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L
a – P U B L i
a n c e
atelier d'écriture et publication
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Jeux
autour de l'abstrait
et du concret
LE
MARI INSTITUTEUR
Il
parla avec sensibilité d'Hippolyte, auquel il avait
enseigné le latin pendant douze ans.
— Ah
! monsieur, dit Laure, combien vous le trouverez changé à son
avantage !
— Il
peut avoir acquis de l'instruction, mais son cœur ne saurait
être plus généreux et plus tendre.
— Oui,
mais son caractère est devenu parfait.
— Il
en avait
un si aimable !...
— Assurément,
et jugez de ce qu'il doit être maintenant ; il a de l'ordre, de
l'économie, il n'est plus du tout paresseux, et loin d'être colère,
emporté comme vous l'avez vu, il est d'une douceur angélique.
À
ces mots la physionomie de l'abbé exprima la plus grande surprise.
Laure se mit à rire.
— Je
conçois votre étonnement, lui dit-elle : cependant je
n'exagère pas ; Hippolyte est devenu le plus patient des
hommes...
— Mais,
madame, reprit l'abbé, qui donc a pu vous dire qu'il a été
emporté ? c'est une indigne calomnie...
— Mon
cher abbé, c'est lui-même qui m'a tout avoué.
— Hippolyte
violent, déraisonnable ! non, madame, jamais ; il a reçu
de la nature le caractère le plus doux, le plus égal. J'ai passé
quinze ans avec lui, et je n'ai jamais vu ce charmant caractère se
démentir un moment.
— Quoi
! dans son enfance il n'égratignait
pas, il ne mordait
pas ses camarades ! dans sa première jeunesse il n'avait pas de
violents
accès de fureur !
— Lui !
des accès de fureur !... Mais de grâce, madame, qui a pu vous
faire de tels contes ?...
À
cette question, Laure, à son tour saisie d'étonnement, fut un
instant sans répondre ; ensuite elle s'écria :
— Bon
Dieu ! comme il m'a trompée !... il a toujours été parfait ;
ah ! comme il m'a trompée !...
L'abbé,
confondu de cette exclamation, commençait
à croire que Laure avait
un grain de folie, lorsque la porte s'ouvrit, et le comte parut. Les
bras ouverts il courut vers l'abbé et l'embrassa tendrement.
— Nous
parlions de toi, dit Laure ; il me contait toutes les
méchancetés de ton enfance...
Le
comte rougit comme un coupable ; il était
véritablement embarrassé : il ne s'attendait
pas à cette brusque découverte de ses stratagèmes ; il
n'avait pu prévoir l'arrivée de l'indiscret abbé, qu'il croyait
fixé pour toujours au fond de la Touraine.
— Monstre !
dit Laure en souriant et en se jetant au cou de son mari, comme tu
t'es moqué de moi !... crois-tu que je puisse te pardonner ?...
— Mon
adorable Laure !...
— Je
te croyais
mon disciple, et c'est moi qui suis ton élève !
— Oui,
l'élève de l'amour !...
— J'ai
découvert ton secret, cependant sois tranquille ; je n'ai plus
besoin de te craindre ! J'étais flattée, je l'avoue, d'avoir
réformé ton caractère ; tu ne me dois rien, mais je te dois
tout, et j'aime mieux t'admirer que m'applaudir.
Fin.
Le
texte proposé est extrait de :
Le
Mari instituteur,
dans : Nouveaux
contes moraux et nouvelles historiques,
par Madame
de Genlis
(À Paris,
Chez Maradan, 1802, 3 vol.,
t. 2,
pp. 194‑196).
Caroline
Stéphanie
Félicité du
Crest de Saint-Aubin, comtesse de Genlis (dite madame de Genlis), est
une femme de lettres française (1746‑1830). Reçue à l'âge
de six ans chanoinesse du chapitre d'Alix (communauté
de religieuses, et de filles de nobles qui possédaient une prébende,
un revenu fixe),
près de Lyon, avec le titre de comtesse de Bourbon-Lancy qu'elle
porta jusqu'à son mariage, elle possédait un esprit naturellement
vif et singulier qui la faisait passer pour un petit prodige :
elle
attroupait les enfants du village sous sa fenêtre pour leur
enseigner
le catéchisme, elle
composait
des vers, des romans, et elle
jouait
à merveille son rôle dans les comédies représentées au château
de
son père (Dictionnaire
universel des littératures,
par G. Vapereau,
Paris,
Hachette, 1876, p. 868).
Son
père mourut, et c'est
avec sa mère laissée
sans ressources, qu'elle
fut recueillie par le riche financier La
Popelinière.
Elle
reçut une instruction sinon profonde, du moins très variée, mais
elle n'avait
pas seize ans lorsque le comte Bruslart de Genlis, colonel des
grenadiers de France, depuis marquis de Sillery, en devint amoureux
et l'épousa. Dame
d'honneur de la duchesse de Chartres en 1770, elle se vit confier
l'éducation des enfants de la famille d'Orléans et elle s'inspira
des idées de Jean-Jacques Rousseau.
Peu
d'écrivains de
l'époque ont
été aussi féconds que madame
de Genlis (ouvrages
pédagogiques, de
piété, essais,
romans, contes historiques,
etc.),
tentant
presque tous les genres :
Théâtre
d'éducation
(1779),
Adèle
et Théodore ou Lettres sur l'éducation
(1782),
Veillées
du château ou Cours de morale à l'usage des enfants
(1784),
Leçons
d'une gouvernante à ses élèves
(1791),
Discours
sur la suppression des couvents de religieuses
(1790),
Les
Chevaliers du cygne ou la Cour de Charlemagne (Hambourg,
1795),
etc.
Elle
émigra en 1793,
résida en Suisse, puis en Allemagne, et elle
rentra
en France en 1800, pour
y être nommée par Bonaparte dame inspectrice des écoles primaires.
Moins
bien en cour à la Restauration, elle continua cependant à composer
de nombreux ouvrages : Les
Petits émigrés ou Correspondance de quelques enfants
(1798),
Herbier
moral ou Recueil
de fables nouvelles
(1799),
Mademoiselle
de Clermont
(1802),
Nouveaux
contes moraux et nouvelles historiques
(1802),
La
Duchesse de La Vallière (1804),
Les
Battuécas
(1814),
Mémoires
sur le XVIIIe siècle
et sur la Révolution française (1825),
etc.
LE
CONCRET ET L'ABSTRAIT
On
appelle noms
concrets
une catégorie de noms qui réfèrent à des objets du monde physique
et
sensible (réel
ou imaginaire),
ou de ce qui est considéré comme tel : rocher, chaise, rond,
Jean,
bière, dieu, etc., par opposition aux noms
abstraits,
qui dénotent des entités appartenant à l'ensemble idéologique,
au monde des
idées et
des représentations élaborées par la pensée :
courage, pensée, jalousie, rondeur,
etc.
(Dictionnaire
de linguistique et des sciences du langage,
Jean
Dubois, Mathée Giacomo, etc., Paris,
Larousse, 1999,
collection
Expression,
p. 108).
Consigne
1 :
relever
des mots abstraits et des mots concrets dans l'extrait de texte
proposé plus haut. Cela pourrait donner ceci :
Mots
abstraits : la
sensibilité, la
générosité,
la
tendresse,
le cœur, un avantage, la
perfection,
l'amabilité,
etc.
Mots
concrets : le
latin, l'instruction, généreux, tendre, le
caractère,
aimable, etc.
LE
SENS
PROPRE
ET LE SENS
FIGURÉ
Ces
deux classes de noms (les
noms concrets et les noms abstraits) se
caractérisent par des syntaxes
différentes,
par
des règles d'emploi différentes :
certains
verbes impliquent un sujet concret (animé ou non-animé), mais
excluent un sujet abstrait (courir, marcher, aboyer, germer, etc.) ;
lorsqu'un
tel
verbe,
utilisé
habituellement avec un sujet concret, est
employé avec un nom abstrait, alors
il
exprime un sens figuré.
Par
exemple : « Le chien (nom concret) court (sens
propre) sur
la place » ; « Un frisson d'espoir
(abstrait) court (sens
figuré) parmi
l'assemblée » ; « Une
idée me trotte dans la tête » (sens
figuré) ; « Un
gros
chat gris
trotte
au côté de l'enfant » (sens
propre).
Alors
que le sens figuré d'un mot apparaît par transfert sémantique,
d'une image concrète à des relations abstraites (par
métaphore, par comparaison, ou par allégorie),
le sens du mot « figurer » ou « se figurer »
reste
inchangé :
« représenter quelque chose ou quelqu'un sous une forme
visible, se représenter par la pensée, l'imagination ». Donc,
attention à ne pas confondre concret avec visible, abstrait avec
invisible, alors même que la frontière entre le
monde des
mots concrets
et le
monde des
mots abstraits
tend à bouger et à se redéfinir, cette
redéfinition étant rendu possible
par
le
retour de l'abstrait au concret après transfert sémantique.
Consigne
2 :
avec
les mots relevés plus haut, et/ou
les verbes suivants : enseigner,
devenir, parler, trouver, changer,
construire des phrases, de manière à ce que le verbe soit employé
tantôt dans son sens propre, tantôt dans son sens figuré. Cela
pourrait donner ceci :
Avec
« enseigner » :
Un professeur de mathématiques enseigne les mathématiques et non le
latin (sens
propre).
Souvent, une générosité mal placée est enseignée par une
sensibilité mal informée (sens
figuré).
Avec
« devenir » :
Je
suis devenu très généreux (sens
propre).
Nos
relations sont devenues glaciales (sens
figuré).
Etc.
UNE
DISPARITÉ SÉMANTIQUE ET UN JOUG
Le
zeugme, ou zeugma, est une construction syntaxique, où plusieurs
énoncés successifs s'articulent (sans
s'accorder en genre, en nombre, etc.) autour
d'un terme (comme
lorsque l'on attelle un joug)
qui n'est exprimé qu'une fois : « L'océan était
rempli
de bateaux à
voile,
les
plages
de vacanciers, et l'air de cris d'enfants et de joie », pour :
« L'océan était
rempli
de bateaux, les
plages
était
remplies
de vacanciers, et l'air était
rempli
de
cris
d'enfants et de
cris
de joie ».
Figure
syntaxique ou de grammaire, le
zeugme est aussi une figure de style, lorsque
dans une même
phrase,
plusieurs
termes sont coordonnés autour d'un seul verbe en présentant une
disparité sémantique
(concret-abstrait,
sens propre-sens figuré, niveaux de langage différents, etc.) :
« Un
père
donna
l'exemple
à
son fils,
une fessée, puis sa
chemise ».
Consigne
3 :
composer
des zeugmes en tant que figure de style, puis en tant que figure de
grammaire, en
reprenant
des
phrases, des
mots ou
des situations
de l'extrait de texte proposé.
Cela
pourrait donner ceci :
→
Laure
se mit à rire, puis en quatre, pour faire plaisir à son mari.
Pour :
Laure
se mit à rire, puis elle
se mit
en
quatre, pour faire plaisir à son mari.
Concret-abstrait.
→
Nous
parlions boutique, de toi, de
ton caractère, de
toutes les méchancetés de ton enfance.
Pour :
Nous
parlions boutique, nous
parlions
de toi, nous
parlions
de
ton caractère, nous
parlions
de toutes les méchancetés de ton enfance.
Concret-abstrait,
niveaux de langage.
→
Le
comte rougit comme un coupable, sa femme et l'abbé comme des
écoliers pris la main dans le sac, et tous trois balbutièrent en
même temps : « Que... ».
Pour :
Le
comte rougit comme un coupable, sa femme et l'abbé rougirent
comme
des écoliers pris la main dans le sac, et tous trois balbutièrent
en même temps : « Que... ».
→
Je
n'ai plus besoin de te craindre, et
toi
d'espérer me changer, car j'aime mieux t'admirer et toi,
m'applaudir.
Pour :
Je
n'ai plus besoin de te craindre, et
toi
tu
n'as plus besoin
d'espérer
me changer, car j'aime mieux t'admirer et toi, tu
aimes mieux
m'applaudir.
Et
maintenant...
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
À vous de jouer - et d'écrire,
À vos claviers, plumes et stylos !
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