lundi 28 septembre 2015

Le nombre de pieds et les vers alexandrins

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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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S'amuser avec le nombre de pieds et les vers alexandrins
Au commencement du règne de Louis XV, un jeune homme nommé Croisilles, fils d'un orfèvre, revenait de Paris au Havre, sa ville natale. Il avait été chargé par son père d'une affaire de commerce, et cette affaire s'était terminée à son gré. La joie d'apporter une bonne nouvelle le faisait marcher plus gaiement et plus lestement que de coutume ; car, bien qu'il eût dans ses poches une somme d'argent assez considérable, il voyageait à pied pour son plaisir. C'était un garçon de bonne humeur, et qui ne manquait pas d'esprit, mais tellement distrait et étourdi, qu'on le regardait comme un peu fou. Son gilet boutonné de travers, sa perruque au vent, son chapeau sous le bras, il suivait les rives de la Seine, tantôt rêvant, tantôt chantant, levé dès le matin, soupant au cabaret, et charmé de traverser ainsi l'une des plus belles contrées de la France. Tout en dévastant, au passage, les pommiers de la Normandie, il cherchait des rimes dans sa tête (car tout étourdi est un peu poète), et il essayait de faire un madrigal* pour une belle demoiselle de son pays : ce n'était pas moins que la fille d'un fermier général, mademoiselle Godeau, la perle du Havre, riche héritière fort courtisée.
Croisilles n'était point reçu chez M. Godeau autrement que par hasard, c'est-à-dire qu'il y avait porté quelquefois des bijoux achetés chez son père. M. Godeau, dont le nom, tant soit peu commun, soutenait mal une immense fortune, se vengeait par sa morgue du tort de sa naissance, et se montrait, en toute occasion, énormément et impitoyablement riche. Il n'était donc pas homme à laisser entrer dans son salon le fils d'un orfèvre ; mais, comme mademoiselle Godeau avait les plus beaux yeux du monde, que Croisilles n'était pas mal tourné, et que rien n'empêche un joli garçon de devenir amoureux d'une belle fille, Croisilles adorait mademoiselle Godeau, qui n'en paraissait pas fâchée.
Il pensait donc à elle tout en regagnant le Havre, et, comme il n'avait jamais réfléchi à rien, au lieu de songer aux obstacles invincibles qui le séparaient de sa bien-aimée, il ne s'occupait que de trouver une rime au nom de baptême qu'elle portait. Mademoiselle Godeau s'appelait Julie, et la rime était aisée à trouver. Croisilles, arrivé à Honfleur, s'embarqua le cœur satisfait, son argent et son madrigal en poche, et dès qu'il eut touché le rivage, il courut à la maison paternelle.
*Un madrigal est une courte pièce de vers exprimant une pensée ingénieuse et galante (Le Grand Robert de la langue française, 2ème édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, 6 vol., t. 4, p. 1013).
Le texte proposé est extrait de : Croisilles (1839), dans : Nouvelles (Paris, G. Charpentier, 1877, pp. 269-270), d'Alfred de Musset.
Dans les manuels des collégiens, Alfred de Musset** a longtemps figuré parmi les quatre grands romantiques français, aux côtés de Victor Hugo (1802-1885), d'Alphonse de Lamartine (1790-1869) et d'Alfred de Vigny (1797-1863). Depuis lors, sa popularité a baissé et son mythe s'est effacé.
Écrivain français (1810-1857) doué d'une rare précocité, introduit dès 1828 dans le Cénacle (le Cénacle est le nom donné entre 1823 et 1830 au groupe qui se constitua d'abord chez Charles Nodier, ensuite chez Victor Hugo, pour définir les idées du romantisme naissant et lutter contre le formalisme classique), et entré à l'Académie française en 1852, il est l'auteur d'une œuvre théâtrale qui a longtemps déconcerté le public par sa fantaisie et par le désinvolte mélange des genres : Les marrons du feu (1830), Un caprice (1837), Fantasio (1834), Lorenzaccio (1834), Le Chandelier (1835), Il ne faut jurer de rien (1836), On ne saurait penser à tout (1849), Bettine (1851), etc.
On lui doit aussi un roman autobiographique : La Confession d'un enfant du siècle (1836), des contes : Histoire d'un merle blanc (1842), des nouvelles : Les Deux maîtresses (1837), Le Fils du Titien (1838), Croisilles (1839), etc., et des fantaisies poétiques : Premières poésies (1829-1835), Sur trois marches de marbre rose, in : Poésies nouvelles (1836-1852), etc.
**Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article de Jean Thomas (Musset).
DE LA PROSE À LA POÉSIE
Consigne 1 : à la manière de l'exercice oulipien de la traduction (qui consiste à traduire un texte à l'intérieur d'une même langue, et non d'une langue à l'autre), traduire en langage poétique l'extrait de texte proposé (en prose). Avec le début du texte, cela pourrait donner ceci :
Au commencement du règne de Louis XV,
Un jeune homme nommé Croisilles, fils d'un orfèvre,
Revenait de Paris au Havre, sa ville natale.
Il avait été chargé par son père d'une affaire de commerce,
Et cette affaire s'était terminée à son gré.
LE NOMBRE DE PIEDS
Plus que la rime, c'est la mesure***, fondée sur le nombre de pieds, qui distingue vraiment le vers de la prose. Le nombre de pieds permet aussi de classer les vers en différents mètres selon leur longueur. Les mètres pairs comme les vers de 2 pieds, 4, 6, 8 (octosyllabes), 10 (décasyllabes), et 12 pieds (alexandrins) ont pour effets la régularité, la netteté, le découpage facile en segment (l'alexandrin est découpé en 2 hémistiches ou 2 parties égales, de 6 pieds chacun). Les mètres impairs de 5, 7, 9 et 11 pieds dont la coupe ne peut pas être régulière, ont des effets de légèreté, de flou, de variété et de liberté. Un pied est une syllabe prononcée complètement.
***Encyclopædia Universalis, 2008-2009, édition numérique, 1 CD-ROM, article de Benoît de Cornulier (Métrique).
Consigne 2 : compter le nombre de pieds de chaque vers :
Au-co-mmen-ce-ment-du-rè-gne-de-Louis-XV, (11 pieds)
Un-jeu-ne ho-mme-no-mmé-Croi-si-lles,-fils-d'un-or-fè-vre, (14 pieds)
Re-ve-nait-de-Pa-ris-au-Ha-vre,-sa-vi-lle-na-ta-le. (15 pieds)
Il-a-vait-é-té-char-gé-par-son-pè-re-d'une-a-ffai-re-de-co-mmer-ce, (19 pieds)
Et-cette-a-ffai-re-s'é-tait-ter-mi-née-à-son-gré. (13 pieds)
Consigne 3 : transformer chaque phrase en vers comportant le même nombre de pieds. En choisissant la mesure de 9 pieds, cela pourrait donner les 7 vers suivants :
Au début du règne de Louis XV,
Un jeune homme nommé Croisilles,
Fils d'un orfèvre, marchait bon pas,
Revenant de Paris au Havre,
Sa ville natale
et si fleurie,
C
hargé par son père d'une affaire,Qui s'était terminée à son gré.
ACCENTS ET CÉSURES, L'ALEXANDRIN
Le rythme naît du retour de temps forts à intervalles réguliers, comme les accents et les coupes (ou césures). En français, chaque mot plein (verbe, nom, adjectif, adverbe, etc.) porte un accent tonique sur la dernière syllabe prononcée, on parle alors d'accent rythmique dans un vers. La coupe ou la césure est un arrêt bref de la voix après un accent rythmique.
Un tétramètre (un vers à 12 pieds ou vers alexandrin) comporte 4 accents rythmiques et donc 4 mesures (ou coupes), avec 2 mesures qui tombent obligatoirement sur le 6e et le 12e pied. Lorsque la césure (ou coupe) de l'alexandrin (ou du vers) est affaiblie ou inexistante (vers impair), le vers change de rythme. La césure médiane (du milieu) est remplacée par deux autres césures qui divisent le vers en trois mesures : c'est un trimètre.
Consigne 4 : transformer les vers à 9 pieds obtenus précédemment en vers alexandrins, en veillant à ce qu'ils comportent une césure au milieu du vers, et une rime à la fin du vers. Cela pourrait donner ceci :
Au début de Louis XV le règne floué,
Tout à coup, comme atteint d'un bonheur insensé,

Homme jeune bien né, et Croisilles nommé,
Saute, marche et saute,
comme du pas d'un fou.
Revenu
au Havre, seul fils d'un orfèvre,
D'une affaire
à Paris chargé par son père,Terminée à son gré, en l'amour il espère.
Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
L a – P U B L i a n c e
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