samedi 2 mai 2015

Perverbes oulipiens, atelier d'écriture bimensuel de La Publiance


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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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« Elle ne fait pas les dents. », ou encore « Il ne desserre pas dans la dentelle. »

Perverbes oulipiens

Un perverbe est un proverbe1 perverti (pro-verbe/per-verti) de la manière suivante : on associe le début d'un proverbe avec la fin d'un autre pour composer un perverbe (extrait de : http://nadorculture.unblog.fr/2009/02/23/exemples-de-perverbes).

Attention à ne pas confondre le mot « perverbe », qui est un néologisme, avec le nom masculin « préverbe ». Le préverbe est un préfixe apposé à une forme verbale, par exemple le « dé » de « défaire ».

Le nom masculin « un proverbe » est emprunté (1174-1187) au latin « proverbium » (dicton, adage, énigme, comparaison, parabole, locution, manière de dire convenue, sentence morale, maxime de sagesse), et il est formé du latin « pro » (pour) et « verbum » (verbe). La distinction entre locution, proverbe, dicton, adage ne se fait clairement qu'à partir du XIXe siècle. Juste auparavant, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le proverbe est aussi une « petite comédie dont l'action illustre un proverbe » (1768), un genre littéraire mondain à la mode à l'époque romantique, un jeu de société comme celui des charades, pratiqué par Alfred de Musset dans ses Comédies et proverbes (1840) : Il ne faut jurer de rien (1836), On ne badine pas avec l'amour (1834), etc., ou encore par Carmontelle dans ses Proverbes dramatiques (1768-1781).

UN EXERCICE OULIPIEN

Grâce à leur structure forte, et familière à tous, les proverbes et aphorismes se prêtent particulièrement aux manipulations et substitutions. Une des possibilités en est le « perverbe ». Un perverbe marie la première moitié d'un proverbe à la deuxième moitié d'un autre.

Exemple avec le perverbe « Pierre qui roule mène à Rome », qui est composé à partir des proverbes suivants : « Pierre qui roule n'amasse pas mousse » (qui signifie : une vie aventureuse, agitée, ne permet pas d'accumuler des biens), et, « Tous les chemins mènent à Rome » (qui signifie : on peut arriver au même résultat par des moyens différents).

Remarque : un perverbe en soi n'est pas oulipien. Il faut d'abord en établir un corpus limité qu'on soumettra par la suite à une contrainte supplémentaire. On obtiendra alors soit un court récit en prose, soit un poème.

Exemple d'un court récit en prose, avec le perverbe : « Il faut rendre à César sans casser des œufs », composé à partir des proverbes suivants : « Il faut rendre à César ce qui appartient à César » (chacun doit conserver ce qui lui appartient), et, « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs » (on n'obtient rien sans faire un minimum de sacrifices inévitables), utilisant l'homomorphisme (qui est la production d'un texte reproduisant la structure d'un texte-souche) : Pendant des semaines ils avaient conservé dans leur cave la plus fraîche tout ce que pondaient leurs poules, leurs canes et leurs oies, pour l'emporter ensuite à Rome à petits pas, prenant soin de ne briser aucune partie de ce chargement fragile, destiné à acquitter tout leur impôt.

Exemple d'un poème à perverbes : utilisant les deux moitiés des perverbes comme sections rimantes (soit au début, soit à la fin du vers), on obtient des structures strophiques.

L'extrait suivant est tiré d'un poème de Harry Mathews, intitulé : Les pavés du royaume (dans : Le savoir des rois : poésies, bibliothèque oulipienne, n° 5, 1977) :

Dans le royaume des aveugles, qui est à César,

Dans le royaume des aveugles, que la raison ne connaît pas

(On revient toujours : les borgnes sont rois),

Dans le royaume des aveugles, je te passe le séné.

Rien ne sert de courir, les borgnes sont rois.

Cette strophe de perverbes est composée à partir des proverbes suivants :

- Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois (qui signifie : un médiocre paraît remarquable, parmi des gens sans aucune valeur).

- Rendez à César ce qui est à César (chacun doit conserver ce qui lui appartient).

- Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point (Blaise Pascal, Pensées, IV (1669), Hachette, 3 vol., 1904, p. 277), qui signifie que lorsque le cœur est opposé à la raison, c'est le sentiment ou l'intuition mêlée d'affects, qui est opposé à l'esprit analytique.

- On revient toujours à ses premières amours (on reprend une habitude ancienne qu'on avait abandonnée),

- Passez-moi la casse, je vous passerai le séné2 (faisons-nous de mutuelles concessions, donnons-nous des avantages mutuels).

- Rien ne sert de courir, il faut partir à point (Jean de La Fontaine, Fables (1692) : Le lièvre et la tortue, Paris, Pocket, 2007, p. 106), qui signifie qu'il est inutile de se presser, si on n'a pas réuni les conditions de la réussite.

OuLiPo, L'OUVROIR DE LITTÉRATURE POTENTIELLE

D'après François Le Lionnais, toute œuvre littéraire se construit à partir d'une inspiration (...) qui est tenue à s'accommoder tant bien que mal d'une série de contraintes ou de procédés.

Il est possible de composer des textes qui auront des qualités poétiques, surréalistes, fantaisistes ou autres, sans avoir de qualités potentielles.

Rose au cœur violet
(anagramme du titre, poème où chaque vers est composé avec les voyelles
O E A U O E U I O E et les consonnes R S C R V L et T)

Se vouer à toi ô cruel
À toi couleuvre rose
O, vouloir être cause
Couvre-toi, la rue ose

Ouvre-toi, ô la sucrée
(etc)

(Extrait de : Atlas de littérature potentielle : hétérogrammes, p. 233)

Le but de la littérature potentielle est de fournir aux écrivains futurs des techniques nouvelles qui puissent réserver l'inspiration de leur affectivité. D'où la nécessité d'une certaine liberté.

Ainsi, il y a deux LiPos : une analytique et une synthétique. La LiPo analytique recherche des possibilités qui se trouvent chez certains auteurs sans qu'ils y aient pensé. La LiPo synthétique constitue la grande mission de l'OuliPo, il s'agit d'ouvrir de nouvelles possibilités inconnues des anciens auteurs.

Mais qu'est-ce que l'OuLiPo ? Ni un mouvement littéraire – il ne vise pas à produire ni à promouvoir des œuvres ; ni une académie malgré quelques ressemblances formelles ; ni un groupe de recherche scientifique, même si ses membres pratiquent volontiers les mathématiques... Son projet n'est pourtant pas si différent de celui d'un séminaire académique. Il se donne pour but « d'opérer sur des matériaux constitués, organisés à des fins littéraires » (Jacques Bens).

Il prend comme unique objet d'étude la structure de ces matériaux, « sans considération particulière de la beauté ». Autrement dit, il considère le langage comme une machinerie susceptible de produire toute sorte de matrices correspondant à des structures prédéfinies. Ces structures, observe-t-il, restent souvent cachées, délibérément ou non. En outre, la dépréciation traditionnellement attachée à la notion de « procédé » a fait qu'elles ne sont mises en œuvre que clandestinement, et empiriquement, c'est-à-dire de façon rudimentaire.

Mage roux
grave doux
sable mou
passe clou
l'âge fou
crabe soûl
barde lourd
larme d'ours

(Extrait de : Atlas de littérature potentielle : homovocalismes, p. 161)

L'OULIPO prétend : 1. mettre au jour ces structures cachées, 2. en inventorier systématiquement les possibilités de fonctionnement, 3. inventer de nouveaux modèles structurels susceptibles de générer des œuvres nouvelles, 4. mettre à la disposition d'utilisateurs éventuels ses trouvailles.

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Notes

1. Un proverbe est une formule présentant des caractères formels stables, souvent métaphorique ou figurée et exprimant une vérité d'expérience ou un conseil de sagesse pratique et populaire commun à tout un groupe social.

2. Le séné est la pulpe d'une plante légumineuse du genre cassia (ou casse) ou cannelier ; c'est la pulpe des gousses de la casse, que l'on utilise comme remède pour ses propriétés laxatives et purgatives.

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Consigne : constituer une liste de 6 proverbes (plus ou moins) ou piocher dans la liste ci-après, puis composer des perverbes avec le début d'un proverbe et la fin d'un autre. Ensuite, choisir un perverbe et composer un court récit qui illustre le perverbe, ou utiliser plusieurs perverbes pour composer un poème.

Proverbes proposés :

- Être mort dans le dos (en argot, être transi de froid),

- C'est clair comme de l'eau de roche (c'est clair, c'est évident, en parlant de choses abstraites, correspond à « crystal clear » en anglais),

- Vivre d'amour et d'eau fraîche (se contenter des sentiments et ne pas se préoccuper des nécessités matérielles),

- Ne pas arriver à la cheville de quelqu'un (lui être très inférieur),

- Faire dresser les cheveux sur la tête (inspirer de la terreur),

- Revenir à ses premières amours (reprendre une habitude ancienne qu'on avait abandonnée).

Avec les proverbes « Être mort dans le dos » (en argot, être transi de froid) et « C'est clair comme de l'eau de roche » ( c'est clair, c'est évident, en parlant de choses abstraites), cela pourrait donner le perverbe suivant : « Être mort dans de l'eau de roche », et le texte suivant :

Ce soir-là, je suis mort dans de l'eau de roche. Il faut dire que ce soir-là, j'avais un peu trop bu (une vieille habitude, une sale manie). Il faut dire qu'on fêtait nos retrouvailles, après 15 ans de perdu de vue. On s'était retrouvés sur internet. On s'était donnés rendez-vous en Amérique, un vieux rêve d'adolescent ; à 15 ans, on avait formé un groupe de musique : J.-C. à la batterie, E. au chant, M. à la guitare et moi à la basse - il y avait aussi I. aux claviers, mais on ne l'a pas retrouvé, du moins on ne l'a pas retrouvé vivant vu qu'on a découvert (quinze après) qu'il était mort d'overdose au lendemain de sa majorité, triste fin mais fin méritée pour qui tutoie les anges d'un peu trop près et trop souvent.

Donc, on s'était donné rendez-vous en Amérique, plus précisément au pied des chutes du Niagara, « Niagara Falls » dans l'état de New York, qui signifie en langue des Mohawks « l'endroit coupé en deux » (un peu comme moi quand j'ai trop bu, devenu rond comme une barrique, saoul comme une grive) car les eaux de la rivière Niagara se divisent en deux chutes, et qui signifie aussi « résonne, fait du bruit » en iroquois (qui n'avaient pas tort), le bruit est assourdissant. On s'est retrouvés la veille du premier de l'an, le 31 décembre 2014. Il faisait encore beau et suffisamment chaud – même si les températures avoisinaient le zéro degré.

On a bu, on n'était plus embarrassés, on s'est embrassés, on s'est racontés, on a continué à boire, pendant des heures, qui sont devenues des jours. Le thermomètre descendait toujours plus bas tandis que nous remontions le cours de nos vies. C'est ballot d'en être arriver là. Dans cette eau. De roche. Dans cette eau de source. À la source, finalement.

On est tombés tous ensemble dans l'eau (bon d'accord on s'est un peu poussés, on a beaucoup chahuté), on était retombés en adolescence. On n'a pas vu la vague arriver. La vague de froid. Une vague qui a recouvert tout l'est des États-Unis (trop grande pour nous, on n'a pas pu y résister). On y est tous restés. On nous découvrira certainement au printemps, lors du dégel, lors de la fonte des neiges, en mars ou en avril...

Je vous parle de là-haut, on s'est tous retrouvés autour de I. - et pas besoin d'internet -, vachement contents d'être au complet pour pouvoir reformer le groupe. Je suis mort dans le dos, c'est clair comme de l'eau de roche.

Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !

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Bibliographie

BEAUMARCHAIS (Jean-Pierre de), COUTY (Daniel), REY (Alain), Dictionnaire des littératures de langue française, nouvelle édition mise à jour et enrichie, Paris, Bordas, 1994, 4 vol., t. 3, p. 1794.

Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 5, p. 1337.

OULIPO, Atlas de littérature potentielle, Paris, Gallimard, 2007 (Folio Essais), pp159, 293-294, 344.

Oulipo.net (site internet officiel de l'OuLiPo).

Le Petit Robert des noms propres, nouvelle édition refondue et augmentée, 2007.

REY (Alain), CHANTREAU (Sophie), Dictionnaire des expressions et locutions, Paris, Dictionnaires Le Robert, Nouvelle présentation, 2007, pp. 20, 133, 140, 235.

REY (Alain, dir.), Dictionnaire historique de la langue française, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, 2 vol., pp. 1474, 1658.

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