samedi 24 octobre 2015

Dénotation et connotation

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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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Jeux autour de la dénotation et de la connotation
Une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans.
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course, et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais, au lieu de tirer de toute leur force, ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six, quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette était attelée de quatre bœufs fort maigres, conduits par une jument poulinière, dont le poulain allait et venait à l'entour de la charrette comme un petit fou qu'il était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes, qui faisaient comme une pyramide, au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville moitié campagne.
Un jeune homme, aussi pauvre d'habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un œil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui faisaient comme une bandoulière, au bas de laquelle pendait par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d'avoir été pris à la petite guerre. Au lieu de chapeau, il n'avait qu'un bonnet de nuit, entortillé de jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de turban qui n'était encore qu'ébauché et auquel on n'avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette, ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée, qui était si longue qu'on ne s'en pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses trouées à bas d'attaches, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l'antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l'antique, que les boues avaient gâtés jusqu'à la cheville du pied.
Un vieillard, vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de viole, et, parce qu'il se courbait un peu en marchant, on l'eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur ses jambes de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion qu'il y a d'une tortue à un homme ; mais j'entends parler des grandes tortues qui se trouvent dans les Indes, et de plus, je m'en sers de ma seule autorité. Retournons à notre caravane. Elle passa dans le tripot de la Biche, à la porte duquel étaient assemblées quantité des plus gros bourgeois de la ville. La nouveauté de l'attirail et le bruit de la canaille qui s'était assemblée autour de la charrette furent cause que tous ces honorables bourgmestres jetèrent les yeux sur nos inconnus.
Le texte proposé est extrait de : Le Roman comique (1651-1657), de Paul Scarron (Paris, Dubuisson et Cie, Lucien Marpon, 1866, Collection des meilleurs auteurs anciens et modernes, 2 vol., t. 1, pp. 3-5).
Paul Scarron (1610-1660) est un poète burlesque et un romancier français*, auteur d'une parodie burlesque : Virgile travesti (1648-1652), véritable critique littéraire de l'Énéide, et d'une autre œuvre restée plus vivante : Le Roman comique (1651-1657), le plus important et le meilleur de tous les romans comiques et familiers du XVIIème siècle, et le chef-d'œuvre de l'auteur. Le sujet lui permettait d'être en même temps vrai et burlesque, de se livrer à son penchant pour la bouffonnerie sans sortir de la nature.
Dans ce récit des aventures d'une troupe de comédiens nomades, les types et les caractères abondent : Ragotin, le petit bourgeois hargneux, bel esprit et esprit fort ; La Rancune, le fripon misanthrope, enflé de vanité et d'envie ; la Rappinière, rieur méchant et coquin pendable ; le poète Roquebrune, avec ses prétentions de « mâchelaurier »**, etc. Quelques passages offrent du sentiment et de l'émotion, comme l'histoire du Destin et les plaintes de la Caverne sur l'enlèvement de sa fille Angélique. Le style est d'une rapidité singulière, et marque d'un mot caractéristique les hommes et les choses.
On a pensé que la troupe comique mise en scène par Scarron pourrait bien être celle de Molière, et certains rapprochements paraissent concorder avec cette opinion. Quelques critiques ont vu l'original du roman comique dans un ouvrage d'Augustin Rojas de Villandrado, El viage entretenido, qui parut en 1603, et qui n'a pas été traduit en français. Si Scarron le connaissait, son imitation a été si libre qu'elle n'enlève rien à sa personnalité. Il en avait été de même pour l'Eneide travestita de l'Italien J.-B. Lalli, qui, publiée en 1633, avait pu lui fournir l'idée de travestir Virgile. Dans Le roman comique se trouvent intercalées quatre nouvelles traduites librement ou imitées de l'espagnol. Comme le Virgile travesti, Le Roman comique n'était pas achevé ; ils ont eu l'un et l'autre plusieurs continuateurs.
Paul Scarron est aussi l'auteur de nombreuses comédies : les Trois Dorothées ou Jodelet souffleté (1646), l'Héritier ridicule (1649), l'Écolier de Salamanque (1654), etc. ; d'un poème bouffon en cinq chants : Le typhon ou la gigantomachie (1644), de nouvelles tragi-comiques et de poésies diverses, épîtres, sonnets, madrigaux, chansons, satires, etc.
*Dictionnaire universel des littératures, Gustave Vapereau, Paris, Hachette, 1876, pp. 1834-1835.
**Un mâche-laurier (mot attesté à partir de 1552) est une personne qui recherche la gloire poétique. Ce mot composé et plaisant stigmatisait celui qui court après la gloire poétique et signifiait au XVIème siècle « mauvais poète ». Le mot est sorti d'usage au siècle suivant.
SENS PREMIER OU DÉNOTATION
Les mots ont un sens premier et stable sur lequel peuvent s'entendre des personnes qui parlent une même langue. Le sens dénoté d'un mot, ou sa dénotation, est le sens objectif de ce mot, c'est sa définition dans un dictionnaire de langue*. Par exemple avec le mot cheval, dont la définition dans le Grand Robert de la langue française est : le cheval est un grand mammifère à crinière, plus grand que l'âne, domestiqué par l'homme comme animal de trait et de transport. Un mot peut avoir un sens (monosémique) ou plusieurs sens (polysémique) dénotés, qui changent suivant l'usage que l'on fait de ce mot, ou suivant le contexte dans lequel le mot est employé.
*Précis de français : langue et littérature, Frédéric Bourdereau, Jean-Claude Fozza, etc., Paris, Nathan, 1996, collection Repères pratiques, p. 28.
Consigne 1 : recomposer l'extrait de texte proposé, en utilisant le sens dénoté des termes. Avec le début du texte (où le soleil est métaphoriquement un char lancé à pleine vitesse), cela pourrait donner ceci :
Une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans.
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course, et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais, au lieu de tirer de toute leur force, ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toutes les nuits.
Les mots choisis sont : une troupe – le soleil - achever - sa course – son char – le penchant – roulait – ses chevaux – des courbettes.
Les sens dénotés des mots choisis sont tirés du dictionnaire Le Grand Robert de la langue française (2001) :
Une troupe = 1. un groupe de comédiens, d'artistes attachés à un théâtre ou qui se produisent ensemble, qui cheminent ensemble, qui vont ensemble = 2groupe d'hommes armés pour le combat, groupe régulier et organisé de soldats.
Le soleil = 1. astre qui donne la lumière et la chaleur à la terre, et rythme la vie à sa surface = 2. pièce d'artifice en cercle monté sur pivot, garni de fusées qui le font tourner en lançant leurs feux = 3. tour complet autour d'un axe horizontal = 4. fleur de l'hélianthe ou tournesol.
Achever = 1. finir en menant à bonne fin, terminer, accomplir, conclure = 2. donner le coup de grâce, frapper à mort.
Une course = 1. action de courir = 2. épreuve de vitesse, compétition sur une distance ou un parcours donné = 3. compétition entre personnes ou entre états pour arriver le premier = 4. action de parcourir un espace = 5. excursion, voyage organisé = 6. allée et venue d'un commissionnaire ou d'un coursier = 7. mouvement plus ou moins rapide d'une chose ou d'un organe.
Un char = 1. voiture à deux roues qu'utilisaient les Anciens dans les combats, les jeux et les cérémonies publiques = 2. voiture riche ou élégante = 3. voiture rurale tirée par un animal, à quatre roues et sans ressorts = 4. voiture décorée portant des personnages ou des masques = 5. véhicule automobile blindé et armé, monté sur chenilles.
Un penchant = 1. qui penche, qui menace de s'effondrer, qui décline = 2. versant ou partie inclinée d'une colline, d'un coteau ou d'une montagne = 3. inclination naturelle, aptitude, prédisposition, facilité, vocation.
Rouler = 1. déplacer un corps arrondi en le faisant tourner sur lui-même = 2. faire avancer ou déplacer un objet muni de roues ou de roulettes = 3. tourner quelque chose autour d'un axe, mettre quelque chose en rouleau = 4. exploiter quelqu'un en le trompant = 5. faire vibrer longuement (rouler les r) = 6. décrire une courbe fermée = 7. errer sans s'arrêter.
Un cheval = grand mammifère à crinière.
Une courbette = 1. saut dans lequel le cheval lève et fléchit les deux membres antérieurs sous le ventre = 2. action de s'incliner exagérément.
La recomposition du début du texte pourrait donner ceci :
Un groupe de comédiens arrive dans la ville du Mans.
Le soleil avait dépassé la moitié de son parcours, et l'astre errait sans s'arrêter à l'horizon, derrière lequel il disparut rapidement.
CONNOTATION OU SECOND SENS, TROISIÈME SENS, ETC.
La connotation, ou sens connoté d'un mot, est l'ensemble des significations secondes de ce mot ; on parle de connotations affectives ou émotionnelles d'un mot, de connotations politiques, etc., variables selon les groupes, les individus et le contexte*. Ainsi, cheval, destrier et canasson ont la même dénotation, ils désignent le même animal ; mais ces trois mots diffèrent par leurs connotations : à côté de cheval, qui est neutre, on dira que destrier connote une langue poétique, et canasson une langue familière**.
*Style et rhétorique, Claude Peyroutet, Paris, Nathan, 1994, collection Repères pratiques, p. 12.
**Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Jean Dubois, Mathée Giacomo, etc., Paris, Larousse, 1999, collection Expression, p. 111.
Consigne 2 : utiliser les autres sens des mots proposés ci-dessus, pour composer un texte de quelques lignes, en veillant à donner une coloration affective et émotionnelle au récit, sans utiliser d'images ou de comparaisons. Cela pourrait donner ceci :
Le soleil brillait dans la nuit, éclairée des mille feux de la pièce d'artifice garnie de fusées qui tournoyaient en sifflant dans l'obscurité. Des gerbes scintillantes doraient les feuillages jusqu'à la cime des arbres. Une troupe armée comme pour le combat stationnait, assise sous l'astre, le nez en l'air, la tête dans les étoiles. Leurs fusils étaient en bois, leurs couteaux en carton, leurs déguisements étaient réussis. On ne les avait pas roulé, le spectacle était... spectaculaire.
Des chevaux broutaient non loin de la colonne de chars qui s'étirait jusque sous le penchant de la colline, tous phares allumés. Les chars étaient des voitures diesel entièrement recouvertes de papier crépon multicolore et surmontées de personnages en carton pâte à la taille démesurée. On avait aménagé une petite ouverture dans les épaisseurs de crépon pour que le conducteur puisse distinguer la route devant lui. Dans quelques minutes, on allait donner le coup de grâce au colosse prénommé Karnavale, un brasier géant préparé et allumé par les artificiers était chargé de l'achever. Le soleil déclinait, l'aube n'allait pas tarder, le feu d'artifice était terminé, la foule s'inclina en de multiples courbettes avant de s'élancer dans une ronde échevelée.
ADDITION D'UN SENS DÉNOTÉ ET D'UNE CONNOTATION
Dans certains cas, on peut cumuler le sens dénoté d'un mot avec une ou plusieurs connotations*. Exemple avec le mot or, dont le sens dénoté est : un métal jaune, brillant, assez mou, de densité 19,4 et fondant à 1063°C, très ductile et malléable, inattaquable à l'air et à l'eau, soluble seulement dans l'eau régale (mélange d'acide chlorhydrique et d'acide nitrique), et considéré comme le type du métal précieux ; et qui, associé à un ou plusieurs mots, donne les locutions et expressions connotées suivantes : l'or noir (= le pétrole, qui est noir, est aussi cher et précieux que l'or), l'or blanc (= le platine, ou bien la neige et les ressources procurées par la mise en valeur et l'exploitation des stations de sports d'hiver), l'or rouge (= l'énergie solaire), l'âge d'or (les temps heureux d'une civilisation), un cœur en or (une personne généreuse et bonne), à prix d'or (très cher), etc.
*Style et rhétorique, Claude Peyroutet, Paris, Nathan, 1994, collection Repères pratiques, p. 14.
Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
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