mardi 9 février 2016

Chiasme et parallèle

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L a – P U B L i a n c e
atelier d'écriture et publication
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Jeux autour du chiasme et du parallèle
RONDEAU À TANNEGUY DU CHASTEL

C'est pour me receller1 les biens2
Qui sont en vous, comme je tiens3,
Que ne voulez que je vous voie ;
Mon cuer4 s'en plaint, que vous envoie :
Aussi font les pauvres yeux miens.

Chaque jour je vais et reviens,
Regardant si je verrai riens,
Ainsi que de coutume avais :
C'est pour me [receller les biens.]

Toutefois, si nul n'en retiens,
Devant tout le monde maintiens
Que ja (jay) veu j'en ai tel montjoye5
Qu'on (que) ne peut plus ; mais quoi ? ma (mieulx) joie,
Ce n'est pas cella ou je viens ;
C'est pour me [receller les biens.]
Notes : 1. Cacher ; 2. Les qualités d'une personne ; 3. Croire ; 4. Cœur ; 5. En tellement grande quantité (Dictionnaire de l'ancien français, Algirdas Julien Greimas, Paris, Larousse, 2001).
Le poème proposé est extrait de : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle : rondeau LXVII (1455), de Jamette de Nesson ; publiés par Gaston Raynaud ; Société des anciens textes français, Paris, Firmin-Didot, 1889, pp. 59‑60 (gallica.bnf.fr).
D'après la notice de Gaston Raynaud sur Jamette de Nesson (p. xxviii), la « belle » Jamette, nièce de Pierre de Nesson (1383-avant 1442), était une poétesse fort admirée au XVe siècle. Martin Le Franc n'hésite pas en effet à la qualifier d'« aultre Minerve », dans son Champion des Dames, écrit en 1440 et 1442 ; tandis que J. Bouchet, dans son Jugement poétique du sexe féminin, parle d'elle avec éloge. (...) Nièce d'un poète renommé qui fut attaché au duc de Bourbon, Jamette de Nesson devait certainement faire figure à la cour royale : « nous ne croyons donc pas nous tromper en supposant qu'elle était la fille d'un certain Jamet de Nesson que nous trouvons, au commencement du XVe siècle, valet de chambre et garde des deniers des coffres du roi Charles VI. Elle faisait sans doute partie des dames de corps de la reine ou plutôt de la dauphine, dont les penchants littéraires sont connus. »
Tanneguy (Tanguy) du Chastel était le neveu du prévôt de Paris et il mourut en 1477 ; après la mort du roi Charles VII en 1461, il fut nommé par Louis XI grand-écuyer, chambellan et chevalier de Saint-Michel. Tanneguy du Chastel était en correspondance littéraire avec Jamette de Nesson, et il répond à son rondeau « C'est pour me receller les biens » par un autre rondeau « Puis qu'en moi cuidez tant de biens », en reprenant, comme c'était la tradition, les rimes et le rythme du poème de son interlocutrice.
Le rondeau de Jamette de Nesson est un rondeau double non layé, qui ne contient donc pas plus de cinq vers octosyllabes au premier couplet, avec des rimes a et b alternées : aabba/aaba/aabbaa, et où le premier vers est repris en refrain à la fin du deuxième et du troisième couplet.
LE RONDEAU
Après avoir été primitivement une petite chanson destinée à accompagner la danse connue sous le nom de ronde, un rondeau est un poème à forme fixe du moyen âge (trois strophes dont le premier vers est répété, en refrain, à la fin de la deuxième et de la troisième strophe), très en vogue au XVe siècle et qui a perduré jusqu'à la fin du XIXe siècle. Il existait de nombreux types de rondeaux : le rondeau simple, le rondeau quatrain, le rondeau double, le rondeau dramatique, le rondeau-chanson, la bergerette, etc.
On connaît les rondeaux ou rondels ou encore rondets de Jean Froissart (écrivain français et poète de cour, vers 1337-vers 1410), de Charles d'Orléans (poète français, 1394-1465), et de Vincent Voiture (poète et épistolier français, 1597-1648, qui renouvelle le genre au XVIIe siècle).
Consigne 1 : réécrire le premier couplet du rondeau de Jamette de Nesson, en remplaçant certains mots et en trouvant des tournures de phrase plus contemporaines. En passant du vers octosyllabe au vers à 9 pieds (ennéasyllabe), cela pourrait donner ceci :
C'est pour me cacher les qualités
Qui sont en vous, comme je le croie,
Que vous ne voulez que l'on se voie ;
Mon cœur forces plaintes vous envoie,
De même mes pauvres yeux mouillés.
PARALLÈLE ET ANTITHÈSE
C'est en 1559 que le mot « parallèle » est employé avec la traduction des Vies des hommes illustres ou Vies parallèles de Plutarque (biographe et moraliste grec, vers 46 ou 49‑vers 125) par Jacques Amyot (humaniste français, 1513-1593), dans le sens figuré de « qui présente une comparaison suivie ». Dans cet ouvrage de grande réputation classique, l'auteur a comparé vingt-quatre hommes illustres de la Grèce avec un nombre égal de Romains célèbres.
Quand on compare* entre eux deux sujets (caractères, portraits, etc.), l'on obtient un parallèle. Procédé stylistique facile, dont l'effet est sûr, la comparaison étant en elle-même une source d'oppositions, le parallèle est par sa nature le triomphe de l'antithèse. La différence des sujets fait naturellement jaillir les contrastes : elle tend à supprimer les ressemblances et à exagérer les oppositions.
L'antithèse est l'art de tirer d'une pensée le contraire de cette pensée, et d'engendrer ainsi une série de contrastes et d'oppositions. C'est un mode d'expression qui consiste à savoir tirer parti d'une idée et apercevoir les contraires qu'elle comporte. Exemple avec le parallèle entre la jeunesse et la vieillesse, avec l'idée que « la jeunesse est si belle, que si on avait à revivre, on voudrait revivre sa jeunesse », et avec les antithèses suivantes : désirs/regrets, promesses/legs, l'illusion du désir/la mélancolie du regret, le souvenirs de nos déceptions aujourd'hui/autrefois l'attente du bonheur, intelligence/cœur, ressources/qualités :
« La jeunesse est la plus belle chose qui existe. Si l'on pouvait revivre, on ne demanderait ni l'or ni le luxe ; on redemanderait la jeunesse. Jeune, on désire ; vieux, on regrette. C'est le même charme. Autrefois la vie était belle par ce qu'elle promettait ; maintenant elle paraît belle par ce qu'elle vous lègue. Rien n'était plus enivrant que l'illusion du désir ; rien n'est plus doux que la mélancolie du regret. Le souvenir de nos déceptions prend aujourd'hui la même magie qu'autrefois l'attente du bonheur. Il faut avoir dans l'intelligence assez de ressources pour se consoler d'avoir perdu sa jeunesse, et dans le cœur assez de qualités pour faire oublier aux autres qu'on l'a perdue. »
En forçant l'antithèse, on tombe dans le style précieux, l'affectation ou le jeu de mots, au risque d'altérer des pensées vraies et de faire passer pour vraies ou profondes des pensées fausses, artificielles ou puériles : « On s'ennuie presque toujours avec ceux que l'on ennuie », « Nous aimons mieux voir ceux à qui nous faisons du bien que ceux qui nous en font », etc.
« Il ne faut pas faire contraster les mots entre eux, ni les mots avec les choses ; il faut que les contrastes soient entre les idées » (Recherches sur le style (1771), de Cesare Beccaria).
*La Formation du style, d'Antoine Albalat (Paris, Armand Colin, 1902, pp. 194, 200, 218).
Consigne 2 : choisir un couplet du rondeau et le réécrire en prose. Puis former une ou plusieurs antithèses avec les idées contenues dans ce couplet. Avec le deuxième couplet, cela pourrait donner ceci :
Chaque jour je vais et reviens,
Regardant si je verrai riens,
Ainsi que de coutume avais :
C'est pour me [receller les biens.]
En prose : Chaque jour je vais et je viens, et je ne vous vois pas, comme j'en ai l'habitude. Car, je sais que si vous ne voulez pas que l'on se voit, c'est afin de me cacher vos qualités.
Antithèses : Chaque jour je vais et je viens, et je ne vous vois pas, comme j'en ai l'habitude. Aujourd'hui, vous venez et je vois vos qualités, même si vous ne venez pas pour me voir, comme j'en ai l'habitude.
LE CHIASME
Emprunté au grec « khiasmos » (1538), qui signifie « disposition en forme de croix, croisement », et spécialement en rhétorique où il signifie « disposition d'une période, d'une très longue phrase, en quatre membres croisés », le mot a été repris au XIXe siècle (1838), pour désigner une figure de rhétorique qui consiste à répéter, en les inversant, deux termes : « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » (L'Avare, de Molière) ; « Des vagabonds et des nomades, c'est blanc bonnet et bonnet blanc », (Blanche ou l'Oubli, de Louis Aragon, avec l'expression « c'est blanc bonnet et bonnet blanc », qui signifie « c'est exactement pareil ») ; « Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, les uns mouraient en parlant, les autres parlaient en mourant » (Gargantua, de François Rabelais).
Figure de style formée de deux groupes de mots dont l'ordre dans la phrase est inversé, le chiasme est aussi une inversion de l'ordre dans les parties symétriques de deux phrases, constituant un parallèle, ou formant antithèse (qui met en parallèle pour mieux opposer) : « Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu » (Booz endormi, dans La Légende des siècles, de Victor Hugo) ; « Leur origine est très diverse, divers aussi leurs buts et leur financement » (Situations, de Jean-Paul Sartre) ; « Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes » (Moïse, d'Alfred de Vigny) ; « Thémistocle, dit Plutarque, fut banni, après avoir sauvé sa patrie, Camille sauva sa patrie, après avoir été banni. Camille est le plus grand des Romains avant son exil ; et après son exil il est supérieur à lui-même » (Vies parallèles, de Plutarque).
Consigne 3 : construire des chiasmes avec les verbes « venir » et « voir » :
Je viens et je vois, que tu es content de me voir, mais que tu ne me vois plus venir.
Tu es venue me voir, sans réaliser que j'étais venu te voir, auparavant.
Tu vois, je suis venue et je t'ai vu, précédant ta prochaine venue.
Ils viennent me voir, mais je ne les ai pas vu arriver.
Et maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
L a – P U B L i a n c e
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mail : numencegalerielitteraire@gmail.com
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