atelier d'expérimentation
littéraire qui cherche à réintroduire la notion de contrainte
formelle dans la création littéraire).
¤
.
¤ .
¤ .
Notes
1.
Extrait de : Macbeth
(1784), de
Jean-François Ducis, dans : Morceaux
choisis des prosateurs et des poètes français,
par Léopold Ducros (Paris, E.
André fils, 1905, p.
492). Jean-François Ducis
est un poète tragique français (1733-1816),
qui a adapté Shakespeare en tentant de soumettre ses textes aux
règles de la tragédie classique : Hamlet
(1769), Roméo et
Juliette (1772), Le
Roi Lear (1783),
Macbeth
(1784). Il est nommé à l'Académie française en 1778.
2.
Le Groupe
μ
(Mu)
a fourni dans les années 1970, une typologie raisonnée de toutes
les figures de rhétorique
(Rhétorique générale,
Paris, Larousse, 1970). Le groupe de « l'école de Liège »
(Belgique) est composé des linguistes Jacques Dubois, Francis
Édeline, Jean-Marie Klinkenberg, Philippe Minguet, F. Pire, et
Hadelin Trinon ; et
vise une approche transdisciplinaire : ils sont ainsi les
premiers à théoriser les figures de style comme des procédés
traduisibles dans tous les arts, avec la notion de « sémiotique
visuelle ». Leur typologie est fondée sur la base de quatre
opérations fondamentales : suppression, adjonction,
substitution, permutation.
3.
Après avoir été une
interversion,
l'hyperbate
est devenue cette figure par laquelle on ajoute
à la phrase qui paraissait terminée, un complément, une épithète
ou une proposition, expression qui surprend l'interlocuteur et qui se
trouve par là-même mise fortement en évidence (Dictionnaire
de poétique et de rhétorique,
de Henri Morier, Paris, PUF, 1961).
L'accent affectif tombe sur ce rajout qui, par sa position même, se
trouve souligné : Il
y avait longtemps que cette vague aurait voulu faire quelque chose
pour l'enfant, mais elle ne savait quoi. (…) N'y tenant plus, elle
l'emmena non loin de là, sans mot dire, et
comme par la main.
(Extrait
de : L'enfant de
la haute mer (1931),
de Jules Supervielle (Paris,
Gallimard, Folio, 1997, p. 21).
L'hyperbate garde quelque chose de la spontanéité du style oral, où
l'hésitation et l'autocorrection sont de mise.
4.
Extrait de : Cantates
(1703) : Circé,
de Jean-Baptiste Rousseau,
dans : ibid. (p. 473).
Jean-Baptiste
Rousseau
est un poète
français (1671-1741),
auteur de Cantates
(1703) et d'Odes
sacrées (1702),
célébré en
son temps comme le continuateur de Malherbe (François de, poète
français, 1555-1628) et de Boileau (Nicolas, écrivain français,
1636-1711, historiographe
du roi en 1677 et
entré à l'Académie française en 1684).
5.
Extrait de : Les
Deux serpents, de
Jacques de Clinchamp de Malfilâtre,
dans : ibid. (p.
487).
Jacques
Charles Louis de
Clinchamp de Malfilâtre
est un
poète français
(1733-1767)
dont Marmontel publia dans
Le Mercure
la meilleure de ses odes : Le
soleil fixe au milieu des planètes
(1759).
6.
Extrait
de : La coupe et
les lèvres (1832) :
Le sommeil d'un enfant,
d'Alfred de Musset,
dans : ibid.
(p. 565).
Alfred
de Musset
est un écrivain
français (1810-1857),
introduit dès 1828 dans le Cénacle (entre 1823 et 1830, groupe qui
se constitua d'abord chez Charles Nodier, ensuite chez Victor Hugo,
pour définir les idées du romantisme naissant et lutter contre le
formalisme classique), et
entré à l'Académie française en 1852. Il
est l'auteur de contes, de romans, de fantaisies poétiques et de
nombreuses pièces de théâtre, théâtre considéré aujourd'hui
comme la contribution la plus originale et la plus durable du
romantisme français à l'art dramatique.
7.
Extrait
de : Les
poèmes
de la mer (1852) :
Les naufragés,
de Joseph Autran,
dans : ibid.
(p. 512).
Joseph
Autran
est un poète
marseillais (1813-1877),
considéré en son temps comme le plus grand poète de son siècle
après Victor Hugo, et
entré à l'Académie
française en 1868.
.
¤ . ¤ . ¤
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Consigne :
introduire des anastrophes
dans l'extrait de texte suivant :
Le
vent grondait au loin dans son feuillage aride. C'était l'heure
fatale où le jour qui s'enfuit appelle avec effroi les erreurs de la
nuit, l'heure où nos esprits souvent trompés s'épouvantent. Près
d'un chêne enflammé, devant moi trois femmes se présentent. Quel
aspect ! Non, jamais l’œil humain ne vit d'air plus affreux,
de traits plus difformes. Leur front sauvage et dur, flétri par la
vieillesse, exprimait par degrés leur allégresse féroce. Leur bras
s'était plongé dans les flancs entr'ouverts d'un enfant égorgé,
pour consulter le sort. Ces trois spectres sanglants, courbés sur la
victime, y cherchaient et l'indice et l'espoir d'un grand crime. Et
enfin, ce grand crime se montrant à leurs yeux, ils rendaient grâce
aux Dieux par un chant sacrilège. Je m'avance, étonné :
« Existez-vous, leur dis-je, ou bien, ne m'offrez-vous qu'un
effrayant prestige ? ». Ces êtres monstrueux s'appelaient
tour à tour par des mots inconnus, s'applaudissaient entre eux,
s'approchaient, me montraient avec un cri farouche, leur doigt
mystérieux se posait sur leur bouche.
Cela
pourrait donner cet extrait de : Macbeth,
de Jean-François Ducis (voir note 1 ci‑dessus) :
Le
vent grondait au loin dans son feuillage aride. C'était l'heure
fatale où le jour qui s'enfuit appelle avec effroi les erreurs de la
nuit, l'heure où souvent trompés nos esprits s'épouvantent.
Près d'un chêne enflammé, devant moi se présentent trois
femmes. Quel aspect ! Non, l’œil humain jamais ne vit
d'air plus affreux, de plus difformes traits. Leur front
sauvage et dur, flétri par la vieillesse, exprimait par degrés leur
féroce allégresse. Dans les flancs entr'ouverts d'un
enfant égorgé, pour consulter le sort, leur bras s'était
plongé. Ces trois spectres sanglants, courbés sur la victime, y
cherchaient et l'indice et l'espoir d'un grand crime. Et, ce grand
crime, enfin se montrant à leurs yeux, par un chant
sacrilège ils rendaient grâce aux Dieux. Étonné, je
m'avance : « Existez-vous, leur dis-je, ou bien, ne
m'offrez-vous qu'un effrayant prestige ? » Par des mots
inconnus, ces êtres monstrueux s'appelaient tour à tour,
s'applaudissaient entre eux, s'approchaient, me montraient avec un
cri farouche, leur doigt mystérieux se posait sur leur bouche.
Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
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Bibliographie
BEAUMARCHAIS
(Jean-Pierre
de),
COUTY (Daniel),
REY (Alain),
Dictionnaire
des littératures de langue française,
nouvelle
édition mise à jour et enrichie, Paris,
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1, p. 118.
CRESSOT
(Marcel), JAMES (Laurence, mise à jour), Le
style et ses techniques : précis d'analyse stylistique,
13ème
éd., Paris, Presses universitaires de France, 1991, pp. 209‑235.
DUBOIS
(Jean),
GIACOMO (Mathée),
[et al.], Dictionnaire
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(collection Expression), p.
36.
Le
Grand Robert de la langue française,
2ème édition,
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Dictionnaires Le Robert, 2001,
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LITTRÉ
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Dictionnaire
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nouvelle
édition, Chicago,
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(réimpression
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Le
Petit Robert des noms propres,
nouvelle
édition refondue et augmentée, 2007.
REY
(Alain,
dir.), Dictionnaire
historique de la langue française,
nouvelle
édition, Paris,
Dictionnaires
Le Robert, 1993,
2 vol., p.
68.
L
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